vendredi 22 décembre 2023

KINOCOSMANI (2) : J'AIME, J'AIME LA BOUE (ET ROMAN POLANSKI)




Le meilleur film que j'ai découvert en 2023 date de 1979 et est réalisé par Roman Polanski. Il s'agit de Tess, adapté du roman Tess of The D'Ubervilles, publié par Thomas Hardy en 1892. Bien que depuis quelques années assez occupé et totalement passionné par la littérature du XIXème siècle, je n'ai toujours pas lu ce livre, ni l'un ou l'autre de cet auteur.


Pourtant très mais alors très très fan du Polanski sixties et seventies (The Tenant et Répulsion > tout David Lynch), je n'avais jusqu'ici jamais non plus trop pris la peine de voir Tess parce que je pensais, à tort, que c'était le film où Polanski avait commencé à grave déconner. Autrement dit, j'ai toujours pensé que c'était un truc à la TF1 tourné à l'arrache en Europe et sans trop de préparations, après que notre camarade de l'encule  se soit définitivement grillé aux Etats-Unis. 


(De l'europudding juste pour niquer Nastassja Kinski donc, j'ai envie de préciser, même si je sais depuis que c'est faux).


Quelques mois avant de voir Tess, toujours en 2023, je m'étais sinon encore enfilé un autre film adapté d'un roman de Thomas Hardy : Far from The Madding Crowd, sorti par John Schlesinger en 1967, long bazar que j'ai trouvé vraiment pas mal du tout  mais pas non plus inoubliable.


Far from The Madding Crowd est le troisième film tourné par Schlesinger avec Julie Christie, après Billy Liar et Darling, tous deux bien meilleurs et tous deux très typiques des sixties anglaises. Très working class heroes, très Swinging London, très réalistico-sordides. Des films à succès, cultes depuis, à la fois dépassés dans leurs esprits et malgré tout troublants de modernité. Bien que se déroulant à la campagne au XIXème siècle et a priori assez fidèle au roman de Thomas Hardy, Far From The Madding Crowd m'a dès lors semblé un peu trop découler de cette même approche, de ce même regard ; carrément former la fin d'une trilogie où Julie Christie minaude fort, collectionne les hommes et virevolte dans le néo-réalisme non sans drame mais principalement avec légèreté. Tess est au contraire autrement plus goth, sombre, hanté, cousin de la folk-horror, héritier de la peinture paysagiste et, surtout, beaucoup plus crotteux. Donc intemporel.


La crotte sur les costumes d'époque est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles je trouve Polanski totalement génial. Que cela soit dans Tess ou dans J'Accuse, les costumes du XIXème n'ont chez lui jamais l'air de sortir de l'atelier de la costumière. Ils sont usés, comme déjà longtemps portés, boueux. Cette année, j'ai aussi vu Killers of The Flower Moon de Martin Scorsese et ça m'a frappé qu'alors que c'est un film qui se passe à des centaines de kilomètres du premier trottoir, chez les bouseux, dans des rues boueuses, le plus souvent sous la pluie ; chaque costard, chaque botte, chaque couverture indienne, chaque bagnole, a néanmoins l'air de sortir du magasin de souvenirs, l'étiquette de prix encore accrochée quelque part. Chez Polanski, s'il pleut sur les champs du Wessex (la contrée anglaise imaginée par Thomas Hardy) et que Kinski travaille à la ferme, et bien, ses robes seront mouillées, dégueulassées, et elle aura de la merde de poule sur le tablier. Ce qui est génial, mine de rien. 


Il y a Love de Gaspar Noé qui se passe principalement dans un appartement parisien où j'ai bien l'impression d'avoir été dormir une nuit (le même que dans Eden de Mia Hansen-Love) mais combien de films contemporains se déroulent sinon dans des lieux d'habitations qui ressemblent plus à une chambre ou à une cuisine d'exposition d'un magasin Ikéa qu'à des lieux où vivent réellement des gens ? A part chez Polanski, je ne vois que des films seventies à la Hal Ashby, le terrifiant Looking for Mr Goodbar et son flat new-yorkais de merde, les premiers Frères Coen, le cinéma de Sergio Leone et la première trilogie Star Wars pour avoir poussé le sens du détail au point que les vêtements, le mobilier et le matériel aient tous l'air d'avoir déjà été utilisés (et niqués) avant le tournage. Et vraiment niqués par l'usure, pas travaillés au cutter comme ces denims juste sortis du shop que des pouffes s'amusent à gratter à la lame pour se donner un genre. 


