samedi 16 mars 2024

LA DEMOCRATIE SANS ISOLOIR

 


Voici une chronique écrite fin 2018 et publiée en mars 2019 dans le magazine Wilfried. Je suis aujourd'hui assez amusé et tout de même un poil dépité que cinq ans plus tard, l'anonymat sur Internet soit à ce point devenu un marronnier journalistique et fasse toujours autant jaser alors que c'est donc un putain de droit reconnu au putain de niveau international par la putain de Cour européenne des Droits des Putains d'Humains. Bref, encore de l'agitation aussi vaine qu'électoraliste. Nanère! 


2018/2019 - Cela ne vous aura sans doute pas échappé. Il règne en ce moment une très sale ambiance sur Internet, plus particulièrement sur les réseaux sociaux. Harcèlement, intimidations, outrages, diffamations, rumeurs, fake news, militants politiques se la jouant « snipers fantômes », gilets jaunes devant et bruns derrière... Voici quelques semaines, Emmanuel Macron s'était ému de ces « torrents de haine déversés en ligne ». Le président français a même prié Mounir Mahjoubi, son secrétaire d'État chargé du numérique, de préparer une proposition de loi, toujours sur le réchaud, qui rendrait plus difficile de se « cacher » sur les réseaux sociaux et sur les forums. En clair, de recourir à l'anonymat et au pseudonymat. Macron semble volontaire et plaide très sérieusement en faveur d'une « levée progressive de tout anonymat » sur Internet.


Votre opinion politique regarde-t-elle vraiment votre employeur et d'éventuels futurs recruteurs ? Votre sens de l'humour les concerne-t-il ? Ce que vous aimez manger, les plats que vous prenez en photo au restaurant, ce que vous consommez sur Netflix, tout cela les regarde-t-il ? Assumeriez-vous toujours vos angoisses hypocondriaques si blablater sur un forum médical de cette mauvaise toux qui vous fait craindre un cancer foudroyant devait désormais se faire sous votre véritable nom plutôt que sous le masque émancipateur de SuperPoupette852 ? Quid des auteurs, des journalistes, des acteurs et des créateurs célèbres sous un nom qui n’est pas celui de leur état civil ? Quid des lanceurs d'alerte ? « Certains semblent mûrs pour une démocratie où l'on supprimerait l'isoloir », a commenté sur Twitter un autre utilisateur, lui aussi anonyme. Ce qui n'est pas une réflexion idiote.


Sans doute faut-il voir de la gesticulation politique, voire de la diversion médiatique, dans cette posture. Déjà, Macron n'est pas le premier à vouloir débarrasser les réseaux virtuels de sa racaille. Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient, eux aussi, annoncé des mesures allant dans ce sens. Sans que rien ne change, en fin de compte. Forcément, vu que c'est un peu compliqué, sinon carrément explosif, surtout au niveau symbolique. L'anonymat est un droit reconnu au niveau international, notamment par la Cour européenne des droits de l'homme, qui l'associe à la liberté d'expression et à la vie privée. Un président du pays « inventeur » des droits de l'homme qui ferait voter une loi requalifiant l'un de ces droits en délit, voilà un acte qui serait compliqué à justifier, sans doute plus politiquement dommageable encore qu'un tir de Flash-Ball dans la figure d'un manifestant ou qu’une classe d'écoliers mise à genoux par de très fanfarons policiers. Bien entendu, quand Emmanuel Macron parle d'instaurer un processus « où on sait distinguer le vrai du faux et où on doit savoir d’où les gens parlent et pourquoi ils disent les choses », il entend davantage entraver la « haine » que la parole libre. Reste que, comme l'a fait remarquer un utilisateur (anonyme) de Twitter, lever l'anonymat sur Internet, cela reviendrait à se promener dans la rue avec son numéro de téléphone et son nom écrits sur le front. Un jour d'émeute, a-t-on envie d'ajouter.



Supprimer ou encadrer l'anonymat, selon le blogueur et polémiste belge Marcel Sel, dont ce n'est pas le vrai nom et qui s'est montré furieux lorsque celui-ci a été dévoilé sur Facebook voici quelques mois, c'est en fait « la porte ouverte à la chasse aux idées qu’on n’aime pas. La plupart des comptes anonymes veulent se protéger d’un patron, d’une corporation, du silence imposé à certaines professions. Comme on ne sait pas ce qu’on aura comme régime demain, il faudrait en fait renforcer cette protection ». Au départ, Marcel Sel s'était choisi ce pseudonyme pour se « protéger de pressions économiques ». Ce qu'il raconte en amateur sur son blog a l'art de déplaire, au point qu’il en arrive à perdre des clients dans le cadre de sa vie professionnelle. Aujourd'hui, en continuant de moins en moins anonyme mais toujours sous pseudo, il dit surtout protéger ses proches. « Chaque fois que quelqu’un brandit mon vrai nom pour essayer de me nuire, c’est mon entourage qui est visé. Intimidations par téléphone, menaces par mail, menaces de violence, de home-jacking… Vouloir supprimer l’anonymat, c’est ridicule. Les pires insultes racistes sur les réseaux sont souvent postées par des gens qui affichent leur nom ! » Gilles Vanden Burre, député fédéral Ecolo à la fois intéressé par la sécurité intérieure et le numérique, ne dit pas autre chose : « À ma connaissance, il n’existe pas de volonté en Belgique d'aller dans le sens des mesures prônées par Emmanuel Macron. Je ne suis pas convaincu que cela soit souhaitable : l'anonymat, s'il peut protéger certains harceleurs, protège aussi énormément les victimes. Il garantit en outre la liberté d'expression. De plus, en cas de délit grave, il est souvent possible de remonter jusqu'à la source... »


