Je n'aime
pas les festivals et qu'on ne vienne pas me dire que c'est parce que
je suis vieux, je ne les aimais déjà pas quand j'étais jeune.
Quand je dis festivals, j'entends les festivals à la campagne comme
Werchter, Dour ou le Pukkelpop.
Je n'ai rien contre les bons
festivals urbains pointus comme le Bozar à Bruxelles ou la Villette
Sonique à Paris. C'est une autre expérience, celle d'une soirée un
peu longue et variée. On arrive propre, on a bien mangé, on rentre
chez soi ou on va en after quand c'est fini. Rien à voir avec
l'expérience Koh Lantah d'un festival campagnard de plusieurs jours
dont on est quasi prisonnier. J'ai un jour osé parler de « camps
de concentration de vacances » et malgré le Point Godwin, je
maintiens. Je pense que ces festivals sont fondamentalement des
stalags du faux cool.
On nous
vend une expérience larger than life, c'est comme ça que les
festivals font leur promo. On nous vend donc un PUTAIN DE PETIT
FESTIVAL DE PETITES MUSIQUES comme on nous vend du trekking au Népal
ou un safari en Afrique. Ce n'est pas que ridicule, c'est surtout
mensonger. Si un sanglier attaque ma tente en pleine nuit au fin fond
de la Patagonie ou que des mecs bourrés me font un plan à la Eden
Lake dans la cambrousse, c'est une aventure, oui. Par contre, si un
connard de rasta blanc bourré à la Cara coupée au shit pisse sur
cette même tente à Dour ou joue du djembé toute la nuit quand
j'essaye de dormir alors que mes oreilles sifflent encore après 14
heures de musique non-stop, c'est une nuisance, et pas grand-chose de
plus. C'est pourquoi, moi, je vois les festivals comme une suite de
nuisances entrecoupées de concerts.
On
transpire, on sue, on pue, on se trimballe dans le même short durant
4 jours. On ne mange que des frites, des saucisses carbonisées ou du
bête taboulé. On boit de la bière plate et chaude à s'en faire
exploser la vessie, on se drogue avec de la peinture raclée du mur
de Fukushima. Tout ça pour quoi ? Attendre de voir jouer les
Chemical Brothers ou Faith No More en pilotage automatique. Car il
faut bien admettre que ces concerts sont rarement bons. Il y a des
exemples qui me contredisent, bien sûr, mais je n'ai pas le souvenir
de prestations inoubliables en festivals. J'ai plutôt le souvenir
d'avoir kiffé des prestations moyennes uniquement parce que j'étais
dans un état qui m'aurait fait kiffé un playback de Flûte de Pan
Rue Neuve. L'énergie n'est pas la même que dans une salle. L'enjeu
n'est pas le même. Les conditions non plus. Dans le domaine de la
musique électronique, les DJ's ne jouent pas la même chose devant
20 000 ou 30 000 personnes que dans un club. Ils privilégient plutôt
le gros boumboum à la finesse, aux dérapages. Bref, à
l'intéressant.
Ca, c'est
mon expérience client, on va dire. Maintenant, si je dois parler en
tant que journaliste, c'est carrément plus dramatique. Déjà, je
trouve qu'on ne devrait pas plus parler dans les médias des
festivals que des carnavals, des kermesses et des brocantes. C'est du
même ordre : de la liesse populaire sans surprise, calibrée,
chaque année le même cirque. La couverture des festivals prend
beaucoup trop de place, au détriment de la véritable information,
du véritable travail journalistique. Les premiers noms de Dour et
des Ardentes tombent en février, ça fait des articles et des
interviews alors qu'au fond, on s'en fout, c'est même carrément
risible. Si ma mère annonçait le repas de Noël à Pâques, toute
la famille la traîterait de toquée. A raison.
