Robin
Williams, Robbie Williams, Robbing Millions. Si c'est vrai que le nom
s'est ainsi trouvé, comme le prétend le dossier de presse du label
PIAS, il ne faut pas en faire toute une histoire. C'est de l'humour
belge, qui joue sur les mauvaises prononciations locales, qui
implique un humour tordu, du second degré à revendre ainsi qu'une
certaine modestie. Encore
que dérober des millions, c'est une
destinée qui paraît possible pour Robbing Millions, déjà très
professionnel et plein d'expériences après seulement 2 années
d'existence.
En Belgique, c'est une habitude de dire ça d'à peu
près n'importe quel groupe émergeant, mais ici la brosse à reluire
s'écrase surtout sur une réalité palpable, évidente : cela
fait un bout de temps que dans cette autre tradition belge qu'est la
pop à tiroirs, tarabiscotée, on n'a pas entendu quelque-chose qui
sonne directement si évident, qui garde sa légèreté, accumule les
idées sans ne jamais en faire trop.
« Le côté aventureux de
notre pop est plus une question de goût que de volonté, estime
Lucien Fraipont, fondateur, tête pensante et guitariste du groupe.
Mes premiers émois
musicaux sont venus avec Nirvana (on est devenu potes avec Gaspard
(Ryelandt,
le chanteur) parce
qu’on arborait tous les deux nos t-shirts Kurt
Cobain
à l’école primaire), Blur et les Pow Wow. Mais
le vrai héros de mon adolescence, c’était Beck. Quand j’ai
commencé à écrire des morceaux pour Robbing Millions, l’idée
était simplement d’ajouter de la voix et des synthés à mes
compositions, le tout sans me soucier de réfréner mes instincts pop
comme ça pouvait être le cas lorsque j’écrivais pour mon groupe
précédent, Winchovski, un quartet « jazz ».
Lucien
Fraipont vient en effet du jazz, « matière » qu'il a
étudié, notamment au Conservatoire de Bruxelles. C'est une
expérience scolaire qui peut s'avérer un poil castratrice, tenir
même de l'expérience sectaire. D'autres musiciens s'en sont plaint,
ont du désapprendre avant de se retrouver, mais Lucien, lui, se
considère plutôt avoir été du côté des bons élèves :
« J’ai
vraiment joué le jeu et j’y ai pris ce que je pensais en valoir la
peine. J’ai eu de bons profs, d’autres pénibles, comme dans
toutes les écoles. Le point principal, c’est que j’y ai
rencontré beaucoup de bons musiciens avec qui j’ai fait de la
musique en dehors des cours, avec qui je suis allé jammer, faire des
concerts dans des bars, des mariages. J’ai un peu une âme de bon
élève, ces années m’ont permis de bosser mon instrument, ce qui
était plutôt bénéfique. J’étais prêt à devenir un vrai
jazzman. Je suis même allé à New York pour passer des auditions,
afin de continuer à étudier la musique là-bas, pour un an ou deux.
J’ai été pris mais je n’ai pas reçu assez d’argent pour
financer le projet. A la place, je suis resté à Bruxelles et j’ai
commencé Robbing Millions. »
Un
hobby ambitieux
En
deux ans d'existence, Robbing Millions n'a pas chômé et s'apprête
aujourd'hui à sortir son premier album, chez PIAS, annoncé par le
single Dinosaur, plutôt gracieux, le genre à récolter les bons
points sur Pitchfork. Le groupe a beaucoup tourné, a participé à
des résidences d'artistes, remporté des concours, dont le Verdur
Rock de Namur en 2013. Robbing Millions tient toutefois pour Lucien
toujours du hobby : « Aujourd'hui,
Robbing Millions est un hobby amélioré, mais un hobby ambitieux. Je
découvre encore ce que c'est d'être musicien pop en Belgique mais
je ne pense pas que cela soit très différent dans d'autres pays. Il
faudrait en fait ici plutôt parler de 2 pays (la Flandre et la
Wallonie, ndr) avec des publics aux goûts et aux références assez
différents. Mais on est plutôt bien lotis, notamment grâce au
statut d’artiste. Si on vivait en Angleterre, ou comme notre
ex-claviériste Léo au Japon, on aurait tous un dayjob et je devrais
écrire ma musique la nuit, dire adieu à toute vie sociale. Ca ne
serait peut être pas mal, au fait… »
Le
groupe étant composé de Francophones et de Flamands, chose devenue
relativement rare dans le milieu musical belge, Robbing Millions a en
fait été repéré des deux côtés de la frontière linguistique,
« marchés » pourtant très différents. C'est tout bénef
pour le groupe, désormais habitué de beaucoup de salles et de
scènes du pays, qui a même déjà joué au Pukkelpop,
en 2014, le
meilleur festival de Flandre, peut-être même de Belgique, pour
qui s'intéresse à
l'indie. Sur la fiche de son programme consacrée au groupe, le
Pukkelpop compare Robbing Millions à Bed Rugs, Tubelight et Float
Fall, ce qui ajoute encore quelques références aux dizaines
auxquelles les Bruxellois ont déjà été comparé depuis la sortie,
en janvier 2013, de Ages & Sun, leur premier EP. Frank Zappa,
MGMT... Les médias et les blogs prêtent souvent au groupe des
vertus psychédéliques. Lucien :
« De la pop psyché
un peu barrée » ça on nous la ressort à chaque fois. Les
journalistes aiment reprendre des termes déjà utilisés par
d’autres journalistes. Quand tu lis des chroniques de concerts, ils
parlent plus souvent du fait que Gaspard, notre chanteur a joué pied
nus ou de la couleur de cheveux de Raphaël (notre bassiste) que de
la musique. En même temps, c’est difficile d’écrire sur de la
musique et c’est souvent ce genre de détails que les gens
retiennent plutôt que la mélodie d’un morceau. On ne prétend pas
parvenir à une musique franchement psyché mais comme aspiration,
c'est quand même assez cool. Un
groupe qu’on adore tous dans Robbing Millions, c’est Deerhoof.