Techniquement, l'anonymat sur le Net est, de fait, très relatif. Il est certes de plus en plus simple de générer des adresses IP factices, mais cela reste plus compliqué que de taper « Mange tes morts, sale juif » sur Twitter planqué derrière un avatar de Super Dupont. En France, l'idée vers laquelle tend Macron et ses ministres serait d'exiger une pièce d'identité au moment de l'inscription sur un réseau social. Ce qui est sans doute plus cosmétique qu'efficace. Faut-il rappeler l'arrogance des responsables de Facebook et Twitter devant le Congrès américain au moment d'être questionnés sur l'ingérence russe dans les élections présidentielles de 2016 et la revente de données personnelles à des sociétés technologiques proches de l'extrême droite, de type Cambridge Analytica ? Qui dit que ces sociétés toutes-puissantes collaboreraient sans broncher avec la justice, a fortiori d'une nation étrangère, si cela entre en conflit avec leurs secrets commerciaux et même leurs convictions libertariennes ?


Vu le contexte social actuel, surtout en France, l'idée d'appliquer le concept de démocratie sans isoloir à Internet est, en soi, explosive. Bien entendu, une démocratie sans isoloir, ça existe déjà, c'est même tout à fait banal. Le Parlement, les conseils d'administration, les votes à bras levés et bon nombre de collectivités et de ménages fonctionnent de la sorte... Ce sont d’éventuels lieux de pouvoir, des lieux de débats parfois houleux et des lieux où les protagonistes ne se respectent pas forcément, mais une certaine étiquette y reste de mise. Or, ce n'est pas le cas sur Internet : tous les coups sont permis. Des gens qui n'étaient ni anonymes, ni très méchants, ont perdu leur travail et leur réputation pour des tweets mal compris. On y déterre des blagues d'il y a dix ans pour faire imploser des carrières. On y déterre des bouts de blagues décontextualisées pour détruire des réputations. L'annonce du décès d'une personnalité comme Karl Lagerfeld sert à lancer des débats violents sur le sexisme, l'obésité, l'anorexie, le féminisme, l'âgisme... Et celles et ceux qui s'y montrent les plus vindicatifs et menaçants ne sont ni forcément anonymes, ni même très haineux dès qu’ils s’éloignent d'un écran. Il y a dans les réseaux sociaux d'aujourd'hui quelque chose de Sa Majesté des Mouches et des romans dystopiques de J. G. Ballard, où des gens bien sous tous rapports sombrent dans la violence à partir du moment où ils sont contrariés dans un contexte anxiogène. Que des politiciens cherchent à imposer un modèle efficace dans leur sphère censée être un minimum policée, mais inapplicable à des réseaux et à des forums qui sont autant d'îles sauvages et de mini-mondes en guerre, pourrait donc s'avérer très dommageable. Certains ne manqueraient pas, en effet, d'y voir une preuve supplémentaire de la déconnexion des élites par rapport à ce qui demeure, pour une majorité d'entre nous, la vie de tous les jours. Fût-elle virtuelle.


Chronique publiée dans Wilfried Mag en mars 2019. 
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lundi 26 février 2024

KINOCOSMANI (4) : LA SOLUTION FINALE PAR LES HIPSTERS

J'ai bien aimé The Zone of Interest. C'est un film que je reverrai un jour avec plaisir. Ce qui est en fait son problème majeur ; vu que The Zone of Interest est un film sur l'Holocauste, sujet on va dire tout sauf plaisant. Une demi-heure après être sorti de la salle, je mangeais des frites avec grand appétit, content de mon expérience client au cinéma. Or, je ne pense pas qu'il soit fort normal de sortir d'un film sur l'Holocauste avec un appétit d'ogre, le cœur léger et des vannes plein la tête ("Woula, les nazis et leurs coiffures de draris!") C'est la preuve que quelque-chose a cloché. Peut-être moi. Plus certainement le film.


Certes, The Zone of Interest m'a raisonnablement fait stresser. Il y a des scènes impressionnantes, des acteurs habités, une ambiance dégueulasse fort bien rendue et le travail sur le son et l'image est juste dingue. Cela n'en fait cela dit pas forcément un bon film, vu qu'il y a aussi quelques passages bien branlants, voire branleurs. Après un très convaincant début et une gradation dans l'horreur rondement menée, un moment, on ne semble même plus trop savoir où on va, ce que l'on veut dire, transmettre. On ne sait même plus trop qui on voit à l'écran.


Je suspecte aussi fort le réalisateur Jonathan Glazer d'avoir piqué à Alan Moore l'idée de la projection dans le futur. Attention, spoiler : je parle de la scène du corridor, tout à la fin, où l'on est soudainement quelques instants et contre toute attente, projetés à l'époque contemporaine. Dans From Hell, Jack l'Eventreur expérimente quelque-chose d'assez similaire, ayant soudainement une vision de ce que deviendrait Whitechapel dans son futur, notre présent. Coïncidence? Emprunt? Inspiration? Vol à la tire?


Il y a d'autres questions qui se posent : était-ce vraiment nécessaire de le tourner comme ça, à la « Big Brother in a Nazi house» ? (déjà dans Under The Skin : la caméra cachée était-elle vraiment indispensable?), surtout si c'est pour ensuite retomber dans une façon de filmer plus classique dans les scènes berlinoises ? Et le coup neuneu de l'image thermique retravaillée en noir et blanc, on en parle ? Puis, osons : est-ce vraiment un film sur la Shoah ou plutôt un film qui prend l'Holocauste pour allégorie de quelque-chose de bien plus contemporain; l'accoutumance à l'horreur, les bulles de déni moral ? Autre question, plus accessoire, mais néanmoins intrigante : pourquoi avoir payé les droits d'un bouquin de Martin Amis pour ne vraiment rien en retenir ?


