Le
Bozar Electronic Arts Festival, en clôture de la deuxième soirée.
Grande babelute britiche, Oscar Powell enchaîne aux platines les
erreurs techniques, les appromixations et quelques effets bien
ringards, comme de couper le jus, pas le son, alors que le disque
tourne encore.
Le Londonien semble coutumier du fait : durant sa
Boiler Room,
on l'a même vu laisser des blancs entre les morceaux, volontairement
cette fois. C'est un drôle de zygoto, qui défend l'idée de chaos
dans la dance-music.
Dans
beaucoup de ses interviews, Powell se dit ennemi de la douceur et de
la prévisibilité. Il se désole que de nos jours, aller en club
revient à se coltiner un flot ininterrompu de house ou de techno
instantanément oubliable, même si techniquement parfait. Powell
veut vivre des expériences: être surpris, provoqué, blessé même
par la musique. C'est aussi mon cas et c'est exactement ce que j'ai
trouvé ce soir-là au Bozar : l'expérience d'une programmation
qui ne s'interdit pas de heurter (Mondkopf!), d'imposer du
prétentieux boucan (Tim Hecker) et de se terminer par une catharsis
d'acid-house mixée à la moufle (Powell, donc).
Quand
j'étais jeune, c'était le genre d'expérience que je vivais aussi
au Fuse et dans différentes soirées du même acabit ; ce qui
me donne envie de poser aujourd'hui une question qui peut fâcher.
Pourquoi ça se passe au Bozar alors que cette programmation aurait
pu être celle du Fuse si le Fuse avait continué sa politique qui
était un moment la sienne : ne pas se contenter d'être une
simple discothèque mais bel et bien proposer une plateforme, un poil
militante même, de découverte du monde effrayant et merveilleux des
musiques électroniques ? On me dira que ce n'est pas le job
d'une boîte, ni forcément d'une soirée, mais justement, si, ça
l'est, du moins quand l'organisateur se pique d'une vocation plus ou
moins contre-cuturelle. J'ai le souvenir de lives au Fuse qui
n'avaient rien de très clubby, de prestations qui cassaient même
totalement l'ambiance en pataugeant dans trop d'expérimentations. Ce
n'était pas toujours très passionnant mais, au moins, ça sortait
du cadre du long fleuve tranquille et rassurant de techno coulant de
23 à 6 heures du matin.
Je
suis pire que Powell. J'exige d'être surpris mais j'aime aussi
davantage expérimenter le flottement, la circonspection et même un
relatif ennui que d'être très professionnellement étourdi de faux
bonheur dès mon premier orteil posé en club ou en soirée. Or, dans
les clubs et les soirées, nous revivons actuellement avec la
mauvaise house et la mauvaise techno ce qui se passait déjà en 1980
avec le mauvais disco. C'est une fin de règne de styles embourbés
dans les clichés, une expérience dont on a fait le tour depuis
longtemps. Il en sortira forcément du neuf, à moins que ne
disparaisse totalement l'idée même de club. Ce qui n'est pas
impossible à une époque où les modes de consommation culturelle
mais aussi la drague, les habitudes sociales, la règlementation et
la morale changent à ce point. De plus, le club s'est trouvé un
concurrence féroce du côté des festivals.
Personnellement,
j'ai déjà ici
fait mon coming-out
à ce sujet, je déteste les festivals. Même ce vendredi au Bozar,
alors qu'il n'y avait pourtant que 6 artistes au programme, j'en ai
zappé 3, vu que j'ai beau aimer les expériences, celle du gavage ne
m'intéresse absolument pas. Je pense toutefois que le concept même
de festival est totalement en accord avec les modes de consommation
culturelle actuels. C'est une sorte d'équivalent 3D d'un disque dur
blindé de milliers de fichiers dont seuls une centaine nous touche
vraiment. Ca n'excite plus vraiment les gens d'aller en soirée ou en
boîte, c'est banal, ils considèrent ça comme une version améliorée
d'un bistrot. Par contre, les festivals, c'est pour eux là que ça
se passe, qu'il faut être vu, que l'on prend le pouls du présent,
voire même du futur. On s'habille un peu spécialement pour y aller,
on affirme son endurance quasi sportive en y allant et on poste aussi
beaucoup de photos sur les réseaux sociaux parce que c'est aussi
chic de montrer qu'on y était qu'il était chic de pouvoir entrer au
Studio 54. Ce n'est sans doute pas non lus un hasard que la seule
discothèque dont on entend encore régulièrement parler avec
passion, qui excite les imaginaires, c'est le Berghain à Berlin,
moins pour la musique que parce qu'il est justement censé offrir un
trip proche de l'expérience festivalière, où l'on s'ennuie dans
l'interminable file avant de vivre un éventuel chaos, certes plus
fantasmé et contrôlé que réel, mais différent de l'ambiance
lambda de la plupart des boîtes en activité. Le clubbing n'est pas
mort, plutôt grabataire et le festivalling is the thing. Voilà où
on en est, je pense. Evidemment, le drame d'une nuit dehors, c'est
que s'il ne se passe pas grand-chose ou qu'il se passe trop, au bout
du compte, cela revient souvent au même : on est abruti, on se
carapace, on oublie. Si dix minutes après avoir été blessé par de
la musique extrême, on guérit déjà ses plaies par quelque-chose
de plus aimable, rentré chez soi, l'expérience de la blessure n'a
plus le même intérêt que si elle mettait plusieurs jours à
cicatriser. Saigner des oreilles est un plaisir et doit le rester.