jeudi 13 octobre 2011

TU VEUX UN CURE-DENTS?


Drive, c'est ce genre de film qui donne envie de marcher, de parler et même de s'habiller comme le personnage principal. Je suis prêt à parier qu'il va relancer la mode du complet en jeans et faire de la réserve de cure-dents un must-have absolu. Kitsch à en crever, sa BO est incroyablement cohérente avec le reste du bazar, et va probablement donner le même gros coup de pouce à l'electro de type french touch 2.0 que Pulp Fiction n'aida en son temps la popularité du revival surf-rock et du funk vintage. Voilà pour ce qui est du placement produit. D'un point de vue plus sociologique, un autre parallèle avec Tarantino se relève : cette façon de se foutre du monde, de faire interminablement jacter ses personnages à propos de pop-culture et de pomper des scènes entières de films d'exploitation reste typique de la génération X. Avec son manque total d'humour, son regard manga et ses veillités d'héroïsme au premier degré, il y a dans Drive un sens du cool qui pour un public large annihile et ringardise cette vision tongue-in-cheek du cinéma à la Tarantino, depuis 20 ans normative. C'est la génération Y qui parle ici : les références au passé ne sont pas des clins d'oeil, c'est le décor naturel de la vie moderne. Il n'y a pas à s'excuser, par le second degré et le rire, de défoncer des gueules à la talonnette si c'est pour empêcher de laisser trucider des innocents. Je veux ramener gratuitement un million de dollars à de dangereuses crapules qui massacrent tout ce qui bouge dans mon entourage alors que je pourrais disparaître dans la nature avec le paquet, ma poule et son poussin. Il y a 15 ans je passais pour un gros con. Là, je suis un modèle. Le switch est là. Pensé et construit pour marquer les consciences, ce film est déjà une référence, donne un ton qui va se décliner à toutes les sauces pour les 20 ans à venir et se pose comme un reboot complet du polar « décalé ». Il parle à l'air du temps, d'où le délire qu'il engendre.
On peut reconnaître que c'est bien joué, sympatoche pour meubler 90 minutes à perdre, sans toutefois personnellement trop s'emballer. Certes plutôt radical aux standards US actuels, les pires de l'histoire, Drive reste en fait fondamentalement plutôt mou de la couenne dès qu'en compétition avec certaines séries B nihilistes des seventies et le cinéma de genre asiatique contemporain. Le film est à l'image de son héros. Durant une bonne heure, il est classe, maîtrisé, aimable, classique, une mécanique qui se met en place, une tension qui s'installe. Cette exposition n'a rien d'extraordinnaire, c'est même celle de tous les films de super-héros. On voit le type plutôt effacé la journée, on le voit assurer au volant la nuit mais ce n'est pas là, l'intéressant. Ce qui excite, c'est quand il menace d'exploser les dents à un mec dans un snack, manque de bourriner le pif de la grosse rousse de Mad Men et va rapporter la baballe au strip-club. Ca, c'est prometteur de dingueries à venir. Là, on se rend bien compte que ce Kid n'a rien d'un bon gars, ni d'un super-héros. C'est soit un psychotique total, soit un petit con qui se la joue. Dans un cas comme dans l'autre, le film n'attend visiblement que le moment de basculer du modèle américain vers son au-delà auteuriste pour fanfaronner davantage. On se dit que dans la demi-heure qui vient, ça va tout casser ou morfler grave. Et c'est de là que vient la déception.