En fait, c'est simple : moi, j'ai « expérimenté » The Zone of Interest comme un bon petit film d'horreur original mais pas aussi radical qu'il ne se vend; globalement bon mais non dénué de très gros défauts, principalement son côté arty-farty, « La Solution Finale vue par les Hipsters ». J'ai été remué mais plus remué à la Massacre à la Tronçonneuse qu'à la Requiem pour un Massacre. Voilà, The Zone of Interest est un train fantôme, pas un distributeur de traumatismes.


C'est aussi pourquoi, alors que je déteste généralement ce que déblatère le bonhomme, je suis cette fois très amusé par la critique de Richard Brody, le journaliste ciné du New Yorker, pour qui The Zone of Interest est, avec Jojo Rabbit, pas grand-chose de plus qu'un exemple d'Holokitsch, c'est-à-dire un cinéma de genre qui exploite l'Holocauste de façon kitsch. Bref, si je reverrai ce film avec plaisir dans quelques années, il n'est pas certain qu'il ne me fera pas bien rigoler, cette fois.




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mercredi 24 janvier 2024

LE JOURNAL DU QUINCADO (33) : VIRGINIE DESPENTES & EL REY PROCRASTINATOR

Janvier 2024 - Je n'avais aucune idée dans quoi je m'embarquais en entamant la lecture de Cher Connard de Virginie Despentes. Je savais juste que c'était un roman épistolaire ; pas du tout qu'il mettait en scène un type lynché sur Internet suite à des accusations de harcèlement, ni qu'une partie de « l'action » se déroulait durant les confinements Covid du printemps 2020. Je l'aurais su, je ne l'aurais d'ailleurs probablement pas lu. Quoi de plus emmerdant et inintéressant en effet que les romans et les articles s'intéressant aux gens qui s'insultent et s'engueulent sur Internet ? Les romans et les articles parlant du confinement Covid de 2020, pardi ! Nous sommes bien d'accord !


Il se fait que 345 pages plus tard, j'ai en réalité adoré ce livre. Chef d'oeuvre, 10/10. Pour moi, carrément le meilleur Despentes. Le plus émouvant, le plus drôle, le moins con. Le seul bon, haha. Enfin, elle réussit à finir un truc sans le foirer...


Alors, d'accord, le dispositif narratif est bidon. Complètement. Despentes imagine des échanges de textos et de mails entre un écrivain connu metooïsé et une actrice grande gueule qui n'est pas sans rappeler Béatrice Dalle mais de un, les gens ne se parlent pas comme ça via textos et mails, jamais, et de deux, il n'y a pour ainsi dire aucune différence de style, de point de vue, ni même de culture entre le type et la femme. Tout le monde dans ce bouquin parle et pense comme Despentes, aime le rap à la con que kiffe Despentes et connaît et admire cette grosse conne de Lydia Lunch comme Despentes connaît et admire cette grosse conne de Lydia Lunch.


Il se fait que j'ai deejayé après deux concerts de Lydia Lunch. L'un à Bruxelles, l'autre à Arlon. J'ai jadis lu des livres de Lydia Lunch, dont j'ai complètement oublié le contenu et le style. J'aime bien l'album Shotgun Wedding qu'elle a sorti avec Rowland S. Howard mais je n'ai jamais vraiment cherché à en écouter d'autres. Je n'ai rien contre Lydia Lunch, je ne lui ai même jamais vraiment parlé, sauf peut-être pour lui dire « sorry, nobody knows any dealer here... », mais je peux dire que backstage, en connaissance de cause donc, cette vieille cokehead tient beaucoup plus du pathétique chameau que de l'héroïne féministe post-punk.


Et bien, rien qu'une nuance du genre à propos de Lydia Lunch dans le bouquin aurait pu rendre un personnage, peu importe lequel, beaucoup plus crédible. Parce que non, nous ne vivons pas dans un monde où Lydia Lunch est une sorte de Jésus féministe connue et admirée de toutes et tous. Ca, c'est juste dans la tête de Virginie Despentes.


On s'en fout, cela dit. Le plaisir dans ce bouquin est ailleurs que dans la crédibilité. Il y a du kilomètre de punchlines souvent marrantes, régulièrement pertinentes, des passages émouvants, ou même carrément géniaux, comme la scène de la podcasteuse un peu trop intrusive en Allemagne qui remet pas mal en perspective l'idée de harcèlement moderne.


Il y a surtout une vision assez juste de l'addiction à la picole, aux drogues et à Internet.


J'ai souvent dit que je trouvais que Despentes avait sur l'époque et la société de bonnes intuitions mais n'était que rarement capable de les développer correctement sur la longueur. Or, cette nature épistolaire forcément fracassée et fragmentaire de Cher Connard lui permet de passer d'un sujet à l'autre sans trop risquer de s'embourber. Pas besoin de s'épancher des pages et des pages sur la dystopie abominable des pass vaccinaux, par exemple. Un simple « à quel moment de l'Histoire me suis-je intéressée à la situation vaccinale de mes amis?» est beaucoup plus définitif pour rappeler à quel point tout cela fut minable.