Or, le
journalisme musical, ce n'est plus que ça : des chroniques de
disques, des interviews promo, des reviews de concerts et des
annonces de festivals. Quand ce ne sont pas les festivals belges dont
on parle, on envoie les journalistes à l'étranger pour couvrir
South by Southwest, Europavox ou ce truc en Islande, Airwaves. Moi,
je voudrais lire (mais aussi écrire) des articles de fond sur du
rock barjot du passé et du futur, des reportages sur des scènes
inconnues, longuement chroniquer et contextualiser des bouquins et
des ressorties... Bref, tout ce qui est généralement expédié en
15 lignes parce que le maximum d'espace est dédié à la promotion,
donc aussi aux festivals, puisque nous vivons dans un pays où il y
en a genre 600 par an et ils bataillent ferme pour se faire
connaître.
Binge-drinking et statut d'artiste
Le pire,
c'est qu'on ne couvre même pas bien ces festivals. Même des
fanfarons comme Vice n'arrivent pas à chaque année sortir autre
chose qu'une sorte de guide pratique et utilitaire. Pour un
journaliste, il y a pourtant bien des choses intéressantes et même
passionnantes à écrire sur les festivals : comment et pourquoi
ils sont subsidiés même quand ils sont bénéficiaires, comment ils
se font la guerre pour avoir tel ou tel gros artiste, comment l'orga
est généralement politisée, pourquoi ils tuent éventuellement le
clubbing... Mais ça ne se fait pas, car tout le monde se contente
d'essayer de plaire et de rendre service au public plutôt que de
véritablement l'informer. Le public ne demande d'ailleurs pas à
être informé. Un festival, c'est un alibi culturel à un mélange
de barbecue et de binge-drinking. Une soirée camping animée par
Girls in Hawaii, un fond de tiroir Ninja Tune et Villalobos pour les
bites du public, l'occasion de l'année pour tout un tas de musiciens
de prouver que leur statut d'artiste n'est pas usurpé.
Dans les
médias, il n'y a pas que les journalistes qui font n'importe quoi
avec les festivals. Le marketing, c'est pareil. Dans un magazine
gratuit anglais, je suis tombé sur une publicité pleine page pour
une marque de tentes. C'est dingue mais vendre de l'espace
publicitaire à une marque de tentes dans un magazine qui parle de
festivals, il semble bien que personne n'y ait pensé avant. En
Belgique, dans un pays où il y a donc au bas mot 600 festivals par
an, personne n'a visiblement encore pensé à faire financer son
magazine ou son webzine en période de festivals par des fabricants
de matériel de camping, de vêtements de pluie, de kits d'urgence
médicales, de frigoboxs, de crème solaire, de shorts, d'aspirines,
de chaussures permettant de rester debout immobile 12 heures
d'affilée sans se niquer le dos, de capotes, d'alcools en cubis, que
sais-je encore... Après, on s'étonne que la presse musicale se
meurt et qu'Internet se cherche toujours un modèle économique.
Et qu'on ne
me parle pas de Tomorrowland. Tomorrowland, c'est le concept
professionnalisé d'une rave dans un parc d'attractions et, aux
Etats-Unis et au Canada, il y en a déjà eu quelques-unes du genre,
il y a 25 ans. Rien de neuf sous le soleil, donc, c'est juste plus
pro, plus grand, plus tapageur. Ce qui n'est selon mes critères pas
forcément une qualité. Maintenant, oui, j'ai 45 ans et mes attentes
par rapport à la musique sont basées sur les claques que j'ai eu
dans des petits clubs pour l'electro, la house et la techno, dans des
concerts un peu dingues et sauvages en ce qui concerne le punk et le
garage, et dans des bars. Même les raves, ce n'était pas pour moi,
même si je pense qu'elles furent très importantes à un niveau
sociologique et que je les respecte pour ça. De plus, les raves
étaient une aventure, étaient excitantes. Il ne s'agissait pas de
simple consommation, comme le sont Coachella, Glastonbury et
Tomorrowland, les modèles absolus pour les festivals actuels. Les
raves étaient une forme de contre-culture illégale, rebelle et
sauvage alors que les festivals ne sont que des produits commerciaux.
Qu'en connaissance de cause et vu la recette, je n'ai tout simplement
pas envie de consommer.
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