La
petite frime du moment, c'est de se montrer plus marollien qu'un
totteleir de la Deevestroet. Sur Facebook tout comme irl, on ne
compte en effet plus les Marolliens de coeur de l'Altitude 100, de
Tomberg, de Dansaert, du Parvis et même du XIème arrondissement.
Tant mieux, vu que cela a permis à
cette pétition contre
la construction d'un parking sous la Place du Jeu de Balle de
récolter 11.000 signatures, ce qui fait tout de même bien 4 fois
plus de voix que le bourgmestre Yvan Mayeur n'a jamais eu
d'électeurs.
N'empêche, ce dimanche soir, alors que je débarque
dans Les Marolles pour assister à ce festival de 24 heures de
musique contre ce projet urbanistique décrié, c'est ma première
réaction : « mais d'où sortent tous ces trous de culs, à
part du Thalys ? » Je me marre des looks et des accents de
Parigots et je me demande si empêcher que l'on construise un parking
sous la la Place du Jeu de Balle serait devenu une nouvelle Guerre
d'Espagne, avec ses brigades internationales venues combattre non
plus le fascisme mais la bruxellisation ? Au jeu du
micro-trottoir, je suis d'ailleurs sûr que certains me répondraient
qu'après tout, c'est la même chose, et c'est bien ce qui
caractérise le climat politique du moment, pas qu'à Bruxelles ou
même en Belgique, d'ailleurs. La vie citoyenne est devenu un énorme
Point Godwin permanent.
Moi
aussi, je pense que le
projet de transformation
du centre de Bruxelles défendu par le bourgmestre Yvan Mayeur et sa
majorité politique est assez minable. Ca n'a rien de visionnaire,
rien d'ambitieux, c'est même tellement nawak et naïf qu'il est
permis de penser que tout ça a été trouvé en jouant à Sim City
complètement bourré un soir d'overdose de rochers à l'alcool de
prune (ça doit bien se dégotter à Plaisirs d'Hiver ça, non?). Je
suis contre cette foutaise, foncièrement contre. Pourtant, tout
comme jadis Orwell à Barcelone, ceux dont je me retrouve allié de
facto dans ce trip contriste me semblent eux aussi tenir une bonne
couche. Déjà, je trouve que lorsqu'on est créateur de mode
alternative, photographe arty ou même intermittent de la pompe à
bière dans des bars de tatoués, ça la fout un peu mal de grogner
contre la gentryfication puisque l'on est soi-même facteur de
pré-gentryfication. Nananère. Ensuite, il y a donc trop de points
Godwin dans les discours, mais aussi trop de « libéralisme
ceci, de libéralisme cela », de caricatures du « gros
riche écrasant le petit pauvre ». Ca ne veut plus rien dire,
tout ça, ce sont même devenus des petits trucs faciles pour exciter
les gens de façon pavlovienne, comme l'est un bon gros « Put
your Hands in The Air » dans un mix de David Guetta. Dans les
Marolles, il y a un projet de construction de parking sous une place
hautement symbolique et patrimoniale alors qu'il existe deux parkings
sous-utilisés à moins de 500 mètres de là sous des places dont
tout le monde se fout. Pas besoin d'hystérie marxiste pour faire
comprendre que c'est profondément débile et que le type (ou la
jeune blonde libérale flamande) qui envisage très sérieusement que
c'est ça l'avenir est plus que la moitié d'un halve gekloechte,
comme on dit (de moins en moins) à l'ombre du Palais de Justice.
C'est
donc avec cette désinvolture politique certaine entre les deux
oreilles que je débarque ce dimanche soir au Chaff, bistrot de la
Place du Jeu de Balle lui même d'ailleurs assez gentry, et qui
organisait un festival musical de 24 heures en soutien à la fronde
citoyenne. C'est une véritable performance, totalement improbable,
montée à l'arrache en seulement quelques heures de networking par
Rodolphe Coster, le programmateur, un travail de fou, bravo,
vraiment. Certains ont accusé les bars participants (Le Chaff, La
Brocante, Le Renard Bleu) de se servir de la mobilisation autour du
scandale urbanistique pour se remplir les caisses et, disons les
choses comme elles l'ont été, s'il est vrai que tout cela partait
d'une intention très citoyenne, du fond du coeur, c'est en fait
assez vite devenu un bon prétexte à la grosse rigolade alcoolisée.
Je suis arrivé avec l'idée qu'il pouvait se passer plein de choses,
y compris déplaisantes (kikou, Polbru), que je pouvais d'un instant
à l'autre me retrouver dans la peau d'un reporter de guerre mais
dans les faits, il ne s'est pas passé grand-chose de très
racontable. C'était une joyeuse ambiance, bien qu'un peu bizarre,
presque cachée, pas non plus vraiment mobilisatrice puisque le froid
et le crachin ont fait fondre les 3000 participants annoncés sur
Facebook à seulement quelques centaines de personnes. Etrangement,
ce n'était pas non plus très bruyant et, en journée, la vie locale
a même continué autour des bistrots comme si de rien n'était.
De
la nuit, je retiens tout particulièrement le concert des Butcher
Boogie, du punk bien gras, et l'ambiance caliente du Chaff sur le
coup de 2 heures du mat, ambiance qui n'était pas sans rappeler
l'Acrobate des nineties : à l'idée, il repoussera une mycose
sur la langue des véritables connaisseurs. L'image de la journée,
c'est le dj du Chaff qui passe Mylène Farmer pour des touristes
bouffant des hamburgers végétariens et tout le monde semble s'en
foutre, lui y compris. Tout ce gros LOL peut également se résumer
par une phrase entendue aux toilettes très tard dans la nuit et
prononcée avec un accent parigot à couper au couteau : « Ouais
mais ce parking, il sera fumeurs, au moins ? »
Je
ne voudrais toutefois pas avoir l'air de minimiser le truc, sa
portée. Sur le moment, ça ressemblait aussi à un bal un peu
triste, dans le froid et la pluie, la fête hystéro avant le verdict
de mort annoncée. Restons toutefois calmes. Lundi soir, la motion
politique était votée et ce parking pourrait donc en principe se
construire. On sait toutefois que le plan est bien boiteux. « Est-ce
que le parking est la solution ? Nous ne le savons pas. »,
aurait lâché Yvan Mayeur en personne, ce qui est surtout une
stratégie politique en soi, vu que le plan est principalement
défendu par Els Ampe, Open-VLD, autant dire un pion sacrifiable par
les ténors PS et MR de Bruxelles-Ville. Cette fête a donc marqué
le début de quelque-chose, d'une mobilisation qui va continuer et,
probablement, réussir à faire abandonner cette idée de parking
comme ont jadis été abandonnées les idées d'extension du Palais
de Justice et d'asphaltage de la Place du Jeu de Balle. Ce n'est
toutefois pas gagné, vraiment pas. Dimanche midi, le
Promoteur et sa Fidèle Epouse la Bureaucratie
ont été pendus à un arbre de la place mais il reste encore à les
enterrer. De préférence gueule en terre, histoire de pouvoir encore
s'enfiler d'autres sloekskes en leur déshonneur, si cela ne tenait
qu'à moi.
Chronique publiée sur le site du Focus Vif le 2 décembre 2014