Je
dois bien l'avouer, je n'aime pas beaucoup le personnage d'Arno, qui
tient pour moi du gros relou, voire même du cassosse. De façon
toute personnelle, je le vois comme une imitation de Nick Cave par
Urbanus van Anus ou la version « Merditude des Choses » de Shane Mc
Gowan, le chanteur des Pogues.
On a dit de lui qu'il était le Tom
Waits belge, le Jacques Higelin flamand, éventuellement même aux
débuts de TC Matic, le John Lydon ostendais. Moi, je pense surtout
qu'Arno, c'est Arno, c'est-à-dire une carte postale ambulante de la
Belgique sous cloche : poésie de la lose, bon sens des petites gens,
émotion à fleur de bite, cuites à la pils, rots mongolos et morale
simplette. Je peux me tromper, passer à côté de son génie mais
c'est comme ça que j'encaisse le personnage et pour quelqu'un comme
moi, qui se méfie de la boue, du folklore social immuable et de la
simplicité, ce n'est pas très glop. Le « vrai » Arno, s'il en
existe un, je ne le connais pas, je ne l'ai jamais rencontré, vu que
la seule fois où j'ai interviewé le zigue, en 1992, il a gardé le
cap du personnage : en descente à 17 heures, l'animal m'a taxé
l'entièreté d'un paquet de clopes neuf en moins de 44 minutes et
s'est un peu vexé alors qu'après avoir sorti une énorme connerie
qu'il avait l'air de trouver très intelligente, il m'a fallu dix
minutes de fou rire avant de pouvoir reprendre le fil de la
conversation. On peut ajouter au dossier que lorsque j'étais gamin,
TC Matic me terrorisait, tout particulièrement la chanson Oh La La,
qui semblait relever du bruit qui sonorise les pires cauchemars,
d'une torture chantée par le Monstre dans l'Armoire.
Whoop
That Thing
C'est
peut-être bien parce qu'il est sorti en 1990 que Ratata, le
troisième album solo d'Arno, est celui qui me reste bizarrement, qui
relève même pour moi du véritable culte, le seul que j'ai eu
vraiment envie d'écouter. Et puis de réécouter. 1990, c'est
l'année de mes 20 ans, de mon service militaire, du début de ma
défiance envers les critiques des Inrocks, aussi. Cela explique en
partie pourquoi je me suis tourné vers ce disque : dans les casernes
en Allemagne, un 33-tours neuf s'achetait au prix d'un Annie Cordy
sur une brocante, alors, moi, j'achetais à peu près tout ce qui
sortait, avec une attention toute particulière à ce dont les
Inrocks semblaient se méfier ou se moquer. 1990, c'est une année
complètement fascinante pour la pop. Une période très optimiste où
l'on imagina le monde en voie d'être totalement pacifié ou presque,
ultra-connecté, multiculturel. Dans la pop, cela se traduisit par de
nombreux mélanges, une volonté de crossover total : du dub avec du
rock, des multitudes de samples, des influences orientales, de la
musique électronique, des accordéons avec de la soul... Cette
volonté d'exploser les clivages, de faire sonner très naturels des
mélanges inédits, se ressent très fort sur Ratata. Lonesome Zorro,
le morceau d'ouverture fait un peu penser à Peter Gabriel, qui
venait alors de sortir l'album Passion, peut-être ce qu'il a fait de
mieux dans sa carrière.
La plupart des autres morceaux semblent quant à eux influencés par les Négresses Vertes, groupe alors incontournable mais aussi très typique de l'époque. C'est sans doute ça, la magie Ratata : c'est Arno géré par Virgin-France. On essaye de sortir l'animal de sa zone de confort, de lui faire jouer le Beau Bizarre plutôt que le Belge, de le placer sur la carte de la sono mondiale, de l'ancrer dans l'époque plutôt que de le laisser se transformer en chantre de la nostalgie bluesy-punk. Le résultat est plaisant, énergique, même si aussi un peu plastique, peut-être même annonciateur des molles heures du trip-hop à venir. Arno y chante d'une voix plus ronde et chaude que du temps de TC Matic. On a exorcisé l'armoire, le monstre semble apprivoisé, apaisé, amusé. Normal, on est en 1990, l'année la plus optimiste de l'histoire contemporaine. Il y a un morceau qui s'appelle « I've Done My Best ». Pour une fois, on est d'accord.