Je ne serais pas étonné qu'une grosse partie du roman découle en fait d'un journal tenu par Despentes durant le confinement. Il n'est cela dit jamais certain que les opinions de ses personnages soient vraiment les siennes. C'est que ça vanne sévère, y compris et surtout à l'égard des néo-féministes dont Despentes est pourtant une gouroute. Mais pas que, évidemment. Despentes, née en 1969, est aussi une digne représentante de la Génération X. Elle a ce point vue désabusé mais toutefois amusé sur les choses. L'auto-dérision permanente. Le nihilisme tranquillou, ironique. L'incapacité totale à se sentir à sa place où que ce soit. « Etre une déception sur tous les plans », écrit-elle, moins pour chouiner que faire marrer. « S'avouer vaincu, s'avouer failli ». Or, être né en 1969, c'est aussi passer cette année le cap des 55 ans. Autrement dit, devenir non seulement VRAIMENT mais surtout OFFICIELLEMENT vieux.


Cher Connard, entre beaucoup d'autres choses, c'est ça aussi : un bouquin parlant de gens qui ne se reconnaissent ni dans les vieux encore plus vieux qu'eux – les baby boomers, nos parents -, ni dans les jeunes – les Millenials, les Z, tous ces tarés nés dans le digital qui font très peur. Un bouquin qui parle de quinquas qui ont encore la capacité physique et mentale, ainsi que l'envie, de faire des conneries mais se rendent bien compte que l'on est passé dans un monde, surtout depuis le Covid, où les conneries ne sont plus du tout acceptées.


« Plus personne n'est en faveur de la provocation. Maintenant tout le monde veut être bien vu. Tout le monde veut être un bon élève. Le fameux débilos au fond de la classe, assis à côté du radiateur, qui dit des conneries pour le plaisir de foutre le bordel, n'est plus une figure populaire. Le cancre de Prévert peut aller se rhabiller – vous ne reconnaissez que le langage de l'entreprise. Sérieux, responsable, du côté de la dignité et du plus gros chiffre.», fait dire Despentes à son clone de Béatrice Dalle.


Ou encore :


« Je viens des années 80 – on se construit toujours dans la décennie dans laquelle on a eu vingt ans – et je peux te dire que c'était la détente la plus totale, à l'époque. Dès que tu avais fomenté une théorie à la con, tu te dépêchais de monter sur une chaise pour la déclamer à voix haute et il y avait toujours quelqu'un dans l'audience pour trouver ça intéressant. C'était la logique inverse des réseaux sociaux : plus c'était minoritaire, plus ça semblait important. On n'était pas à la pêche aux likes. C'était le contraire : on tenait à être haïs par les cons. »


C'est ce qui m'a principalement parlé et touché dans ce bouquin : que ses personnages mais aussi Virginie Despentes, en toute probabilité, soient bien conscients de faire partie d'une génération paumée dans un monde leur étant désormais non plus simplement indifférent mais carrément hostile. Or, la Gen X n'a jamais cherché à prendre le pouvoir, ni à se battre, encore moins à changer les choses. Son idéal est de se défoncer en déblatérant des conneries en attendant la mort. Dans la savane, ce seraient des zèbres, certainement pas des lions. Or, il y a soudainement beaucoup de fauves sur la plaine. Et ils ont faim !


Tout cela dit, le plus marrant pour moi, c'est que Cher Connard me donne surtout envie d'écrire. Comme je disais au début de ce post - très sincèrement quoi que l'on puisse en penser -, je n'ai jamais vraiment compris en quoi des articles et des bouquins sur des gens qui s'engueulent sur Internet pouvaient présenter un quelconque intérêt. Le cyberharcèlement n'est pas un fléau moderne, c'est un étrange marronnier journalistique, l'étage encore en-dessous du chien écrasé. Franchement, ça intéresse qui, des meufs qui se font insulter sur Facebook ? Il ne se passe rien de plus intéressant dans le monde en ce moment, les Albert Londres 2.0 ? Despentes a la réponse à ça : ça intéresse les fauves. Pas les zèbres.


Pif paf pouf, 2024, un an et demi après la sortie du livre, voilà donc que Despentes me prouve que l'on peut écrire sur le harcèlement via Internet non seulement quelque-chose présentant de l'intérêt mais quelque chose qui prend surtout une hauteur folle par rapport au sujet et évite tous les pièges du militantisme gnangnan, le trip neuneu « On te Croit », le victimisme et toutes ces conneries. Dans Cher Connard, la frontière est floue entre coupables et victimes, qui sont de toutes façons de simples produits de l'environnement culturel. Voilà qui est carrément empouvoirant, comme aiment dire les Chères Connasses. Voilà qui donne même carrément l'envie d'en écrire un autre. A soi.


Alors, je voudrais ça rigolo, percutant, revanchard et carnassier. Je ne voudrais pas que ça rétablisse des vérités ou des réputations, ça, j'en ai rien à branler. Mais je voudrais que ça fasse rire les uns et avaler de travers les autres. Rendre la popularité au fameux débilos au fond de la classe, assis à côté du radiateur. Me faire haïr des cons mais amuser et faire réfléchir les autres. Je n'ai encore ni pitch, ni angle, ni ton, ni personnages mais ce n'est pas vraiment comme si la matière et les notes me manquaient, hein. Haha.


Le truc qui vous épargnera, c'est que je suis El Rey Procrastinator. Je suis moins quelqu'un inspiré par Despentes que quelqu'un qui pourrait inspirer Despentes. La caricature ambulante du Gen X, 55 ans en octobre, bien parti pour devenir « un vieux qui s'encanaille ». Autant dire que si on me dégotte trois comparses avec qui ricaner du monde en tapant deux grammes et cinq boutanches, même de Retsina, je ne l'écrirai jamais ce bouquin. 


