lundi 26 février 2024

KINOCOSMANI (4) : LA SOLUTION FINALE PAR LES HIPSTERS

J'ai bien aimé The Zone of Interest. C'est un film que je reverrai un jour avec plaisir. Ce qui est en fait son problème majeur ; vu que The Zone of Interest est un film sur l'Holocauste, sujet on va dire tout sauf plaisant. Une demi-heure après être sorti de la salle, je mangeais des frites avec grand appétit, content de mon expérience client au cinéma. Or, je ne pense pas qu'il soit fort normal de sortir d'un film sur l'Holocauste avec un appétit d'ogre, le cœur léger et des vannes plein la tête ("Woula, les nazis et leurs coiffures de draris!") C'est la preuve que quelque-chose a cloché. Peut-être moi. Plus certainement le film.


Certes, The Zone of Interest m'a raisonnablement fait stresser. Il y a des scènes impressionnantes, des acteurs habités, une ambiance dégueulasse fort bien rendue et le travail sur le son et l'image est juste dingue. Cela n'en fait cela dit pas forcément un bon film, vu qu'il y a aussi quelques passages bien branlants, voire branleurs. Après un très convaincant début et une gradation dans l'horreur rondement menée, un moment, on ne semble même plus trop savoir où on va, ce que l'on veut dire, transmettre. On ne sait même plus trop qui on voit à l'écran.


Je suspecte aussi fort le réalisateur Jonathan Glazer d'avoir piqué à Alan Moore l'idée de la projection dans le futur. Attention, spoiler : je parle de la scène du corridor, tout à la fin, où l'on est soudainement quelques instants et contre toute attente, projetés à l'époque contemporaine. Dans From Hell, Jack l'Eventreur expérimente quelque-chose d'assez similaire, ayant soudainement une vision de ce que deviendrait Whitechapel dans son futur, notre présent. Coïncidence? Emprunt? Inspiration? Vol à la tire?


Il y a d'autres questions qui se posent : était-ce vraiment nécessaire de le tourner comme ça, à la « Big Brother in a Nazi house» ? (déjà dans Under The Skin : la caméra cachée était-elle vraiment indispensable?), surtout si c'est pour ensuite retomber dans une façon de filmer plus classique dans les scènes berlinoises ? Et le coup neuneu de l'image thermique retravaillée en noir et blanc, on en parle ? Puis, osons : est-ce vraiment un film sur la Shoah ou plutôt un film qui prend l'Holocauste pour allégorie de quelque-chose de bien plus contemporain; l'accoutumance à l'horreur, les bulles de déni moral ? Autre question, plus accessoire, mais néanmoins intrigante : pourquoi avoir payé les droits d'un bouquin de Martin Amis pour ne vraiment rien en retenir ?


En fait, c'est simple : moi, j'ai « expérimenté » The Zone of Interest comme un bon petit film d'horreur original mais pas aussi radical qu'il ne se vend; globalement bon mais non dénué de très gros défauts, principalement son côté arty-farty, « La Solution Finale vue par les Hipsters ». J'ai été remué mais plus remué à la Massacre à la Tronçonneuse qu'à la Requiem pour un Massacre. Voilà, The Zone of Interest est un train fantôme, pas un distributeur de traumatismes.


C'est aussi pourquoi, alors que je déteste généralement ce que déblatère le bonhomme, je suis cette fois très amusé par la critique de Richard Brody, le journaliste ciné du New Yorker, pour qui The Zone of Interest est, avec Jojo Rabbit, pas grand-chose de plus qu'un exemple d'Holokitsch, c'est-à-dire un cinéma de genre qui exploite l'Holocauste de façon kitsch. Bref, si je reverrai ce film avec plaisir dans quelques années, il n'est pas certain qu'il ne me fera pas bien rigoler, cette fois.




Lire la suite...