On se paluche sur des détails mais faut sinon quand même bien insister sur le plus important : à une époque où Roman Polanski est constamment dévalué en tant que cinéaste, artiste et humain, il me semble carrément vital de rappeler que certains de ses films (pas tous, loin de là) tiennent vraiment du chef d'oeuvre absolu. En termes stricts de cinéma, des sommets comme Chinatown, Répulsion, Le Locataire, Tess... Ca renvoie quand même pas mal les productions Marvel et Netflix à leurs statuts réels de direct-to-DVD! Ca rappelle que du XXème siècle, il n'y a pas que Welles, Hitchcock, Kubrick, Spielberg et Scorsese à retenir! Et que des pigistes probablement biberonnés aux "blockbusters inclusifs" pensent que Tess est l'un des films les plus problématiques jamais tournés n'y change strictement rien! Nanère. 


D'un point de vue sinon beaucoup plus troll mais néanmoins extrêmement juste, il est aussi assez amusant de constater et faire constater aux féministes actuelles que Répulsion et Tess sont peut-être bien parmi les films les plus misandres qui existent. Pas un seul mec à sauver dans ces histoires! Pas une seule meuf non plus, cela dit. Reste que l'amour, la compassion et l'adelphitude (wtf that means!) vont vers elles à la fin de ces films. On ne peut que jubiler à la mort atroces de leurs victimes pourtant jamais coupables de crimes autres que leurs médiocrités de simples et bêtes mâles.


Ouais, Polanski est définitivement un grand et gros pervers. And I fucking love it. LOL.


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samedi 14 octobre 2023

LE JOURNAL DU QUINCADO (32) : SORTIR DE L'AGE BETE AVEC SLOWDIVE

 

Octobre 2023 - J'ai connu Slowdive tard, alors que le groupe n'existait déjà plus, au tout début des années 2000, via une petite amie 7 ans plus jeune que moi qui avait eu sa période « shoegaze ». En 1992, j'ai vu My Bloody Valentine en concert et j'ai trouvé ça vraiment terrible mais le shoegaze n'a jamais été mon truc : la disto en se regardant les pieds, les voix sous hélium, les tronches de cakes, le côté neuneu, tout ça... Slowdive était carrément devenu une blague entre nous. Rien que le titre de leur album le plus écouté : Souvlaki Space Station. Et Pita Gyros Orbitale, peut-être ? Moussaka Death Star ?


Une dizaine d'années plus tard, un ami âgé de 7 ans de plus m'a fait découvrir l'album Pygmalion, qui avait échappé au radar de cette petite amie et donc aussi au mien. Celui là était beaucoup plus à mon goût, dans la veine Talk Talk/David Sylvian, et m'a fait totalement apprécier le groupe. Rien que pour lui, j'ai dans la foulée acheté un pack midprice de leurs trois albums des années 90. Puis j'ai déménagé cinq ou six fois et j'ai perdu Pygmalion, pour de bon, puisque plutôt introuvable de nos jours. Quand j'avais une envie de Slowdive, je me suis dès lors souvent rabattu sur Pyta Gyros Orbitale, que j'ai réévalué à la hausse. Et puis ce fut 2017 et un retour aux affaires vraiment fantastique pour Slowdive ; sans doute l'un des seuls albums au monde de groupes reformés des années après leur split initial à ne pas sonner nostalgique et/ou ridicule (Pixies, I'm talking to you).


Everything is Alive, le petit nouveau, paraît de prime abord plus anecdotique que cette charge héroïque de 2017. Slowdive se montrait alors plutôt rentre-dedans alors que celui-ci est à nouveau plus planant mais pas dans le genre Pygmalion, vu qu'il garde majoritairement une structure pop et des batteries entraînantes. Plus proche de Moussaka Death Star, en fait, mais avec 35 ans de bouteille et rien à prouver en plus. Plus intemporel que nostalgique. Développant un son à part de tout et bien à soi plutôt que lorgnant vers les recettes gagnantes de la jeunesse noisy nineties. Carrément un peu OVNI sur les bords, dans le contexte contemporain.