Tant mieux, non ?



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lundi 22 janvier 2024

KINOCOSMANI (3) : TARANTINO SPECULATIONS

 

Il ne m'a fallu qu'un week-end pour terminer Cinema Speculations, l'essai de Quentin Tarantino sur quelques films qu'il a aimés (ou pas). Même si je ne m'en souviens pas toujours bien, il se fait que je connais la plupart des œuvres dont il parle. Tous ces polars violents qu'il a vu gamin dans les cinémas de Los Angeles sont passés à la télévision belge ou française quelques années plus tard et je suis de cette génération, la X, dont les parents ne s'inquiétaient pas trop de laisser les enfants traîner devant Charles Bronson, Burt Reynolds et Clint Eastwood. Comme Tarantino, avant même l'âge de dix ans, j'avais donc déjà vu un paquet de nichons exposés sans réelle nécessité scénaristique et des camions de morts violentes à l'écran.


Par contre, contrairement à Tarantino, j'ai vite préféré le cinéma qui laisse bouche bée à celui qui fait ricaner de plaisir dès que le Méchant se fait castagner dans une explosion cathartique de sauce tomate. La science-fiction dark, le surnaturel, le torturé, le bizarre. Le Lynch. Les trucs qui font moins peur sur le moment qu'au moment d'y repenser ensuite dans son lit. Les films davantage intrigués par la mort que célébrant la vita violenta. Les polars violents, c'est sympa, mais ça ne reste le plus souvent que du McDo. Moi, je voulais et je veux d'ailleurs toujours la gastronomie qui file ensuite la gastro.


Ces derniers temps, j'ai regardé pas mal de podcasts où baratine Tarantino et je n'aime pas ce gars. Son arrogance de connard, cette façon de parler de « son oeuvre » comme d'une collection de classiques alors qu'il est tout de même permis de penser que si ses films des années 90 sont objectivement plutôt bons, le reste de sa filmographie tient bien davantage de la pantalonnade et sera un jour sinon ignorée du moins rabaissée à sa juste valeur de simple produit commercial souvent concon.


Sa façon de couper les autres aussi, d'imposer ses analyses comme les plus valables d'un panel alors qu'elles sont pourtant souvent tartignolles. Des mecs de 50, 60 ans et plus qui parlent de cinéma seventies, ça pousse aux arbres en ce moment et moi, j'ai beaucoup plus de plaisir à écouter en causer feu Anthony Bourdain, Louis CK, Bret Easton Ellis et Bill Burr par exemples, que Quentin Tarantino, dont je trouve un peu trop les emballements curieusement justifiés, les analyses faiblardes et les anecdotes heu... très anecdotiques.


Scorsese aussi est plutôt cool à écouter, parce qu'il parle des films avec passion et intelligence, en adulte, en sage, alors que Tarantino donne plus l'impression de n'être qu'un simple petit geek devant ses jouets Star Wars dont il connaîtrait tous les noms, les grades et les origines. Cela dit, je pense aussi que Tarantino prend autant de libertés au moment d'interpréter ses films préférés par rapport à ce qu'ils sont et ce qu'ils disent vraiment qu'avec la réalité historique dans ses derniers scénarios.


En fait, mon souci avec ce qu'il raconte en interview et dans ce livre qui compile des points déjà développés dans les podcasts dont je parle est le même que mon souci avec ses films : ça jacasse beaucoup, c'est parfois bien marrant mais ce n'est, au fond, que rarement intéressant. Ca se croit surtout cool alors que c'est foncièrement beauf. Et de mauvais goût.


Pourquoi, en effet, taper un chapitre entier sur Hardcore, mauvais film de Paul Schrader, plutôt que de conseiller Blue Collar, excellent, et datant de la même époque ? Pourquoi, au moment d'évoquer Sam Peckinpah, se pignoler sur The Getaway, film commercial assez pourri, quand Straw Dogs et Cross of Iron restent beaucoup plus percutants, donc recommandables, et devraient aussi être défendus face aux désirs actuels de cancelling dus à leurs maousses scènes polémiques et pas trop compatibles avec le néo-puritanisme ? Et puis surtout, quand on avoue préférer de loin Rocky I et surtout II à Papillon, comment ne pas ensuite échapper à l'étiquette de beauf, voire carrément de con ?


Le côté cool de ce livre, c'est son honnêteté. Il est maintenant clair que Tarantino n'est pas un artiste et n'a jamais cherché à l'être. C'est juste quelqu'un qui a toujours voulu se faire un nom dans le circuit commercial. En fait, Tarantino est au cinéma contemporain ce que Daft Punk est à la musique électronique. Il sample des nanars comme Daft Punk sample du disco de série B pour en tirer des cartons commerciaux. Mais c'est vide, c'est creux, c'est putassier. Ca trahit aussi régulièrement l'esprit de ce que ça vole.


C'est générationnel, surtout. Dans 40 ans, à la mort du dernier Gen X, il est prévisible que plus personne ou presque n'en aura à foutre de la majorité de la filmographie de Tarantino. Chez moi, le processus est déjà entamé depuis longtemps. J'ai plutôt aimé Pulp Fiction à sa sortie mais à chaque fois que je le revois, c'est comme avec la trilogie Star Wars originelle, je l'aime moins. Je suis même très proche du jour où je me ficherai autant de Pulp Fiction que du Retour du Jedi. Ces films ont plu à quelqu'un que je ne suis plus. A 13 ans, je me suis d'ailleurs un peu senti obligé par la pression sociale d'aimer Le Retour du Jedi mais à vrai dire, je me suis quand même assez fait chier en le découvrant. J'étais carrément déçu. A 25 ans, j'ai aimé Pulp Fiction, j'ai traîné le poster d'un appartement à l'autre, la BO passait dans tous les bars et dans toutes les voitures de potes, ma meuf avait Mia Wallace/Uma Thurman comme modèle absolu MAIS... Ca ne m'empêchait pas de trouver le film un peu long et même carrément faiblard sur la dernière heure. Ce n'était malheureusement pas Reservoir Dogs 2, impeccable, celui-là.


