mardi 20 juin 2017

LE BRUIT DES UNS, LA FUREUR DES AUTRES

Première interview pour La Guerre du Son, mon nouveau bouquin sorti il y a une semaine. C'est Filiber, le magazine gratuitement distribué dans les librairies Filigranes qui s'y colle. Sept questions par mail. J'y ai répondu tranquillement chez moi en buvant du vin et en écoutant du rock garage. Un poil pompette, donc. Ce qui explique le petit ton Amélie Nothomb de certaines répliques...

1/ Serge Coosemans, vous publiez La Guerre du Son à La Muette. Vous avez visé particulièrement cet éditeur pour son nom ?

Je suis resté complètement aveugle à cette correspondance durant une bonne partie de l'écriture du livre mais j'espère bien que son propos ne tombera pas dans l'oreille d'un sourd.

2/ Vous ne manquez ni d’humour, ni de style, et vous n’hésitez pas à vous mettre en avant, à personnifier votre sujet. C’est inhabituel dans un ouvrage de société, que l’auteur ait une personnalité. Nous sommes plutôt habitués, sur des sujets de santé publique ou d’environnement, à ce que l’auteur se dissolve. On vous a laissé faire ?

Les législations sur le bruit, les soucis auditifs, les méthodes d'enregistrements sonores qui posent problème ainsi que les principes de précaution médicaux prônés par l'OMS, c'est tout sauf funky. On peut donc y aller façon TF1 : interviews de gens gris et cernés, alarmisme, un ton de médecin soviétique à faire flipper les ménagères. Ou alors essayer de prendre un peu de recul et peut-être même de hauteur et alléger le tout par l'humour. Les Anglais font beaucoup ça. Ce n'est pas du tout inhabituel.

3/ La guerre du son, c’est la guerre entre qui et qui ?

Le politique et les organisateurs de concerts, les médecins et les équipementiers audio, les radios entre elles, les groupes musicaux entre eux, le voisin du bistrot contre le DJ du bistrot, des organisations citoyennes contre des organisateurs de festivals, etc, etc... Bref, ce bon vieux « tous contre tous ».

4/ Ce livre aborde à la fois les prévisions alarmistes de l’OMS – 1 milliard de sourds en 2050 (sans compter ceux qui n’entendront pas cet appel) –, la problématique du boucan, et pas seulement celui des bars… mais aussi celui de la liberté, comme si le bruit était une liberté dont les autorités souhaitent nous priver (pour notre bien), mais en ne considérant que le bruit causé par la musique…

Les autorités suivent des modes et s'attaquent aujourd'hui au « bruit » comme elles se sont jadis attaquées à l'alcool, à la conduite sportive, au cholestérol ou à l'ostéoporose. Il ne s'agit pas de priver les gens d'une liberté fondamentale mais plutôt de régler un « grand problème sociétal » avec la finesse d'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Moi, je pense que le problème du son est tout aussi insoluble que ceux de l'alcool, de la vitesse et du gras. Parce que des gens aiment ça. Des gens produiront et chercheront donc du boucan même si celui-ci en venait à être prohibé. Une certaine musique s'apprécie à un niveau sonore élevé et on ne danse qu'à partir d'un certain nombre de décibels. Oui, c'est potentiellement dangereux. Mais moins que l'usage professionnel régulier d'écouteurs, le meilleur moyen pour devenir sourd, ou la fréquentation de festivals, pas triste non plus pour les oreilles. S'attaquer au bruit, c'est du marketing politique. On prône quelques mesures faciles, cosmétiques et symboliques ; des limites qui seront de toutes façons transgressées. « Peut mieux faire », comme disait mon bulletin à l'école.

5/ Au cours de vos recherches, vous avez rencontré plusieurs « responsables » locaux qui ont en charge, notamment, la prévention. Franchement, ils sont compétents ?

Ils sont persuadés de l'être, le sont sur certains points, moins sur d'autres, et diront de toutes façons que moi, je ne le suis pas. Le combat politique et médical contre le bruit tient de la croisade. Il y a vraiment un côté « en mission pour Dieu et pour le bien de la Civilisation ». Ca ne rigole pas. Le discours est à la fois alarmiste, grandiloquent et plein de mauvaise foi. On m'a notamment accusé de prendre les acouphènes à la légère et de ne pas savoir de quoi je parlais. Alors que j'ai un acouphène, que je connais tout un tas de gens qui en ont. Certains en souffrent, d'autres non. Certains l'ont à cause de la musique, d'autres non. C'est un phénomène très répandu et on ne peut pas chaque fois accuser la musique amplifiée d'en être la source, ni avancer que ceux qui en ont vivent un enfer permanent. Or, c'est comme ça que l'acouphène est quasi systématiquement présenté dans les campagnes d'information et de prévention. Ce n'est pas de l'incompétence, plutôt de la propagande.

6/ Vous qui aimez sortir et écouter de la musique, quelles sont vos recommandations ?

Elles sont dans le livre. Perso, je n'utilise que très rarement des écouteurs et j'évite au possible les festivals. Une soirée dans un bar ou dans un club ne dure que quelques heures, un festival 3 ou 4 jours. Forcément, même à un volume sonore « médicalement approuvé », les oreilles se fatiguent. Vanter les mérites d'un festival et considérer les concerts ou quelques heures en boîte comme nocifs, c'est une complète aberration.

7/ Conclusion : Espérez-vous un grand mouvement pacifiste qui fera bouger les foules pour la paix… du son ?

« Dans cet univers plein de bruit et de fureur, c'est le bruit des uns qui provoque la fureur des autres », a dit Antoine Blondin. Le silence n'existe pas sur Terre et n'a jamais existé. Bref, je pense vite avoir assez de matière pour quelques volumes supplémentaires de cette guerre du son.