Bref, si quelqu'un de 7 ans de moins ou de plus me demande des conseils sur Slowdive, ce n'est certainement pas l'album vers lequel je vais le ou la diriger en premier mais il n'en est pas moins certainement plus original et meilleur que Just For A Day, par exemple. Nous avons donc bel et bien ici un groupe capable de sonner drôlement mieux 30 ans après leur « golden years » qu'en 1991-92, alors que personne n'attendait pourtant plus rien d'eux, sinon de rejouer leurs « tubes » jusqu'à la mort. C'est suffisamment rare pour être applaudi.


La rigolade reste cela dit tout de même permise, vu que Slowdive est désormais perçu comme un fer-de-lance de la « dream pop », voire de la « vapor wave » et de « l'etheral chill ». Autrement dit, alors que le groupe évolue pour le mieux, une partie de ses fans et de la critique continue de le considérer comme juste bon à faire chouiner la communauté ouin-ouin. En d'autres temps, j'aurais sans doute moi-même retitré cet album « Everything is Sleepy ». Mais là non, consommons plutôt ça entre adultes. L'âge bête, un moment, il faut pouvoir en sortir.



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jeudi 5 octobre 2023

LE JOURNAL DU QUINCADO (31) : AUPRES DE MA BLONDE REDHEAD

 


Octobre 2023 - Pour faire court, je pense qu'avec Sit Down For Dinner, Blonde Redhead vient de lâcher dans la nature l'un des meilleurs albums des années 2020. Le souci étant qu'il est plein de défauts, parfois même irritant et que je ne suis même pas certain de l'aimer tant que ça. Disons que pour le moment, il m'obsède, après m'avoir fort surpris. C'est que Blonde Redhead en 2023 n'a plus rien à voir avec sa tambouille volée à Sonic Youth des années 90, sa grosse influence Gainsbarre du début 2000 ainsi que sa triste période « Mylène Farmer shoegaze » qui a suivi. Aujourd'hui, c'est du côté de la pop americana patchouli comme on en trouve beaucoup sur les podcasts des Allah-La's que lorgne le groupe. Des chansons de vie et de mort, de soleil et d'océan, de regrets et de grands espaces comme en turbinaient Robert Lester Folsom, Robyn Hitchcock et même Fleetwood Mac. Une certaine idée de l'instantanéité, de la simplicité, de la douceur, de l'intemporel, de la FM à l'ancienne. Franchement, qui attendait ça d'un groupe dont le morceau le plus proche du tube, This Is Not, ressemblait à une parodie növö ratée de Lio et Jacques Duvall ?


Tout cela serait évidemment encore meilleur si Blonde Redhead ne restait pas un groupe au fond assez limité. Ambitieux certes, mais habitué à se viander sur la ligne d'arrivée à cause d'une production inadéquate ou de voix mal posées. Si la fragilité vocale d'Amadeo Pace reste troublante et touchante, les petits cris de dauphin et autres halètements post-R&B de Kazu Makino, sans parler de son côté Jane Birkin la narine bouchée, sont en effet drôlement moins convaincants, voire carrément irritants. On s'y fait, cela dit. Tout en se demandant comment ça sonnerait avec une VRAIE voix et rappelons qu'il existe un morceau de Blonde Redhead chanté par David Sylvian!!! 


Si je pense qu'au moins quatre ou cinq chansons sur les onze de l'album ont toutes les chances dans les années à venir de se retrouver dans séries télévisées de premier plan, il faut sinon aussi admettre que d'autres pistes lorgnent drôlement plus du côté de l'illustration sonore de publicité de boîte d'intérim que de la BO idéale pour une scène marquante de carton HBO ou Netflix. Plus accessoirement, Sit Down For Dinner est aussi un album terriblement mal agencé, qui serait bien meilleur avec les morceaux proposés dans un ordre différent, plus cinématique, justement.


Reste que moi, pour le moment, j'aime. Vraiment beaucoup. Vraiment vraiment. Beaucoup beaucoup. Je n'écoute même quasi plus que ça. Je m'attendais à plutôt kiffer le Slowdive mais bim, c'est Blonde Redhead qui, cet automne, se retrouve en position de l'as de trèfle qui pique mon cœur. Je ne sais pas si ça va encore durer quelques jours ou quelques semaines comme ça. Je ne sais pas si je revendrai cet album sur Vinted en 2024 ou si je l'aurai toujours chez moi en 2043. Je ne vois pas non plus avec qui - dans mon entourage proche de vieux punks, de hipsters du Sud de Bruxelles et de JazzFunkDaddies -, je pourrais partager cet emballement pour un disque tout de même un peu honteux, vu que dans le même style, le Charlotte Gainsbourg avec Air et Jarvis Cocker est tout de même vachement mieux branlé (acheté au Brocant'On d'Aywaille, même pas honte!). 