30 ans plus tard, si je repense à Pulp Fiction, je peux dire que c'était l'un des films de mes 25 ans mais pas ZE film. Déjà, moi, de l'époque, j'ai de loin préféré Fargo, 12 Monkeys et Dead Man. Reste que ZE film emblématique du milieu des nineties, il n'y a pas à tortiller, c'est La Haine. Pour la simple et bonne raison que La Haine ne se branle pas sur Godard, les polars de gare et Kool & The Gang; la Haine raconte quelque-chose de sinistre qui est toujours d'actualité 30 ans plus tard et d'autant plus d'actualité qu'après la très longue chute, on semble désormais très proche de l'atterrissage.


La Haine ne fait donc pas son Daft Punk en samplant de la série B. La Haine fait sienne l'efficacité de Martin Scorsese et Spike Lee pour balancer une réalité dérangeante dans le débat public. La Haine n'est pas du McDo, c'est de la bistronomie. La Haine restera une baffe dans la gueule de n'importe qui s'asseyant devant alors que Pulp Fiction est vouée à distiller la nostalgie chez les vieux et la curiosité ou l'amusement chez les jeunes. Jusqu'à ce que la culture ambiante décide que Pulp Fiction n'a plus aucun intérêt. Et ça, je pense que ça arrive à toute blinde. 


Ce que je dis, tout simplement, c'est que Quentin Tarantino est déjà ringard. Dans ses films comme dans ses livres, même ceux qu'il n'a pas encore écrit. Et que ça ne va pas aller en s'améliorant avec les années. Bref, dossier classé.



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samedi 6 janvier 2024

JEAN-CHARLES BRONSON, LE RETOUR (01) : ANOTHER BRICK IN THE DARK SIDE OF THE MOON

Coucou, ça va? Hello, 2024!


La première grosse polémique médiatico-politico-bruxello-wallonne de cet an neuf m'amuse beaucoup : Marc Ysaye, l'ancien directeur de Classic 21, le batteur du groupe de bal du bourgmestre du nom de Machiavel, le sous-Georges Lang belge... a rejoint le MR.


George-Louis Bouchez, le président des bleus, en semble content, même si sur les photos de presse, il semble à peine savoir de qui il s'agit. Ce qui ne l'empêche pas de parler d'Ysaye comme d'un « référent » sur les questions culturelles et de laïcité.


L'ennui, c'est qu'il a depuis cette annonce médiatique été constaté que ces dernières années, Marc Ysaye a « liké » et « retweeté » sur les réseaux sociaux quelques statuts pondus par des personnalités d'extrême-droite : Bardella, Meloni et d'autres.


Quand je lis ça, le flash : Marc Ysaye en jogging qui fait des poches aux genoux et en chaussettes Rolling Stones qui bulle chez lui, la moue de bouledogue jusqu'au nombril. Il s'emmerde, le fossile. Grave. Il passe d'un disque de Pink Floyd de 1993 tout griffé à Hanouna à la télé, puis checke les réseaux sociaux. Or vu son pedigree et ses penchants, il y est dans la même bulle algorithmique que Roger Waters ! Pas étonnant, dès lors, que sa vision du monde qui en découle soit quelque-peu out of space et réac. Another brick in the dark side of the moon.


Je ne sais pas comment il a été repéré par les radars du MR mais il faut tout de même se rappeler que depuis toujours, les radars du MR sont tellement branchés sur cette dark side of the moon, justement, qu'ils y repèrent fissa de leur regard de nid d'aigle tous les nostalgiques du Katanga, les speakerines RTL en descente de coke, les footeux retraités à 35 ans, les karatékas bras cassés, Destexhe, Laurent Louis et d'autres... 


Tout ce qui est censé pouvoir tirer quelques voix de préférence aux élections. Tu publies une recette Keto qui fait 563 petits cœurs sur Instagram, le MR va te proposer un job. Tu te bagarres avec un vendeur de kebab au sujet de la qualité de l'aïoli, le MR a une place pour toi dans son think tank "immigration". Tu ponds une bonne blague sur Margaux De Ré, tu seras six mois plus tard community manager du TikTok des Jeunesses MR sous la supervision directe de Liloo Bouchez.   


Le deuxième flash, c'est qu'en 2024, il existe donc encore des gens pour s'en émouvoir ou faire mine de le découvrir. D'essayer d'en faire un scandale, surtout. Apprends à un Ecolo à se servir de Twitter et il fera du vent toute sa vie. La seule question à se poser sur la polémique "Marc Ysaye" n'est en effet pas de savoir si ses likes réacs sont moralement acceptables ou non et si ces penchants confirment ou non que le MR recrute à l'extrême-droite.


Ce storytelling là n'est que basse propagande militante. Un coup bas des troupes d'en face. 


Que l'on se place d'un point de vue journalistique ou satirique, la vraie question à se poser est plutôt pourquoi Bouchez considère ce guignol de Marc Ysaye, à la réputation pourtant désastreuse -aux nombreux squelettes dans les placards même, entend-t-on parfois raconter dans le milieu- comme un référent "culturel" et un spécialiste de "la laïcité" ?


