vendredi 4 août 2017

CA BALANCE PLUS QU'A SAINT-TROPEZ

Vincent Zabladowski m'a posé quelques questions sur « La Guerre du Son » dans le cadre d'un article qu'il écrit pour le fanzine du Magasin 4 (si j'ai bien tout compris), où des extraits de mes réponses seront insérés. Ca balance plus qu'à Saint-Tropez.


Comment t'es-tu retrouvé à écrire "La Guerre du Son"?

Ca fait un moment que je suis fasciné par les armes soniques, genre ces canons sonores avec lesquels The KLF avaient tué des moutons et des vaches dans la campagne anglaise et qui sont aussi utilisés par les flics pour disperser la foule, notamment lors de grosses manifestations de type G20 et Occupy Wall Street. De fil en aiguille, je suis tombé sur d'autres trucs dingues en rapport avec le son : les infrasons qui expliqueraient le phénomène des maisons hantées, certaines personne qui entendent ce qu'on appelle un « hum », un bruit continu qui serait dû au raclement des vagues sur le sol marin, etc... J'avais envie d'écrire là-dessus depuis un moment mais c'est invendable à une rédaction. Tout le monde s'en fout, ça fait trop Jacques Pradel aussi. A côté de ça, j'avais aussi en stock des papiers à remixer sur le son compressé et les limitations sonores promises à Bruxelles aux salles de concerts et aux endroits de fêtes pour 2018. Et mon éditeur avait quant à lui envie de sortir un bouquin un peu socio-médical sur les problèmes auditifs mais un truc cool, rigolo, pas un machin où tu t'entends ronfler après 3 pages et à la lecture duquel les hypocondriaques se pissent dessus. Bref, on a un peu mélangé tout ça et voilà.

"La Guerre du Son" présente les mesures qui seront appliquées à Bruxelles en 2018. Si j'ai bien compris, cette matière est régionalisée. La Flandre a déjà pris de l'avance. Quid de la Wallonie? Sais-tu ce qu'il est pour les les autres régions d'Europe ? Comparativement Bruxelles ira-t-elle plus loin qu'ailleurs ?

Ces limites de décibels sont des recommandations de l'OMS. En France et en Suisse, c'est appliqué avec une certaine sévérité. En Flandre aussi. Ici, on verra bien mais Bruxelles, c'est Bruxelles et moi, je pense que Bruxelles, c'est la capitale du nawak et de l'arbitraire. Ca va donc être n'importe quoi, même si sur papier, ça se veut sérieux et même contraignant. Au niveau du nombre de décibels à ne pas dépasser recommandé, là où c'est appliqué, c'est à peu de choses près partout pareil mais pour ce qui est de la Wallonie, j'avoue que je n'en sais rien. Au moment de finir le bouquin, fin mars, personne n'en parlait mais personne n'aurait pu prévoir que le MR et le CDH seraient en 2018 au pouvoir en Wallonie. Or, à Bruxelles, c'est justement le CDH, via Céline Frémault, qui a lancé ce plan « musiques amplifiées ». Il pourrait donc assez logiquement faire tâche d'huile, surtout en période pré-électorale, vu qu'on revote en 2018-19. Les jeunes qui deviennent sourds, les nuisances sonores, tout ça, les politiciens en campagne aiment beaucoup.

Dans le livre, tu émets l'hypothèse que derrière ces mesures de santé publique, on trouve peut-être d'avantage un prétexte pour canaliser une certaine activité nocturne. Tu peux expliquer ?

J'émets l'hypothèse mais c'est plutôt pour la démonter. C'est l'OMS qui a prôné ces mesures, pas le pouvoir politique, ni les autorités. Maintenant dans la façon de parler de ces mesures et de vouloir se les approprier et les appliquer, il est vrai que Frémault m'a tout l'air, bien que son cabinet s'en défende, d'un peu vite mélanger le problème de santé publique à celui des nuisances sonores nocturnes. L'OMS dit une chose : les niveaux sonores actuels dans les bars, les discothèques et les concerts présentent un risque. C'est le boulot du politique d'agir mais comme le tapage d'un bar ou d'une salle de concert a toujours été dans son collimateur, ça lui donne aussi un alibi disons carrément scientifique pour y aller façon panzer. Alors que le volet santé est une problématique très différente du volet nuisances sonores. Je pense donc qu'ils s'attaquent surtout aux bars et aux salles de concert parce que c'est facile, ça ne mange pas de pain. L'OMS dit pourtant que les casques audio et le temps passé avec des écouteurs dans les oreilles est beaucoup plus dangereux qu'un concert. Mais vas-y, quand t'es au CDH bruxellois pour aller faire chier Apple, Sony ou Philips et leurs batteries d'avocats.

Quelle seraient selon toi les mesures idéales pour répondre à cette problématique du son ?

Pour ce qui est du son amplifié, j'avance dans le bouquin que selon moi la problématique est irrésoluble. Les mecs de la Semaine du Son pensent au contraire que dans quelques années, on aura dans les salles de concerts des sonos complètement différentes, avec moins de matosse et moins de puissance mais du matosse mieux placé et une puissance mieux répartie. C'est peut-être vrai, je n'en sais rien, mais à priori, je n'y crois pas, et je pense surtout que tout cela ne tient pas compte de la spécificité de chaque artiste. Je peux tout à fait concevoir d'apprécier un groupe folk à 90 dB dans une salle contemplative et silencieuse mais du hardcore ou de la techno dans un endroit blindé où les gens sont là pour pogoter ou danser, sont ivres, hurlent, parlent, c'est juste ridicule, y compris techniquement. Après, il y a aussi des musiques qui sont immersives dans leur nature. Je me souviens avoir été voir A Place to Bury Strangers au Botanique il y a quelques années. En plein concert, je parlais à mon voisin sans élever la voix alors que c'est quand même le groupe qui était à cette époque censé te faire vivre une expérience sonore immersive quasi psychédélique. On n'est pas resté, on a fini la discussion au bar. Parce que la musique en soi du groupe ne m'intéressait pas autant que l'expérience promise.

Après, je crois qu'il est primordial d'informer au mieux les gens sur les risques encourus, d'acouphènes notamment, quand on va voir des concerts ou des dj-sets du genre. Il faut penser aux bouchons auditifs, pourquoi pas même à des entractes. Se montrer créatifs, quoi, plutôt que de juste imposer une limite et interdire tout ce qui la dépasse. Le motocross peut blesser et tuer, personne n'irait pourtant penser à interdire le motocross. Il faut savoir où vous foutez les pieds, quels sont les risques, agir en conséquence mais sans jouer la carte du gros flip ou de la croisade médicale. Bref, je ne dis pas que tout ce que prônent les politiques et les médecins est exagéré, mensonger ou idiot. Je dis plutôt que leur réflexion ne va pas très loin, qu'ils ne pensent pas aux effets pervers de ces mesures, que c'est de la politique à la 6-4-2, comme bien souvent.