Bref, c'est un plaisir solitaire, sans doute même temporaire, et c'est très bien comme ça


¯\_(ツ)_/¯ 


PS : 

Mon Top-3 de Blonde Redhead


*** Melody of Certain Damaged Lemon + Mélodie Critronique EP (2000)

*** Sit Down For Dinner (2023)

*** La Mia Vita Violenta (1995)



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jeudi 28 septembre 2023

DOPPELGANGER DE NAOMI KLEIN : AU BOUT DU RABBIT HOLE, LE MIRROR-WORLD

 



A la louche, Doppelganger, le tout récent essai à succès de Naomi Klein (No Logo, La Stratégie du Choc...) peut se résumer comme suit : au bout du rabbit hole, il y a le Mirror World. Autrement dit, au plus de temps vous creusez sur Internet un sujet zarbi, au plus vous risquez d'être absorbé dans une réalité alternative où les théories de conspirations les plus cinglées passent pour réelles et où Donald Trump est perçu comme un grand Combattant des Libertés. Klein a écrit ce bouquin assez vite, en plein Covid, et il lui manque sans aucun doute les années de recherches et de recul de ses autres enquêtes, beaucoup plus définitives. Doppelganger est un bon livre mais reste relativement léger, très personnel aussi (presque une autobiographie), lui-même davantage entrée de rabbit-hole que collection de conclusions indiscutables. Ce que Naomi Klein dit de Bannon, de l'alt-right et du complotisme est très pertinent mais, même si elle n'épargne pas la gauche contemporaine de critiques, je pense que l'on peut principalement lui reprocher de tenir ce Mirror World sinon comme essentiellement d'extrême-droite, du moins surtout peuplé de ce qu'elle appelle les « diagonalists » (je ne sais pas comment ce terme sera traduit dans la VF, afin de ne pas fâcher les cyclistes que désigne traditionnellement le mot) ; c'est-à-dire des gens qui font du cherry-picking idéologique et peuvent donc s'accorder sur certains points avec l'extrême-droite. Des confusionnistes, selon notre Twitter militant local.


Naomi Klein estime que les sujets dont on parle le plus dans cette réalité alternative sont la vaccination obligatoire, le crédit social chinois, Bill Gates et George Soros. OK mais que sont le harcèlement aussi massif que délirant subi par JK Rowling, l'idée que le wokisme n'existe pas et l'incapacité grandissante de politiciens en exercice à définir clairement ce qu'est une femme sinon d'autres émanations de ce même Mirror World ? Si on quitte les sphères politisées, est-ce que tous ces imbéciles de 45 ans qui tiennent Star Wars pour la plus grande histoire jamais contée et considèrent Jack Torrance comme le meilleur rôle de Jack Nicholson ne sont pas eux-mêmes des créatures du Mirror World ? Dans son livre, Naomi Klein cite énormément de références culturelles ayant pour thème le double maléfique, le doppelganger : Jeckyll & Hyde, Opération Shylock, Dickens, Enemy de Saramango... Mais pas Twin Peaks. Or, s'il y a bien quelque-chose à retenir de Twin Peaks, c'est que personne, même l'agent Cooper, ne ressort indemne de la Black Lodge, vu que personne n'a le cœur assez pur pour ne pas y laisser une partie de son âme servant à la création d'un double néfaste.


Autrement dit, je ne pense pas que le Mirror World soit juste un piège pour droitards qui s'ignorent. C'est une réalité parallèle permise par les réseaux sociaux qui était à l'origine une page blanche et déborde désormais de couillonnades non seulement addictives mais aussi taillées sur mesure pour tout un chacun sur Terre. Il peut donc être très difficile de résister à ce nouvel opium du peuple. Personnellement, je pourrais ainsi très facilement succomber aux théories sur les OVNI issus d'une dimension parallèle et à l'idée que ce Mirror World soit en réalité une entreprise de subversion de nos sociétés occidentales ourdie par les Russes, il y a 3 ou 4 générations. Je sais que je vais trouver sur Internet tout un tas d'informations qui vont me conforter dans ces croyances. Je sais que ça va me procurer toutes sortes de sensations excitantes, me faire sentir faussement malin, éventuellement même me faire rencontrer une communauté où m'épanouir. Ce qui me sauve, c'est que je n'ai aucune envie de devenir un Mirror-Serge qui cherche continuellement sur Internet des confirmations de complots qu'il estime improbables mais possibles, plutôt que des films de Robert Altman et Hal Ashby.


