Si
dans la longue histoire du rock belge, il existe quelques cultes bien
répertoriés (Jacques Duvall, Les Tueurs de la Lune de Miel, La
Muerte, Channel Zero, Neon Judgement..), il y en a d'autres qui sont
un peu oubliés, un peu davantage pris pour des reliques d'un temps
passé, alors qu'ils méritent pourtant autant une passion actuelle
toujours fiévreuse qu'une réhabilitation massive.
Trublion
de Tirlemont, Luc Van Acker passe dès 1981 pour le wonderboy du
post-punk flamand. Il se fabrique des maxis à la maison, du genre
hargneux, incantatoire et tapageur, un peu dans la mouvance Pop
Group/Slits, qu'il vend ensuite lui-même à différents disquaires
européens, sur place, au porte-à-porte. « C'était le meilleur
moyen d'étrenner mon permis de conduire », fanfaronne-t-il plus
tard à la presse. En 1984, il obtient un deal d'EMI-Belgium pour
enregistrer un album, qui se touille dans d'excellentes conditions et
avec du beau monde en studio : la chanteuse américaine Anna Domino,
avec qui il signe plusieurs titres du disque, Blaine Reininger de
Tuxedomoon, Dave Allen de Schriekback, Brian Nevill de Pig Bag, David
Rhodes du Peter Gabriel Band, Ian Caple aux petits boutons, ainsi que
Jean-Marie Aerts de TC Matic en renfort caisse. Il en vend environ
10.000 exemplaires, surtout en Flandres et aux Pays-Bas. A échelle
belge, c'est donc un succès. Presque pop.
Wild
& Angry
Le
tube sur The Ship, c'est Zanna, un duo avec Anna Domino qui est au
fil des ans devenu un véritable classique en Flandres, dont il
existe désormais d'horribles reprises, y compris en flamand. Apaisé,
joli, jazzy, c'est un morceau qui trompe sur le reste de la
marchandise. The Ship dégage en effet principalement une ambiance
moite, plutôt méchante. Luc Van Acker y hurle comme un possédé
sur du white funk graisseux aux entournures, parcouru par une vibe
africaine de pacotille. C'est un album qui s'inscrit fort bien dans
une certaine mouvance du milieu des années 80, le post-punk funky,
ici toutefois nettement plus proche du tapage brut des Anglais
énervés de Shriekback et Pop Group que du trip séduisant à la
Talking Heads/Gang of Four. C'est un album sale, fiévreux,
rentre-dedans, pas forcément amical, et quand les morceaux sonnent
vraiment pop, cela tient presque de l'accident. Je ne critique pas
ça, bien au contraire. Tout cela en fait justement un grand disque,
un peu malade, étrange, presque pervers. Presque parfait, donc.
I
Love You but I've Chosen Darkness
Vu
les 10.000 exemplaires vendus, The Ship aurait pu être un tremplin
vers le succès pop massif pour Luc Van Acker mais, comme il
l'explique sur les notes de pochette de la réédition de 2005, il ne
lui a fallu que 56 concerts dans la foulée du disque pour en avoir
déjà complètement marre. Lessivé, assez à l'Ouest, il sabote en
quelques mois seulement sa carrière de pop-star new-wave flamande
naissante. En 1985, The Ship est coulé et Luc Van Acker part
déconner aux Etats-Unis avec les délicieusement abominables
Revolting Cocks, groupe provocateur où gigotent alors aussi Al
Jourgensen de Ministry et Richard 23 de Front 242. C'est un choix
complètement assumé. Par la suite, on ne reverra en effet plus très
souvent Luc Van Acker pop et (presque) propret sur le devant de la
scène. Depuis 2005, il a bien de temps à autre rejoué The Ship
dans son intégralité, souvent pour un public corbaque nostalgique
des eighties, mais il est désormais notoire que le bonhomme est
nettement plus à l'aise dans son rôle de producteur et de musicien
de l'ombre et des marges que dans celui de frontman habillé en marin
chantant la fièvre dans le sang. C'est tout à son honneur, celui
d'un type qui mériterait assurément aussi de faire l'objet d'un
bouquin très détaillé, vu le nombre de vies musicales délirantes
qu'il a vécues et la tonne d'anecdotes souvent incroyablement drôles
qu'il charrie depuis des années. Un bonhomme encore plus culte que
son disque le plus culte, en somme.