Ils font presque tout eux-même, des enregistrements à
l’organisation de leurs tournées, etc... Leurs disques sont
toujours surprenants, intéressants et hyper jouissifs, et leur
énergie live est vraiment dingue. Les membres du groupe se
permettent aussi des petites incursions dans des projets extérieurs
(jouer sur des disques d’autres gens, faire des side projects, .)
Malgré le fait qu’ils ne feront sans doute jamais de hit radio,
ils peuvent compter sur une
fanbase loyale
partout dans le monde. Bref, c’est vraiment un modèle de carrière
qui fait envie et nous donne la foi. Je reste aussi très admiratif
de l’évolution de Radiohead. Ils ont vraiment eu le parcours
contraire du cliché, premier album super puis ça ne fait
qu’empirer. Sinon des artistes inclassables comme Robert Wyatt,
Scott Walker, Ariel Pink, Dirty Projectors sont des sources
d’inspirations auxquelles je reviens très régulièrement. Ces
derniers temps, les moments où j’écoute le plus de musique c’est
dans la voiture en allant aux concerts. On a du Des’ree, du Alex
Cameron, du Phoenix ou du Brian Eno qui tourne pour le moment ! »
Hors-cadre
Bref,
à défaut de véritable psychédélisme, ce qui implique tout de
même toujours une volonté de défoncer les portes de la perception,
Robbing Millions s'inscrit plus dans une tendance vieille de
plusieures décades où la pop a pour noble intention de caser tout
un tas de frissons de traverse et d'idées pas si pop que ça dans le
cadre de morceaux directs, appréciables dès la première écoute,
assez catchy pour être sifflotés sous la douche même si
fondamentalement moins évidents qu'ils ne peuvent en avoir l'air de
prime abord. Ce sont surtout des morceaux qui prennent plaisir à
être joués en concert, étape primordiale de nos jours pour un
groupe pop, à une époque où la vente de disques ou de fichiers
digitaux ne suffit plus pour vivre son art. Heureusement pour Robbing
Millions, le concert reste bien davantage un plaisir qu'une
nécessité. « Malgré
les côtés difficiles, les trajets, les chargements de matériel
trop tard et trop bourré, les soundcheck pénibles et les attentes
avant de jouer, etc … être sur scène ça reste un plaisir, oui,
confirme
Lucien. Les
concerts avec Robbing Millions c’est un moment défoulant et
libératoire, c’est un peu mon sport (j’ai abandonné la
natation). La phase créative de Robbing Millions est un processus
assez solitaire, et le concert c’est un peu l’accouchement. Non
un accouchement ça serait trop douloureux, ça serait plutôt comme
des anniversaires, souvent t’as pas trop envie d’y aller mais ça
reste cool malgré le mal de tête du lendemain. Et le concert, j’y
avais pas pensé mais oui, c’est aussi une nécessité pour gagner
notre vie. J’en aurai peut être marre de porter des amplis à un
moment mais pour l’instant ça me va très bien. »
Forest
National
Comme
c'est parti, ça pourrait donc aller très bien longtemps pour
Robbing Millions, faire vivre au groupe quelques belles aventures,
sans doute même hors de Belgique, avant le split, puisque c'est dans
la nature des groupes d'un jour s'arrêter, sauf quand on s'appelle
les Rolling Stones. D'où une dernière question bien dans l'esprit
belge, second degré : que voudriez-vous le plus faire en tant
que groupe avant de splitter ? Réponse de Lucien Fraipont :
« jouer
à Forest »,
c'est-à-dire à Forest National, une salle de 8000 places qui est un
peu la référence historique à Bruxelles, là où viennent
(venaient?) tous les grands groupes étrangers. Robbing Millions a
fait mieux que ça, le groupe ayant déjà joué au Stade Roi
Baudouin (50 000 places) mais l'après-midi, le temps d'une session
vidéo, alors que l'endroit était vide. Alors, Forest National, vrai
fantasme ou grosse blague ? C'est que de notoriété publique,
le son des gros concerts est là-bas en général assez déplorable,
surtout pour des perfectionnistes comme Robbing Millions. Hoho,
humour belge, alors ? Ou pas ?
(Disclaimer) : Il y a quelques semaines, j'ai répondu à un appel d'offre de Wallonie-Bruxelles Musiques, l'un des organes de propagande du rock belge francophone, qui se cherchait des nouveaux rédacteurs, au ton un peu plus punchy. J'ai remporté cette affaire sans trop y croire et j'ai pondu dans la foulée ce premier papier sans trop me compromettre puisque je trouve le groupe plutôt bon. Il y a finalement eu une embrouille qui fait que mon offre leur coûterait plus que précédemment annoncé. A priori, c'est strictement administratif, une histoire de TVA impossible à exonérer, mais peut-être qu'une main velue invisible à décidé de ne pas laisser le gros troll défenseur du marché libre culturel que je suis fondamentalement trop traîner dans les arcanes du bon goût Made in Wallonia et que cette même main velue a poussé mon dossier vers la sortie. Quoi qu'il en soit, ce one-shot bien dégagé derrière les oreilles fut un travail de commande amusant. J'ignore totalement s'il sera un jour publié, encore moins où et sous quel format.