mardi 24 janvier 2012

TANGO UPSIDE DOWN


Fut une époque où j'achetais énormément de disques, de DVD, où j'allais beaucoup au cinéma. C'était carrément compulsif, pas forcément un plaisir, plutôt même souvent une grande source de frustrations. Je me tapais des grosses merdes au cinoche parce que je trouvais l'affiche jolie ou que deux lignes d'une critique bien torchée dans Libé m'avaient intriguées. Je partais au magasin avec dans l'idée de claquer 20 euros pour un truc que je voulais vraiment, il n'était pas en rayon et je revenais donc de là avec 60 euros de tarlouzeries que je finissais généralement par revendre 3 semaines plus tard chez un soldeur, à prix très très tango down. Après, je me sentais sale et j'avais peur de la mort.

Quand je me suis mis à télécharger sur le net, c'était à la recherche de choses très précises, généralement des séries B avec Lee Marvin, Gene Hackman ou Peter Fonda et des trucs d'acid-house et de body music qui ne se trouvaient plus dans le commerce. Ou qui y coûtaient un pont, la centaine d'euros que je n'avais pas envie de sortir pour un album dont un seul morceau m'intéressait, ou un film qui éveillait en moi plus de réminiscences vagues que de très sûrs souvenirs de qualité. Un moment, j'ai récolté pas mal de fichiers de ce type et m'est alors apparu que tant au niveau musical que cinématographique, sur cent de ces machins, il y en avait rarement plus d'une quinzaine que j'aimais vraiment. Autant dire que dans un circuit légal et payant, ma frustration aurait été immense. Vraiment. Je me serais senti plus dégueulasse qu'un cadavre et je n'aurais jamais plus trouvé le sommeil sans penser à mon anéantissement.

Alors que chez beaucoup il pousse à la pompe, le download illégal m'a vraiment libéré de cette consommation compulsive de culture. Un peu parano et pas vraiment maître de cette technologie, je me suis mis à ne piquer que les trucs dont j'avais vraiment envie. Je suis devenu beaucoup moins curieux, beaucoup moins accro à la surconsommation mais la qualité régulière et plus conforme à mes goûts de ce que j'ai ramassé, ainsi que le véritable plaisir ressenti en visionnant/écoutant ces fichiers, ont de fait été très exponentiels. Mon rapport à l'offre culturelle est devenu nettement plus serein, parce que plus enrichissant. De consommateur finalement très abruti par l'offre continue, je suis devenu quelqu'un qui ne réagit plus à ses impulsions du moment mais recherche de quoi satisfaire ses penchants culturels plus fondamentaux, que je cerne désormais mieux. En fait, je suis devenu un consommateur mutant. Soit un véritable drame pour les Marchands du Temple, l'industrie, le marketing, et tous ceux qui espèrent encore continuer à me faire acheter des choses dont je n'ai absolument rien à foutre.

Ce qui me fait dire que toute cette World War Web qui agite en ce moment le bouzin, grattez-en l'aspect législatif, l'aspect geek, anarchiste et fliquard, l'aspect fout-la-merde aussi, au fond, qu'est-ce qu'il reste ? L'idée de soi-même choisir et contrôler ce que l'on donne à bouffer à son cerveau. S'écouter et répondre à ses envies plutôt qu'être tributaire des recommandations du programmateur de l'UGC, de l'acheteur de la FNAC et des mecs de labels qui signent des partenariats avec I-Tunes, Netflix et Beatport. Se passer des intermédiaires donc, et avoir la clé d'un stock énormissime. La permission de fouiller la caverne d'Ali Baba. Et donc, moi je pense que fermer Megaupload il y a 5 ans, ça n'aurait pas fait moufter grand-monde, à part quelques nerds excités du caquelon. On en aurait parlé comme d'un simple fliquage de contrevenants. Aujourd'hui, avec tous ces cerveaux switchés, ces mutants qui ont pris l'habitude de faire leurs courses chez Ali Baba, c'est par contre très différent. Ca passe pour une expédition carrément contre-révolutionnaire, une tentative de la vieille garde réactionnaire de reprendre le contrôle des flux et imposer ses pratiques de 1950. On en est vraiment là : une insurrection virtuelle de plus en plus massive et aux motivations variées face à une contre-insurrection de plus en plus larguée et répétant sa petite litanie législative dépassée, dogmatique et décriée. Ca peut durer. Au moins tant qu'il n'existera pas de caverne d'Ali Baba légale, bien achalandée et pas chère. Quelque-chose s'écroule, autre chose se construit et c'est en fait assez formidable à suivre. A défaut de série télé gratoche.

2 commentaires:

  1. La vie c'est la mort. La paix c'est la guerre. Alliées et non ennemies. Ok je sors.

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  2. Restent les torrents ;)

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