jeudi 16 août 2012

A BAD REVIEW CAN RUIN YOUR LUNCH

Comme à chaque fois que je secoue un peu le cocotier, on m'accuse d'être aigri, frustré, vilain, et patati et patata. Très amusé, je me suis demandé à quand remontait pour la première fois ce genre d'accusation envers un critique, tant c'est récurrent depuis ainsi dire toujours. DJ Eva Braun, par ailleurs critique littéraire et romaniste de formation, pense avoir retrouvé le premier zygoto à avoir ainsi colporté des ragots sur la balle d'un autre débilosse suite à un transit intestinal perturbé. Récit à 4 mains, et un tout gros poke pour sa peine. 

Le début de la critique littéraire, c'est La Poétique d'Aristote, où il balise les genres, considérant que certains sont plus « nobles »que d'autres. Harry Totote nous sort un gros traité sur comment bien faire de la littérature et, jusque là, tout va bien. Il faut de fait attendre quelques tours d'horloges, jusqu'au 17ème siècle, pour qu'une bande de branlos décide de figer ces règles et de tirer de La Poétique une interprétation dogmatique. Du coup, certains écrivains trouvent cela aussi lourd qu'un article d'Eric Zemmour et s'en plaignent chez Ruquier et Ardisson. Grosse polémique dont on retrouve la trace dans la préface du Bérénice de Racine, en 1671. Toute cette agitation intellectuelle, ce ping-pong brillantissime digne d'un vieux Patrice Leconte bien connu, cela fait pousser du melon, c'est le grand concours du mollet enflé : il ne tarde même pas à ce que certains critiques se targuent d'aider à la création des oeuvres. Boileau, par exemple, en vient un moment à faire croire qu'il est à l'origine d'écrits majeurs de La Fontaine, Molière et Racine. L'ambiance du moment, c'est comme pour les chroniqueurs de Rolling Stones, du NME et de Playboy dans les années 1970 : la totale hype, free drugs, free sex, Tony Montana déclassé. Le XVIIème siècle rationaliste fait des critiques des stars, des « censeurs solides et solitaires que la raison conduit et que le savoir éclaire » (Boileau toujours, pour le coup aussi éclairé que la station de métro du même nom). 

 Moins pressés que les flics lors d'une bagarre d'Arabes, les Romantiques déboulent 200 ans plus tard en se comportant comme les Tokyo Hotel de l'époque : un total plan émo. Entré dans les annales, un gros bon statut Facebook de Madame de Staël, le Nicola Sirkis d'alors, en appelle au « rétablissement des droits de l'originalité à la place du joug de la création », ce qui consiste tout simplement à envoyer chier le moindre détracteur. L'écrivain est perçu par le fan-club Mustango comme un génie solitaire que ne saurait atteindre la sale bave des vils crapauds, forcément jaloux, donc aigris. Et, décident-ils, pour qu'il y ait critique recevable, il faut que le critique soit lui-même créateur. Même s'ils s'habillent tous comme le groupe Visage, les Romantiques croient à l'individualité et au génie, et prônent que « chaque individu recommence, pour son compte, la tentative artistique et littéraire » (@MarcelProust en réponse à @Sainte-Beuve). Bref, c'est là que sur les forums de puceaux qui visitent les cimetières pour graver le nom de Mylène Farmer sur les tombes, on commence à se gausser des critiques qui ne peuvent atteindre de tels sommets créatifs. DJ Flaubert lâche dans la foulée le véritable boulet de canon qui chamboulera à jamais la vie de Thierry Coljon : « Je voudrais bien savoir ce que les poètes de tout temps ont eu de commun dans leurs œuvres avec ceux qui en ont fait l’analyse ! Plaute aurait ri d’Aristote s’il l’avait connu ! Corneille se débattait sous lui ! »

Au XXème siècle, les émos ont gagné et vont passer une bonne partie du centenaire à se branler la nouille sur plein de concepts un peu ardus à intégrer entre l'apéritif et l'écoute du dernier Brian Jonestown Massacre, plaisirs simples pour gens simples : analyse littéraire psychanalytique, sémiologie marxiste, sociologie structuraliste... Via Roland Barthes, qui n'est pas la père de Yann, et Bourdieu, qui n'est pas une insulte homophobe, on en viendra toutefois à réfléchir sur le concept même de critique et de valeur littéraire et/ou culturelle, ce qui détend tout le monde du gland et nous mène aux années 70 et 80 -Lester Bangs, Nick Kent, Antoine De Caunes, Gilles Verlant, Laurent Chalumeau, Nicolas Ungemuth- en gros, à cet étrange instant où les gens qui écrivent sur d'autres gens se sortent un peu les doigts du cul. Tout en se faisant malgré tout insulter par des zigomars calés sur des concepts émo-core du 19ème siècle. Alors, pas belle, la vie ? (sc + cd) 

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