jeudi 18 septembre 2014

AU THEATRE FLAMAND, LE ROI SERPENT



Genesis P-Orridge, qui reste à la contre-culture occidentale des temps modernes ce que le glaçage est au cupcake, était ce mardi soir au Beursschouwburg bruxellois. L'occasion de voir prester la mouture 2014 de Psychic TV, groupe formé en 1980 et toujours deuxième après les Doors au classement du rock profondément chamanique.


Les Doors ont de bien meilleures chansons, le Velvet Underground aussi, mais tout comme eux, Psychic TV parvient par moments à parfaitement incarner cette vibration nietzchéenne du rock, qui peut rebuter ou ravir, selon les sensibilités. Ce n'est pas donné à tout le monde d'ainsi défoncer les portes de la perception, de symboliquement dépasser le drelin-drelin électrisé pour atteindre une certaine mystique, et si le grade de Roi Lézard est depuis bien des années attribué à Jim Morrison, ce mardi soir au Beursschouwburg de Bruxelles, dès le deuxième morceau, je décide pour ma part qu'il n'y a de meilleur Roi Serpent que Genesis P-Orridge, alias Neil Andrew Megson, héros obscur né en 1950. C'est indéniable : nous avons devant nous un véritable Raymond Poulidor de son domaine, un Expendable du rock vénéneux mais positif, solaire, sexuel, par-delà le bien, le mal, Eros et Thanatos. Pour moi, c'est bien simple et je n'ai bu que deux bières au moment où ça me percute : dans le rock chamanique, on met les Doors en un, Psychic TV en deux.

Cette date bruxelloise de la tournée 2014 est censée accompagner l'album Snakes de novembre, pour le groupe déjà le quatrième LP de l'année. Le concert n'a rien de bien révolutionnaire, ni même de particulièrement agité, ne parlons même pas d'extrême. Ce bon Genesis, qui un moment troubla physiquement, ressemble aujourd'hui, à quasi 65 balais, à un mash-up d'Oliver Reed et de Brigitte Bardot, le genre de créature que l'on croise souvent tirée par un caniche dans les Marolles. Il blague comme un vieux travelo, évoque des fellations du siècle dernier, tente au mieux d'incarner cette idée plus défendable que jamais que dans une vie, tout est permis et mieux vaut en rire. Son rock, son look, sa loupiote de spéléologue sur la tête, ses incantations, sa poésie, les riffs qu'il impose à ses musiciens, flirtent tous avec le ringard, sans toutefois ne jamais vraiment y sombrer. En fait, sa musique tronçonne. Elle est gravement jouissive. Aux influences aussi multiples que troubles (Hendrix, Pink Floyd, Can, l'acid...) et, surtout, très aimables. Psychic TV, ce n'est pas que le Poulidor des Doors, c'est aussi un peu le Groland du post-punk. On aime les gens, les déclassés, les sans-dents bruyants. Et on leur balance une très généreuse purée. Qui fait sens dans le texte, en plus.

A l'heure ou n'importe quel blaireau hipster se réclame de la musique psychédélique – larsens, mur du son, pyramide inversée sur la pochette fuschia et lettrage en bougie fondue – il est sinon convenable de rappeler cette évidence. Le psychédélisme, le vrai, est une affaire de véritable freak. Et s'il y a bien un freak ultime au monde, c'est P-Orridge, qui reste à la contre-culture ce que le glaçage est au cupcake. Tête pensante de Throbbing Gristle, donc inventeur de la musique industrielle, depuis son idée de pandrogynie (1993) en avance d'au moins trois longueurs sur toutes les questions de genre (kikou, Najat Vallaud-Belkacem) , mec branché occulte, tastedrogues et même, selon certains, inventeur de l'acid-house, on crédite au bonhomme environ 200 albums et autant d'idées pas toujours bien retranscrites ou incarnées, mais néanmoins régulièrement passionnantes.


La dernière enroule, c'est d'être parti au Bénin boire du jus de serpent. Le Culte du Python, on appelle ça et, selon certains, ce serait l'origine véritable du vaudou, une purification psychique par psychotrope naturel qui remonterait à 10 000 ans. Un trip à la Vincent Ravalec, à la Jan Kounen. Dans une vieille jarre, absorber un potion à base d'excrétions de pythons morts, un cécémel du diable qui chamboule totalement la psyché humaine. On ne sait pas trop comment, ni dans quel état, Genesis en est revenu. Ca sera pour novembre, le nouvel album, donc. De toutes façons, ce mec, c'est Obélix et son menhir, qu'il traîne depuis plus de 30 ans, c'est une musique jamais parfaite mais séduisante, très, comme Kâ le Serpent, comme ce mardi soir à Bruxelles, de 20h37 à 22h22 environ. Le temps d'un concert parfois nul, parfois intriguant, parfois émouvant, parfois con, parfois sublime, parfois ringard, parfois trop long, parfois trop court, parfois frustrant, parfois lassant, parfois convenu, parfois étrange, parfois visionnaire. Mais alors jamais, vraiment jamais, prévisible, et même, de temps à autre, totalement bouleversant. Bref, un putain de bon moment. En fait.  

Chronique publiée le mercredi 17 septembre 2014 sur le site du Focus Vif. 

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