jeudi 8 janvier 2015

PROPHETE POUET POUET



Je ne suis pas plus Charlie aujourd'hui que je n'ai été American Airlines en 2001 ou Princesse Tam Tam lors des attentats de Bombay. Charlie Hebdo n'est pas de mon monde, son humour me laisse froid. Trop franchouillard, trop Bite-à-Dudule, avec ces derniers temps aussi beaucoup de cartoons qui auraient pu être publiés dans un torchon du Vlaams Belang. Je Suis Charlie, il faut laisser ça aux véritables fans, aux proches, aux admirateurs, à la sincérité. Venant de moi, cela relèverait de l'imposture. Ce n'est pas par manque de compassion, vu que je suis complètement sonné du fait que des dessinateurs et des journalistes satiriques ont été butés. Cet attentat nous a aspiré dans un nouveau chapitre de l'horreur, une autre réalité, une phase où le personnel d'un canard ringard comptant surtout des vieux cons de 75 balais peut se faire décimer par des types sortis de nulle part équipés de kalashnikovs et de lance-roquettes. Shock and awe. Saut dans l'inconnu. Ce que cela augure, ce avec quoi il va falloir désormais dealer -la menace tout comme les mesures prises pour contrer cette menace- m'effraye. Je ne suis pas de ceux que des protections flicardes et des singeries à la Vigipirate rassurent. Elles me stressent même davantage que le terrorisme, qui reste statistiquement rare, quoi qu'on en dise. La mort brutale de Wolinski, de Cabu et des autres est une donnée que je ne vais pas intégrer facilement, qui mettra du temps à se laisser digérer. Pour ce faire, je ne vais pas me laisser parasiter le cerveau par le cirque médiatique, les andouilles du web et ce grand mouvement « Je Suis Charlie » un peu trop fédérateur dans l'actuel contexte frenchie puant que pour être exempt de critiques et de méfiance. Surtout qu'il me semble que depuis mercredi, le grand boulevard jusqu'ici ouvert au Front National s'est transformé en autoroute à 4 bandes.

Il ne faudrait pas non plus oublier que lundi, quand tout n'allait pas si mal, il était aussi vachement question de médiatiquement lyncher Zemmour et Houellebecq. Or, deux jours plus tard, le discours a radicalement changé, puisqu'il est désormais surtout question de se battre pour le droit à continuer de se foutre tranquillement de la gueule des bigots, surtout bicots. Ce n'est pas que confus, ce n'est pas que dingue. C'est aussi extrêmement sournois, extrêmement dangereux. Cette confusion, cette cabriole de girouettes, n'est pas l'oeuvre des médias, ni du gouvernement, encore moins d'une cabale conspirationniste. Elle résulte du fait que sur les réseaux sociaux, librement, les gens se sentent obligés de réagir au quart de tour, de se positionner, de partager une connerie ou un cliché sur des évènements qui pourtant, souvent, les dépassent complètement, au sujet desquels ils n'ont aucune expertise, et, à vrai dire, même pas vraiment d'avis construit. Je ne pense pas qu'ici, la liberté d'expression soit menacée par l'Islam radical et le terrorisme. Ce qui la menace surtout, c'est de se noyer dans ses propres déjections, de générer tellement de confusion, d'imbécilités et de brouhaha irréfléchi que les gens vont eux-mêmes finir par appeler à sa limitation, comme ils sont en fait presque en train d'appeler de leurs vœux un état policier et la vendetta envers tous ceux qui éviteraient le saucisson et le ballon de rouge de façon un peu trop ostentatoire. Michel Houellebecq disait il y a quelques jours qu'on n'a jamais vu un roman changer l'histoire. Un roman, non. Une tonne de tweets à la con et d'emballements un peu trop pavloviens, par contre, oui, peut-être. Là, maintenant.