En
2008, à l'occasion de la sortie de leur Best Of sur Eskimo
Recordings, j'ai écrit un article sur Allez Allez pour le magazine
français Trax, à la demande du rédacteur en chef d'alors, Patrick
Thévenin, qui connaissait et appréciait le groupe, comme beaucoup
de mes proches qui avaient déjà les oreilles grandes ouvertes
durant les années 80.
Dans mon petit milieu, il existait et existe
toujours un consensus autour d'Allez Allez, considéré comme plutôt
bon, ou du moins plutôt appromixatif mais avec quelques moments
d'excellence. J'ai aussi publié cet article sur le blog que je
tenais alors et il n'a pas fallu dix minutes pour que cela s'empoigne
ferme dans les commentaires. A mon grand étonnement, j'ai découvert
que dans le monde du dehors, il semblait en fait aussi y avoir une
véritable détestation à l'égard d'Allez Allez. On a même été
jusqu'à me reprocher ce qui me semble pourtant de plates évidences,
à savoir que Marka, le bassiste du groupe, était devenu “en
francophonie belge une célébrité, actif dans la variété rock et
marié à une vedette du stand-up, Laurence Bibot” et que les
guitaristes Nicolas Fransolet et Kristiaan Debusscher avaient
quelques années après le split d'Allez Allez été “membres des
Snuls, comiques trash ayant secoué la télévision de 1988 à 1993
et restés immensément cultes depuis.” Durant quelques jours, sur
mon blog, le cirque Internet a carburé à mort : de simples
critiques à propos d'un article sur un groupe d'il y a plus de 30
ans, on est passé à du racisme anti-bruxellois, du révisionnisme
concernant les Snuls, des parti-pris débiles à l'encontre de la
dance-music, des saloperies sur Bibot et la RTBF, ainsi que la
dénonciation de la subsidisation suspecte des spectacles de Marka à
Cuba. J'en passe des plus gratinées encore.
Je
n'ai toujours pas compris le déclic de ce tsunami critique, même si
Marka et Debusschere m'avaient en interview expliqué s'être à peu
près mis à dos l'entièreté du milieu musical durant l'aventure
Allez Allez, autrement dit, avoir l'habitude de provoquer des
réactions viscérales. Et de n'en avoir strictement rien à foutre.
Dans Rock au Royaume, son bouquin sur le rock belge de 1985, le
journaliste Philippe Cornet avance même que c'est en partie à cause
d'Allez Allez que les filiales bruxelloises de firmes de disques
internationales ont longtemps hésité avant de signer des groupes
locaux et de mettre les moyens pour qu'ils fonctionnent vraiment.
“Allez Allez a été disqualifié aux yeux des majors par une
attitude jugée infantile, capricieuse malgré un début de carrière
très prometteur – deux albums qui se vendent bien et une
possibilité réelle de mordre le marché britannique grâce à leur
chanteuse anglaise”, écrit Cornet, expliquant plus loin que les
Flamands à la tête des majors se sont longtemps méfiés des
Francophones à cause justement de cet amateurisme élevé au rang
d'art noble.
Franz
Beckenbauer à la basse
Faut
dire que les Allez Allez n'en ont pas raté une. Dans mon article
pour Trax, Marka expliquait qu'un moment, “il y a vraiment eu
beaucoup d'argent en jeu. On était signés sur Virgin UK et le label
considérait avoir 3 priorités : Simple Minds, Culture Club et nous.
Histoire de finaliser l’accord, on a eu cette réunion avec Brian
Carr, l’avocat des Sex Pistols. Ca reste le plus grand fou rire de
ma vie. Il demandait nos noms pour les contrats et nous, on se
foutait carrément de sa gueule, on lui balançait ceux de célèbres
joueurs de foot : Johan Cruyff, Franz Beckenbauer... » C'est au même
moment, alors qu'Allez Allez se sabotait donc la possibilité de
marquer au fer rouge la pop eighties que la chanteuse Sarah Osborne
décide de se marier avec Glenn Gregory du groupe Heaven 17, mais
aussi de quitter le monde de la musique pour devenir peintre. Allez
Allez ne s'en est jamais vraiment relevé, continuant péniblement
jusqu'en 1985, enregistrant même un album jamais sorti avec une
chanteuse black et le DJ/producteur Mark Kamins, mais ce fut “un
véritable chemin de croix”, selon Marka. Dont tout le monde se
fout, eux y compris. L'âge d'or (en contreplaqué), de 1981 à 1983,
c'était avec Osborne, qui chante sur ce que l'on peut appeler les
tubes du groupe : She's Stirring Up, Allez Allez, African Queen et In
The Valley of The Kings.
Les
3 premiers de ces titres se retrouvent sur African Queen, un
mini-album totalement culte, du moins parmi mes fréquentations et le
milieu dance, en Wallonie, c'est moins évident. C'est un disque qui
continue de se traquer sur Discogs, surtout dans sa version du label
Scalp de feu Gilles Verlant.
«
Dans la foulée de She’s Stirring Up qui marchait déjà fort bien,
expliquait en 2008 ce même Verlant dans Trax, on a très vite sorti
le mini album African Queen et là, il s’est passé tout ce truc
assez phénoménal autour du groupe, très drôle à vivre : disque
d’or en Belgique, tout un tas de concerts, la signature sur un
label anglais, le deuxième album jugé prioritaire par Virgin… »
African Queen est surtout porté par le morceau éponyme, un funk
lent et fiévreux qui sonne un peu comme Grace Jones emmenée à
Matongué par des poivrots ucclois à la fermeture du Mirano. Les
autres titres phares de l'EP sont donc She's Stirring Up et Allez
Allez, qui ont justement cartonné au Mirano, ces années là, mais
ont aussi connu un gros regain d'intérêt presque 30 ans plus tard,
alors qu'il se mariaient très bien aux beats de LCD Soundsystem, Hot
Chip et des Chk Chk Chk, groupes punk-funk plus récents dont les
Allez Allez étaient en quelque sorte les grands oncles. Le genre de
grands oncles à sortir des grosses blagues de cul gênantes aux
banquets familiaux et donc à ne plus y être invités par Mémé. Ce
qui est bien dommage. Allez Allez forever. Et pour les rockeurs
wallons, la même chose.