Il y a 2 ans, terminant le Génie Lesbien d'Alice Coffin, j'avais écrit sur ce blog que sur ses 230 pages, j'en estimais 190 issues d'une réalité partagée, alors que les 40 dernières sortaient plutôt de la Twilight Zone, d'un « cartoon paranoïaque ». La Twilight Zone précède le Mirror World. C'est son antichambre, son vestibule, la salle aux rideaux rouges de Twin Peaks où danse Le Nain. Naomi Klein, c'est tout à son honneur, ne s'égare jamais dans cette Quatrième Dimension, ne se fait pas avoir par le Mirror World. Les points discutables de son bouquin tiennent de la divergence d'opinions, pas d'une interprétation cartoonesque et complètement zinzin de ce que nous traversons. Ce qu'elle décrit, ce qu'elle observe et ce qu'elle pense n'est pas issu d'une « zone où l’imagination vagabonde entre la science et la superstition, le réel et le fantastique, la crudité des faits et la matérialisation des fantasmes." Total respect pour ça !


Cela dit, je m'attendais à un livre plus important, plus déterminant. Quelque-chose de nature à dégoûter les gens du doomscrolling et des réseaux sociaux, 350 pages qui fassent drôlement plus gamberger que rassurer le public de Klein de sa propre intelligence. Doppelganger me semble en effet surtout avoir été écrit pour se rassurer, tenir de la version « Maman Juive » d'un documentaire d'Adam Curtis. Ce côté sapiosexuel est sa grande faiblesse : nous sommes entre gens vertueux et intelligents, nous allons résister et changer les choses. Klein va même jusqu'à défendre l'idée d'un réseau social régulé et géré comme un service public ; lubie de gauche que je trouve pour ma part non seulement complètement tarte mais qui serait aussi immanquablement génératrice de son propre Mirror World. Twin Peaks toujours, la fin de la saison 3 : quoi que vous fassiez, ça va recommencer. Autrement, ailleurs. Toute résistance est futile, même si héroïque.


Pour ma part, je ne vois en fait qu'une solution : éteindre. Foutre tout le monde dehors, après une tournée générale de coups de pieds au cul. Cela ne risque pas d'arriver. Par contre, si on tient les conneries du Mirror World pour ce qu'elles sont, c'est-à-dire une bave comparable à celles de pochetrons dans un bar ou d'un panel chez Hanouna, hausser les épaules peut suffire. En ricaner plutôt que d'en faire des caisses dans les médias putaclics ou s'en inspirer politiquement. Et puis, s'en aller dans le soleil couchant vers d'autres aventures. C'est un peu lâche mais entre le coup du poor lonesome cowboy et ceux de la Karen comparant le passeport vaccinal à une étoile jaune, du journaliste ciné se demandant très sérieusement pourquoi il n'y a pas de racisé.e.s dans un film sur le Danemark de 1730 et des appels à un Internet interdit de conneries, c'est encore le meilleur choix. Non ?


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vendredi 22 septembre 2023

LE JOURNAL DU QUINCADO (30) : MYTHES D'UN FUTUR PROCHE



Septembre 2023 – Les guerres culturelles, les polarisations idéologiques, le fossé plus du tout rebouchable entre la gauche et la droite... Pour y participer activement, je pense qu'il ne faut pas juste se choisir un camp et se reconnaître dans un combat et des valeurs. Il faut surtout avoir du monde une vision pas jojo du tout. Sentir une menace fantôme planer au-dessus de sa fraise. Ca me semble évident : tant Jordan Peterson que la clique éco-anxieuse, tant Eric Zemmour que les activistes trans, tant Donald Trump que les colleuses d'affiches féministes et tant Sandrine Rousseau que les islamophobes, entre beaucoup beaucoup d'autres, partagent toutes et tous l'impression que le monde est en train de partir en saucisse, que le temps des rires et des chants est terminé, que tout pourrait très vite s'écrouler. Par delà les irréconciliables différences idéologiques, un gros point commun : la pétoche du futur proche. Ce qui rappelle la célèbre phrase de Trump lors de son discours inaugural : « The world is a dark and dangerous place ». Un truc assez tranchant par rapport aux années « Hope » d'Obama et je me souviens très bien de ce moment.


