Avec Caroline Music,
le quasi (*) dernier disquaire indépendant de la ville qui
disparaît, et la librairie Darakan qui ferme ses portes, c'est un
« certain » Bruxelles « alternatif » qui se
meurt encore un peu davantage. Soyons francs : ado, ces magasins
ont beaucoup compté pour moi et, plus tard, ils sont devenus des
buts de promenades en soi. Ces dernières années, par contre, je n'y
achetais plus grand-chose. Peut-être qu'y claquer régulièrement 50
balles comme je le faisais jadis leur aurait permis de vivre encore
quelques années ? Peut-être pas ? Il y a , je pense,
quelque-chose d'inéluctable -l'air du temps, l'offre, la demande...-
qui pousse au trou ce genre de commerces, au fond d'obédience punk.
Disquaire indé et libraire spécialisé dans les trucs gay, les
polars et le cinéma, ce sont sans doute des métiers disparus. Il va
bien falloir l'admettre et passer à autre chose. Via un bête
Iphone, j'ai aujourd'hui accès à plus de culture « alternative »,
de savoir et d'items commercialisés que Caroline Music et Darakan
réunis n'auraient jamais pu m'en offrir. Je ne pense donc pas que
c'est la culture « alternative » bruxelloise qui
disparaît avec la fermeture de ces magasins. Ce sont plutôt
quelques-uns de ses passeurs et de ses symboles qui disparaissent
mais vu que l'accès à cette culture n'a jamais été aussi facile
et neutre, est-ce tellement grave ?
A priori, non. Cela ne
change quasi rien à ma consommation culturelle. Par contre, cela
transforme énormément mon environnement, détruit un peu du lien
qui m'unit à cette ville, à ses habitants. Je me ballade dans le
Centre-Ville avec derrière l'oreille l'envie de claquer quelques
kopecks et je ne trouve plus aucune vitrine qui ne me donne envie de la
lécher, aucun magasin pour moi très engageant. Je suis dans un
univers particulièrement repoussant de boutiques de fringues pour
cagoles, demi-hipsters, Guetta en devenir et Flamoutches en pleine
reconquista. Ca pue la gaufre, la praline, la babelute, le kebab, la bière et les moules.
C'est plein de snacks pourris et de night-shops qui blanchissent
l'argent du trafic international du fil de cuivre. Les dernières friperies rock ne sont même
pas foutues de dégotter une veste de cuir correcte à Saint-Cloud ou
Amsterdam et vendent donc leurs merdes de gitans par pure
fainéantise. Je sais où trouver et acheter ce dont j'ai besoin, ce
n'est pas le problème. Ce qui me chipote, c'est que je ne trouve
plus aucun endroit où me laisser tenter par l'acte d'achat
compulsif, où me faire séduire par le facteur Waow, cette euphorie
shopping qui m'a jadis fait rapporter à la maison avec beaucoup de bonheur sur
le paquet de bien grosses conneries des Galeries Agora, des petits
disquaires, des bouquinistes, des vendeurs d'affiches et de babioles,
etc... En fait, c'est tout comme si cette ville n'avait plus rien à
offrir à des types comme moi, déjà vieux mais toujours rebelles,
rigolards mais aussi portés sur la prise de tête au ciné et dans
les livres, coquets mais trop pour H&M et pas assez pour Margiela
et Dansaert. C'est comme si Bruxelles m'invitait à ne tout
simplement plus sortir de chez moi et à tout gratter du web. Ou à rentrer
dans le rang, choisir entre Louise, Uccle ou Rue Neuve. Ou alors à dégager. Mais pour aller où ? La dernière fois que j'ai été
à Londres, c'était exactement pareil. Comme sans doute partout
ailleurs. La disneylandisation de l'espace urbain et la victoire absolue du puta-store, pas vraiment nouveau comme concept. What a waste.
(*) Il reste Sunset Music à La Bascule