Ysaye est pourtant connu et moqué depuis des années pour sa vision très limitée et carrément révisionniste du rock. Même dans le rock « progressif », dont il est soi-disant expert, certains spécialistes estiment qu'il n'en touche pas une. 


Perso, en interview, il m'a sinon un jour soutenu que Ben Harper pesait plus lourd dans l'histoire du rock de MA génération que les Smiths, Sonic Youth et Nirvana. Quant à la laïcité, à part liker des tweets qui se branlottent sur le « danger du wokisme », l'a-t-on jamais entendu ou lu prendre une vraie position, intelligente, documentée et mesurée, à ce sujet ?


Bref, on a un cas typique de boomer gâteux qui n'arrive pas à décrocher de la vie active et de parti politique qui continue d'être l'équivalent de la Légion Etrangère : y rentre qui veut, peu importe l'expérience; du moment que ça sert l'idéal supérieur. A savoir, gratter des voix aux élections; histoire d'ensuite pouvoir remettre Reynders et Michel au fédéral. Tiens, voilà encore du boudin !


Autrement dit, moquons-nous. Et pas qu'un peu. Checkons aussi les rumeurs de direction jadis aussi fantasque qu'autoritaire.   


Parler de menace sérieuse sur la démocratie, par contre... Quelle blague, quel sketch... 


Quelle chanson de Machiavel, haha. 


  


(C'est Tracy Pew de Birthday Party sur la photo. MON idée du rock!)





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vendredi 22 décembre 2023

KINOCOSMANI (2) : J'AIME, J'AIME LA BOUE (ET ROMAN POLANSKI)




Le meilleur film que j'ai découvert en 2023 date de 1979 et est réalisé par Roman Polanski. Il s'agit de Tess, adapté du roman Tess of The D'Ubervilles, publié par Thomas Hardy en 1892. Bien que depuis quelques années assez occupé et totalement passionné par la littérature du XIXème siècle, je n'ai toujours pas lu ce livre, ni l'un ou l'autre de cet auteur.


Pourtant très mais alors très très fan du Polanski sixties et seventies (The Tenant et Répulsion > tout David Lynch), je n'avais jusqu'ici jamais non plus trop pris la peine de voir Tess parce que je pensais, à tort, que c'était le film où Polanski avait commencé à grave déconner. Autrement dit, j'ai toujours pensé que c'était un truc à la TF1 tourné à l'arrache en Europe et sans trop de préparations, après que notre camarade de l'encule  se soit définitivement grillé aux Etats-Unis. 


(De l'europudding juste pour niquer Nastassja Kinski donc, j'ai envie de préciser, même si je sais depuis que c'est faux).


Quelques mois avant de voir Tess, toujours en 2023, je m'étais sinon encore enfilé un autre film adapté d'un roman de Thomas Hardy : Far from The Madding Crowd, sorti par John Schlesinger en 1967, long bazar que j'ai trouvé vraiment pas mal du tout  mais pas non plus inoubliable.


Far from The Madding Crowd est le troisième film tourné par Schlesinger avec Julie Christie, après Billy Liar et Darling, tous deux bien meilleurs et tous deux très typiques des sixties anglaises. Très working class heroes, très Swinging London, très réalistico-sordides. Des films à succès, cultes depuis, à la fois dépassés dans leurs esprits et malgré tout troublants de modernité. Bien que se déroulant à la campagne au XIXème siècle et a priori assez fidèle au roman de Thomas Hardy, Far From The Madding Crowd m'a dès lors semblé un peu trop découler de cette même approche, de ce même regard ; carrément former la fin d'une trilogie où Julie Christie minaude fort, collectionne les hommes et virevolte dans le néo-réalisme non sans drame mais principalement avec légèreté. Tess est au contraire autrement plus goth, sombre, hanté, cousin de la folk-horror, héritier de la peinture paysagiste et, surtout, beaucoup plus crotteux. Donc intemporel.


La crotte sur les costumes d'époque est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles je trouve Polanski totalement génial. Que cela soit dans Tess ou dans J'Accuse, les costumes du XIXème n'ont chez lui jamais l'air de sortir de l'atelier de la costumière. Ils sont usés, comme déjà longtemps portés, boueux. Cette année, j'ai aussi vu Killers of The Flower Moon de Martin Scorsese et ça m'a frappé qu'alors que c'est un film qui se passe à des centaines de kilomètres du premier trottoir, chez les bouseux, dans des rues boueuses, le plus souvent sous la pluie ; chaque costard, chaque botte, chaque couverture indienne, chaque bagnole, a néanmoins l'air de sortir du magasin de souvenirs, l'étiquette de prix encore accrochée quelque part. Chez Polanski, s'il pleut sur les champs du Wessex (la contrée anglaise imaginée par Thomas Hardy) et que Kinski travaille à la ferme, et bien, ses robes seront mouillées, dégueulassées, et elle aura de la merde de poule sur le tablier. Ce qui est génial, mine de rien. 


Il y a Love de Gaspar Noé qui se passe principalement dans un appartement parisien où j'ai bien l'impression d'avoir été dormir une nuit (le même que dans Eden de Mia Hansen-Love) mais combien de films contemporains se déroulent sinon dans des lieux d'habitations qui ressemblent plus à une chambre ou à une cuisine d'exposition d'un magasin Ikéa qu'à des lieux où vivent réellement des gens ? A part chez Polanski, je ne vois que des films seventies à la Hal Ashby, le terrifiant Looking for Mr Goodbar et son flat new-yorkais de merde, les premiers Frères Coen, le cinéma de Sergio Leone et la première trilogie Star Wars pour avoir poussé le sens du détail au point que les vêtements, le mobilier et le matériel aient tous l'air d'avoir déjà été utilisés (et niqués) avant le tournage. Et vraiment niqués par l'usure, pas travaillés au cutter comme ces denims juste sortis du shop que des pouffes s'amusent à gratter à la lame pour se donner un genre. 


