mercredi 8 juin 2011

NO ONE HERE GETS OUT ALIVE

Même si j'écris encore un peu sur les disques que j'écoute, cela fait déjà un bout de temps que je ne me sens plus vraiment concerné par ce qui se passe dans le petit monde du journalisme culturel et de la rock-critic en particulier. Nulle aigreur ou amertume à l'horizon, je me marre même carrément grave de voir crever le métier, appréciant vraiment quand un article bien senti canonne le tarin de la profession. Cette semaine, c'est Slate.fr qui a déroulé le tapis de bombe.

Let there be House
Avant d'atterrir dans « le journalisme culturel » (ou dans « la fourniture de contenus », allez...), je me suis coltiné pas mal de McJobs, des emplois dont je me suis chaque fois fait virer de façon peu amène, en le cherchant bien. J'ai trimé dans un Quick, par exemple, et je m'en suis fait tej parce que je faisais partie d'une bande d'employés qui se radinait complètement déchiquetée chaque week-end et jouait à Robocop avec les pistolets à sauce. Je me suis occupé des rayons d'un Lidl, quelques semaines plus tard. J'y allais en touriste et je rigolais trop, surtout quand les vieilles musulmanes me demandaient l'endroit « avec les trucs pour pas avoir de bébé » et repartaient en fait du magasin avec des paquets de tampons hygiéniques sous le bras. Mauvais genre, les moqueries. J'ai déchargé des bacs de bières dans des bistrots. Là, j'ai claqué la porte après être parvenu, à travers le pantalon de toile trop fine de l'uniforme, à me coincer un bout de bite (ça a repoussé depuis) entre deux casiers de Jupiler. J'ai trié et lavé les bouteilles dans l'usine Coca-Cola à Anderlecht, manipulé des tonnes de tabac chez un cigarettier du bas de Schaerbeek, sué en entrepôt sous des pallettes surchargées chez Ziegler, le long du canal... Intenable à chaque coup. J'ai aussi glandé un peu moins d'un an dans un vidéoclub et ça, c'était cool, on s'est même ensuite inspiré de ma façon de parler aux clients pour une comédie US indie bien x-générationnelle (Clerks). Tout ça pour dire qu'au moment où fin 1995, on me propose de gérer un magazine de musique contre de l'argent et un CDI, ce n'est pas que j'estimais avoir des choses à dire sur la musique, que je me sentais investi de propager la parole du bon goût mélomane, de défendre quelque disque que ce soit contre l'anonymat et l'oubli, de mener une croisade contre les Infidèles de la Variétoche. C'est juste que l'on me donnait la clé d'une vie un peu moins merdique, bien dégagée de la norme prolo et mortifère du 9 to 5. Pas trop contraignante, plutôt amusante. Du sur-mesure, quoi.

On n'est pas des pigeons
Très vite, j'ai trouvé con qu'écrire sur la musique ne se limite qu'à parler de disques reçus, retranscrire des interviews, annoncer des festivals et raconter des concerts. Parler de rock comme les fades dindons de la presse féminine parlent de sacs à mains et de produits pour raffermir leurs vergetures, en fait. Le trip « on n'est pas des pigeons » : on compare 10 disques de rock sortis sur le marché et le vieux gâteux du CRIOC vous sort du lot celui qui présente le meilleur rapport qualité/prix. C'est horrible à dire mais c'est ce que les gens attendent, en fait. Il n'y a que les journaleux, les wannabes, quelques freaks littéraires, Radio Nova, des auteurs anglo-saxons et toute l'équipe du magazine télé Tracks pour encore se branler sur le long-format, l'hors promo, le gonzo de qualité (pas Gonzaï, donc). Vouloir prendre le temps de développer une idée, de poursuivre un fantasme, de rencontrer des gens totalement à part. D'exposer un style de vie, une culture marginale, de raconter des histoires. Rien à voir avec le côté promopute, voilà le vrai journalisme culturel. A échelle rentable, je ne pense pas qu'il soit désiré. Le système n'en veut pas : c'est trop cher pour les éditeurs et le marketing estime que cela bouffe trop d'espace publicitaire potentiel. De plus, la plus grosse partie du public n'en a rien à foutre, elle ne cherche qu'à savoir si les disques sont bons ou pas et si le concert prévu s'achève bien avant le passage du dernier métro. Tout le reste n'est que littérature, il est vrai rarement bonne. Les journalistes culturels en activité ? Ca leur fait peur, tout simplement. Habitués à expédier des avis en 3 lignes, dépassant rarement les 6000 signes, il en existe bien peu capables de fournir un article correct résultant d'une enquête au long cours.