Ce qui me reste en effet de la partie search & destroy du film, c'est surtout l'impression qu'à un moment, plus personne de l'équipe ne sait quoi en faire. La cocotte-minute a chauffé, vibré, un bien beau fumet s'en dégageait et puis, au moment de servir, c'est finalement une bouillie plutôt improbable qui finit dans l'assiette. Un déluge de violence de série Z déjà vu dans des blockbusters, dans des films d'exploitation, dans des parodies, dans des pastiches. On a l'air de complètement oublier le personnage, pour la crédibilité duquel on a pourtant sacrifié une bonne heure de pelloche, pour plutôt se contenter d'aligner les belles images d'assassinats rock & roll. Le Kid se déguise, le Kid stalke ses ennemis, leur donne des rencarts, rentre chez lui, ressort, papote avec sa voisine, fait sa grosse voix à la Dark Knight au téléphone pour se donner de la contenance. Il promettait un nettoyage par le vide, high performance delivered, il a surtout l'air de prendre tout cela par-dessus la jambe. D'autant plus dissipé que ses victoires ont toutes l'air de tenir du coup de bol bien davantage que de sa volonté de tuer avant qu'on ne le tue. Le film, pareil. Dissipé. Comme si Nicolas Winding Refn n'était pas parvenu à décider s'il fallait simplement fournir un truc basique, premier degré, archétypal, mouliner du mythe à la Clint Eastwood, ou plutôt faire vraiment partir le truc en couille, façon Oldboy, où le prétendu badass de l'histoire finit à genoux, à chialer sa race, s'automutiler et implorer la mort. En restant le cul entre deux chaises, cette promesse non tenue de grand film malade, ce pitch en deux lignes à la réalisation au fond pas plus maniérée qu'un épisode un peu psyché de Breaking Bad, reste surtout terriblement hollywoodien et bien davantage convenu que ne le prétend la monstrueuse hype du moment. Un script à la Lorenzo Lamas tourné par des rats de cinémathèques, sonorisé Ed Banger (Italians Do it Better, surtout, mais bon...). En 2011, venu d'Amérique, c'est déjà beaucoup. C'est pop mais c'est triste.

6 commentaires:

  1. Ha bon? Je ne savais pas que ce film cartonnait autant?

    Je n'ai pas aimé non plus: trop premier degré. Et effectivement, point de vue synopsis et "psychologie" du héros, on retrouve les recettes qui ont fait les beaux jours des séries B de vidéoclubs dans les années 80, avec Stallone, JC Van Damme ou Steven Seagall en héros solitaires intègres et musclés, entraînés malgré eux dans un combat sans pitié où seul leur courage leur fera triompher de la fourberie généralisée de puissants technocrates corrompus jusqu'à l'os.

    Bref, aux chiottes ! Heureusement qu'il y a Blackthorn pour me réconcilier avec le cinéma.

    RépondreSupprimer
  2. Drive n'est pas antipathique, juste trop petite bite. Tant qu'à faire dans le polar bourrin stylisé et auteuriste, au scénario pourtant très Stallone 88, j'ai de loin préféré les coréens I Saw The Devil et The Yellow Sea, pourtant pas formidables non plus. Juste la jouissance passagère de l'exagération totale... Drive, sa violence est au fond étonnament bien pépère. Le début est sexy mais le règlement de compte banal, un peu ennuyeux. Le vernis est flambant mais sur le fond, t'as juste un film américain de super-héros de plus, même pas déviant.

    Je jetterai avec plaisir un oeil à Blackthorn, espérant que ça allonge un peu la liste des films que j'ai aimé cette année, pour le moment quasi vide. A part peut-être The Trip et Even The Rain...

    RépondreSupprimer
  3. The Trip et Even the Rain... c'est noté ;-)

    Si je ne te savais pas si allergique au cinéma français, je serais presque tenté de te conseiller Les Derniers Jours Du Monde (découvert sur le blog de la fin du monde dont tu parlais récemment dans ton weboscope) qui est loin d'être parfait, mais a au moins le mérite d'être original.

    RépondreSupprimer
  4. J'ai adoré ce film. Enfin un film qui ne veut pas en jeter avec effets spéciaux à la sauce "Inception" ou voir pire à la sauce 3D.
    Un bon moment de cinéma avec d'énormes référence au cinéma de Michael Mann et question violence au cinéma coréen.
    J'ai vraiment adoré mais chacun ses goûts. Pour rappel des grands professionnels du cinéma lui ont décerné la palme d'or de la mise en scène à Cannes. Ils l'ont sûrement fait pour de bonnes raisons, eux sont meilleurs juges pour évaluer la qualité d'un film qu'une grande partie d'entre-nous.

    RépondreSupprimer
  5. hahaha, qu'elle est con ta dernière phrase. Moi, concernant Drive, je préfère de loin celle-ci :

    "Le prix Fabien Onteniente. Décerné à Nicolas Winding Refn pour Drive. Si j'ai envie de voir un film avec une issue funeste et un héros froid, rageur et méthodique qui temporise comme un vieux Mexicain pétant au soleil, j'ai déjà Little Odessa, merci. Pas besoin d'une version emo petit bras avec un mash-up de Thomas Dutronc et François Hollande qui passe 90 minutes à imiter la Joconde."

    Extrait de : http://surtestripes.blogspot.com/

    RépondreSupprimer