On se paluche sur des détails mais faut sinon quand même bien insister sur le plus important : à une époque où Roman Polanski est constamment dévalué en tant que cinéaste, artiste et humain, il me semble carrément vital de rappeler que certains de ses films (pas tous, loin de là) tiennent vraiment du chef d'oeuvre absolu. En termes stricts de cinéma, des sommets comme Chinatown, Répulsion, Le Locataire, Tess... Ca renvoie quand même pas mal les productions Marvel et Netflix à leurs statuts réels de direct-to-DVD! Ca rappelle que du XXème siècle, il n'y a pas que Welles, Hitchcock, Kubrick, Spielberg et Scorsese à retenir! Et que des pigistes probablement biberonnés aux "blockbusters inclusifs" pensent que Tess est l'un des films les plus problématiques jamais tournés n'y change strictement rien! Nanère. 


D'un point de vue sinon beaucoup plus troll mais néanmoins extrêmement juste, il est aussi assez amusant de constater et faire constater aux féministes actuelles que Répulsion et Tess sont peut-être bien parmi les films les plus misandres qui existent. Pas un seul mec à sauver dans ces histoires! Pas une seule meuf non plus, cela dit. Reste que l'amour, la compassion et l'adelphitude (wtf that means!) vont vers elles à la fin de ces films. On ne peut que jubiler à la mort atroces de leurs victimes pourtant jamais coupables de crimes autres que leurs médiocrités de simples et bêtes mâles.


Ouais, Polanski est définitivement un grand et gros pervers. And I fucking love it. LOL.


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samedi 14 octobre 2023

LE JOURNAL DU QUINCADO (32) : SORTIR DE L'AGE BETE AVEC SLOWDIVE

 

Octobre 2023 - J'ai connu Slowdive tard, alors que le groupe n'existait déjà plus, au tout début des années 2000, via une petite amie 7 ans plus jeune que moi qui avait eu sa période « shoegaze ». En 1992, j'ai vu My Bloody Valentine en concert et j'ai trouvé ça vraiment terrible mais le shoegaze n'a jamais été mon truc : la disto en se regardant les pieds, les voix sous hélium, les tronches de cakes, le côté neuneu, tout ça... Slowdive était carrément devenu une blague entre nous. Rien que le titre de leur album le plus écouté : Souvlaki Space Station. Et Pita Gyros Orbitale, peut-être ? Moussaka Death Star ?


Une dizaine d'années plus tard, un ami âgé de 7 ans de plus m'a fait découvrir l'album Pygmalion, qui avait échappé au radar de cette petite amie et donc aussi au mien. Celui là était beaucoup plus à mon goût, dans la veine Talk Talk/David Sylvian, et m'a fait totalement apprécier le groupe. Rien que pour lui, j'ai dans la foulée acheté un pack midprice de leurs trois albums des années 90. Puis j'ai déménagé cinq ou six fois et j'ai perdu Pygmalion, pour de bon, puisque plutôt introuvable de nos jours. Quand j'avais une envie de Slowdive, je me suis dès lors souvent rabattu sur Pyta Gyros Orbitale, que j'ai réévalué à la hausse. Et puis ce fut 2017 et un retour aux affaires vraiment fantastique pour Slowdive ; sans doute l'un des seuls albums au monde de groupes reformés des années après leur split initial à ne pas sonner nostalgique et/ou ridicule (Pixies, I'm talking to you).


Everything is Alive, le petit nouveau, paraît de prime abord plus anecdotique que cette charge héroïque de 2017. Slowdive se montrait alors plutôt rentre-dedans alors que celui-ci est à nouveau plus planant mais pas dans le genre Pygmalion, vu qu'il garde majoritairement une structure pop et des batteries entraînantes. Plus proche de Moussaka Death Star, en fait, mais avec 35 ans de bouteille et rien à prouver en plus. Plus intemporel que nostalgique. Développant un son à part de tout et bien à soi plutôt que lorgnant vers les recettes gagnantes de la jeunesse noisy nineties. Carrément un peu OVNI sur les bords, dans le contexte contemporain.


Bref, si quelqu'un de 7 ans de moins ou de plus me demande des conseils sur Slowdive, ce n'est certainement pas l'album vers lequel je vais le ou la diriger en premier mais il n'en est pas moins certainement plus original et meilleur que Just For A Day, par exemple. Nous avons donc bel et bien ici un groupe capable de sonner drôlement mieux 30 ans après leur « golden years » qu'en 1991-92, alors que personne n'attendait pourtant plus rien d'eux, sinon de rejouer leurs « tubes » jusqu'à la mort. C'est suffisamment rare pour être applaudi.


La rigolade reste cela dit tout de même permise, vu que Slowdive est désormais perçu comme un fer-de-lance de la « dream pop », voire de la « vapor wave » et de « l'etheral chill ». Autrement dit, alors que le groupe évolue pour le mieux, une partie de ses fans et de la critique continue de le considérer comme juste bon à faire chouiner la communauté ouin-ouin. En d'autres temps, j'aurais sans doute moi-même retitré cet album « Everything is Sleepy ». Mais là non, consommons plutôt ça entre adultes. L'âge bête, un moment, il faut pouvoir en sortir.



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