Il
y a quelques années, j'ai longuement interviewé à;Grumh et c'était
tellement bien que j'aurais du tirer de cette rencontre l'un des
meilleurs papiers de ma vie. La poisse en a décidé autrement : lors
d'un déménagement chaotique, j'ai perdu la bande et, peu après,
l'ordinateur sur lequel j'avais commencé à écrire le texte a
crashé.
C'était un entretien assez définitif, durant lequel nous
n'avions pas parlé que du groupe et de sa musique mais surtout de la
nécessité de laisser les choses derrière soi, sans se retourner.
Philippe Genion, jadis leader d'à;Grumh, était à l'époque
artificier, oenologue, critique gastronomique et préparait déjà ce
fameux bouquin sur les barakis et le vocabulaire usuel belge dont il
allait plus tard vendre plus de 25.000 exemplaires.
Genion
enregistrait encore de temps à autre quelques morceaux d'ambient et
d'indus, parlait volontiers du groupe et de ses frasques d'antan,
mais n'envisageait toutefois pas une seule seconde un come-back ou
des concerts-anniversaires, sinon dans un cadre restreint, presque
anonyme. Refaire ce qu'il avait fait jeune n'avait pour lui aucun
sens, disait-il, et il le disait bien, de façon émouvante et
exemplaire. Depuis, à;Grumh est remonté sur scène, notamment au
Coliseum de Charleroi le 14 novembre 2014, mais cela n'enlève pas
grand-chose à son discours sur la nécessité de refuser la
nostalgie, d'avancer, de fermer les portes derrière soi.
J'étais
à cette époque embourbé dans une rupture difficile, en plein
burn-out, mon passé et mon confort partaient en lambeaux. Toute
cette discussion sur la résilience m'a fait un bien fou et je
continue parfois à penser qu'il était écrit que je devais tirer
une leçon de vie de ma rencontre avec à;Grumh. Un détail bizarre
me semble confirmer cela. Je suis arachnophobe et je m'étais mis
dans le crâne, vu la réputation sulfureuse de ces mecs, qu'ils
étaient bien du genre à avoir chez eux un vivarium plein de
mygales. Sur le trajet, c'est devenu une obsession, une vraie
crainte, puis, je n'ai y plus pensé du tout, vu qu'il n'y avait en
fait aucun vivarium dans la maison de Genion. On a fait l'interview
au jardin, en buvant du vin bio, et juste à la fin, alors que je
rangeais mes notes et mon enregistreur, une grosse araignée de ville
est descendue du toit de la pergola le long de son fil, pile-poil
juste au-dessus de la dernière bouteille que l'on venait de vider,
pile-poil entre nous. Je ne l'ai pas trouvée repoussante, à vrai
dire même assez jolie. Elle m'a surtout semblé être envoyée par
le cosmos, qui avait donc quelque-chose à me confirmer.
Kidnapping
Durant
cette interview, Philippe Genion et son comparse m'ont raconté de
véritables dingueries. J'avais débarqué à Charleroi sous un ciel
de plomb et il paraît que c'est cette chaleur qui a fait qu'ils ne
m'ont pas enlevé. Ils avaient en effet joué avec l'idée de me
choper à la gare, me foutre un sac sur la tête, me caler dans le
coffre de la bagnole et m'emmener dans une cave où me faire croire
que je venais d'être enlevé par des maffieux de Charleroi qui se
seraient trompés de cible. Ils se sont dégonflés au dernier
moment, m'ont-ils dit, parce qu'il faisait ce jour là trop chaud
pour ce genre de connerie. Durant les années 80, ils ont joué un
tour similaire à un journaliste du New Musical Express. Ils l'ont
traîné dans l'un des bistrots les plus pourris de Charleroi, ont
commencé à faire mine de se disputer durant l'interview et puis,
ont carrément fait semblant de s'entre-tuer devant le scribouillard
ébahi puis carrément paniqué ; vu que le groupe avait pensé à
apporter sous ses vêtements des poches de faux sang à faire couler.
Genion a insisté je ne sais combien de fois que c'était là
l'essence même d'à;Grumh. Une grosse blague bizarre. Qui aurait
échappé à pas mal de monde.
Durant
ses années d'existence, de 1985-1986 à 1991, le groupe n'est en
effet pas vraiment réputé marrant, du moins par ceux qui n'en
connaissent que l'image publique. Si dans l'Electronic Body Music,
Front 242 passa pour des fascistes et The Neon Judgement pour des
junkies obsédés sexuels, à;Grumh se coltina plutôt une image de
dangereux pervers dépravés, rednecks peut-être satanistes, en tous
cas sectaires. Le groupe passait pour nettement plus fou et un peu
plus dangereux que les autres, mené par un Philippe Genion qui tout
gentil gay puisse-t-il être dans la vie quotidienne a évidemment
quelque peu abusé d'une image outrancière pédé/cuir/S&M/dirty,
comme cela se faisait en fait assez couramment à l'époque.
Jesus
Jumps Across The Water
A;Grumh
n'a pas tenu que du petit culte underground provincial. C'est un
groupe qui a beaucoup tourné (Europe, USA, Canada...) et a sorti pas
mal de disques, certains aujourd'hui très difficiles à dégotter.
C'est parfois assez mauvais, parfois plutôt bon. Eux aussi partis
d'ambiances industrielles et de beats martiaux, des groupes comme
Front 242 et The Neon Judgement ont fini par atteindre une certaine
souplesse dans leurs compositions, sonner sexy et toucher un public
plus large, notamment de clubbeurs. Ce n'est pas le cas d'A;grumh,
toujours resté dans sa niche plutôt darkwave, et qui, au mieux, se
rapproche de Throbbing Gristle, Coil et DAF, au pire, sonne comme une
parodie de méchante electro par Frédéric Jannin et les Snuls,
comme sur ce morceau (Sucking Energy selon Deezer, mais
c'est une erreur) où des phrases de la vie quotidienne sont dites
avec un accent wallon prononcé sur un beat electro pas très
compliqué mais bien tapageur.
Mix
Yourself/No Way Out est sans doute ce que le groupe a sorti de mieux.
A l'origine, il s'agit de deux EP's séparés repris plus tard sur un
seul CD. Le culte qui l'entoure est du à la difficulté de le
trouver mais aussi au fait qu'il contient, en différentes versions,
ce qu'à;Grumh a sorti de plus proche d'un tube : le très long Jesus
Jumps Across The Water, This is a New Fashion, qui donne un peu
l'impression de voir jammer ensemble les Virgin Prunes, The Neon
Judgement et Fad Gadget. Et ça, comme on disait à l'époque : «
c'est pas de la couille, c'est de la new-wave ». De la toute bonne,
même.