Kama Sutra versus Missionnaire
Il y a donc ce post sur Slate.fr qui se plaint surtout de la disparition des audioblogs. Il s'y dit néanmoins des choses très intéressantes sur ce qu'est aujourd'hui la critique culturelle, dans les médias traditionnels et sur le web. Le papier parle de ces « webzines (qui) chroniquent aujourd'hui la musique avec les outils de la presse d'antan », cette « blogosphère musicale totalement saturée de mauvais articles », cette « promesse d'une libération de la parole et des formes d'écriture restée lettre morte. » Le verdict penche du côté du « manque flagrant de talent et d'imagination, en plus de cette volonté visible d'acquérir un statut d'interlocuteur valable vis-à-vis des intermédiaires de la musique... » Le mec de Slate a une chouette formule pour résumer tout cela : « aujourd'hui, parler musique sur Internet, c'est faire l'amour en missionnaire lumières éteintes alors que le Kama Sutra est à portée de main. »

The Truth is out There (in small doses)
C'est évidemment La Vérité Vraie. Du moins l'estimera n'importe qui vivant dans la même niche que nous (les journaleux, les wannabes, quelques freaks littéraires, Radio Nova, des auteurs anglo-saxons et toute l'équipe du magazine télé Tracks). Nous voulons des articles qui pètent, des angles de fous, des reportages dans le Sud qui durent plus d'un million d'années, et toujours en été. Nous voulons la musique la plus étrange jamais écoutée, la plus inédite, des sons qui provoquent des mutations. Au moment où j'écrivais ces lignes, Radio Nova annonçait une émission entièrement consacrée au heavy-métal produit au Botswana tandis que dans les principales rédactions culturelles francophones belges, on s'excitait surtout à l'idée de tweeter en direct du Festival de Dour. Le schisme, il est là mais attention, il n'y a toutefois rien à opposer avec trop de violence, vu ce sont juste deux tafs différents. Celui des mecs qui cherchent et celui de ceux qui trient leur courrier, celui de ceux qui veulent ouvrir des billes de publicité Clearwire en couvrant des sujets dingos et l'occupation de ceux qui se contentent du dernier Fleet Foxes parce que c'est presque aussi bien que Bon Iver. A ma façon, déviante, j'ai longtemps pratiqué l'option deux et pas assez l'autre, le dos crawlé dans la grande profondeur. Ce sont ces quinze années de production d'articles fanfarons qui font que je sais aujourd'hui que trop bien que les diableries ne font pas recette dans n'importe quel contexte. Sortez un article un peu marrant et fouteur de poire dans un MAGAZINE MUSICAL, vous aurez une majorité de lecteurs n'en comprenant ni le sens et encore moins l'utilité, quelques-uns pour se plaindre de ne pas y trouver les informations attendues et même une bonne branlée pour déplorer que la justesse de leurs goûts personnels ne s'y trouve pas confirmée. Cela, sur papier comme sur écran. 

Non, rien de rien
Bref, contrairement à Slate qui refile surtout le « valet qui pue » du manque d'imagination et la larchouma du manque d'investissement aux internautes pas foutus de mener à terme une révolution médiatique, moi, je pense plutôt que c'est la multiplication des modes de consommations de l'information culturelle qui fout le bronx. Comment voulez-vous intéresser à un même support un mec qui utilise la critique musicale pour lister ses futurs downloads et un zygoto de mon genre qui a trop lu Actuel dans sa jeunesse et recherche depuis les reportages les plus azimutés possibles ? Ceux qui ne lisent que des interviews et ceux qui préfèrent la branlette analytique menée par des gros nerds maîtrisant le solfège ? Ceux qui veulent vraiment savoir comment était le concert du jour d'avant et ceux qui veulent juste noter les dates des concerts du mois d'après ? Ceux qui veulent des avis sur des groupes à peine formés et ceux pour qui tout musicien n'ayant pas cinq ans de carrière de première bourre n'est qu'une lamentable hype ? A ce problème, sur le web comme dans les rédactions traditionnelles, une solution est chaque jour appliquée : ratisser large, chercher le truc plaisant au plus grand nombre. Toi, Slate et moi, c'est ce qui fait que l'on ne mange pas à sa faim, que l'on s'emmerde. Mais toi, Slate et moi, nous sommes définitivement perdus aux yeux des pubards, des grands planificateurs, des banquiers, des spéculateurs et des rédacteurs en chef pour qui une revue culturelle est surtout une revue qui aide le quidam à claquer au mieux son budget cucul la culture. On ne s'en porte pas plus mal, au final.