J'étais chez un pote à suivre ça en direct et on n'a pas arrêté de rigoler et d'hurler : « Putain, l'enculée de grosse orange tarée, c'est ton régime alimentaire qui est sombre et dangereux, ouais, CONNARD! », «« Fucking Snowflake ! »,  "On se croirait dans Black Mirror revu par South Park, lé lé lé lé lé ! ». Et puis, quelques jours plus tard, il y a cette micro-célébrité des Internets d'alors, Vic Berger, qui a remixé le discours inaugural de Trump avec des images psychédéliques, des fanfares confédérées et des cornes de brume et j'ai bien regardé ça 25 fois d'affilée tellement non seulement ça me pliait encore plus de rire mais aussi que ça ressemblait pour moi au meilleur résumé de l'affaire : c'est grave mais moins grave qu'ILS ne le disent. On s'en sortira. Même pas peur.


Les années Trump furent un gros shitshow dystopique, les années actuelles sont vraiment les plus nulles que j'ai pu traverser depuis que je suis né mais... La société proche de l'implosion ? La dictature (faf, woke ou muslim) à nos portes ? La fin de tout ce qui est bon et beau en vue ? Vit-on vraiment dans une « dark and dangerous place », menacés, condamnés ? Certaines parties du monde le sont. Des strates sociales le sont. Beaucoup d'esprits sont englués dans de tels endroits et la configuration des réseaux sociaux ainsi que le mode opératoire des médias, - ce capitalisme de la peur -, fait en sorte de vous faire voir ainsi les choses.


Bien entendu, il y a des turbulences, plus ou moins sévères, plus ou moins annonciatrices de merdes contre lesquelles là, il faudra éventuellement vraiment se battre un jour. Comme disait l'éminent philosophe Walter Shobshack, au-delà de cette ligne dans le sable, tu t'exposes à un mur de souffrances, mec. En attendant, le vol semble encore et toujours rester plus routinier que proche du crash. Même les restrictions durant le Covid ont davantage ressemblé à un très long dimanche de pluie suivi d'un jour férié interminable qu'à 28 Days Later. Même la Troisième Guerre Mondiale n'est plus ce qu'elle était.


Quand j'étais gosse, Troisième Guerre Mondiale signifiait annihilation totale de l'Humanité. Or, aujourd'hui, je ne suis même pas certain que si la Troisième Guerre Mondiale éclatait demain (et « demain » pourrait très bien avoir été le 24 février 2022), on en serait même officiellement notifié. Peut-être que l'OTAN parlerait plutôt d'une opération spéciale en Ukraine, d'un simple support tactique, de frappes limitées, comme jadis en ex-Yougoslavie et en Lybie. Cela ne durerait que quelques semaines.


« Venons-nous de vivre la Troisième Guerre Mondiale » ?, demanderait ensuite Cyril Hanouna à son panel mi-singes, mi-phoques dès l'annonce de pourparlers de paix. « La Chine menace Taiwan. Allons-nous vers la Quatrième Guerre Mondiale ? », ferait ensuite mine de s'inquiéter Joe Rogan. « Lizzo, la nouvelle James Bond Girl : encore une victoire des racisé.e.s morphodivergeants sur le Patriarcat ? », conclurait le site Madmoizelle. Bref, même une bonne grosse guerre ne suffirait sans doute plus à stopper les conneries. 



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mardi 19 septembre 2023

LE JOURNAL DU QUINCADO (29) : LE DOIGT DE LIAS SAOUDI

 



Septembre 2023 - Sur UnHerd, il faut lire ce papier aussi bien torché et parfaitement délirant que non sans pertinence de Lias Saoudi, le chanteur des Fat White Family. Il s'y demande si la transgression est encore possible de nos jours, si « l'esprit punk n'est pas brisé » ? Il y évoque surtout une idée de provocation ultime dont ils avaient discuté la faisabilité au sein du groupe : que son frère et lui se foutent sur scène des doigts dans les culs l'un de l'autre. Autrement dit, une sorte d'inceste public. C'est assez con, c'est plutôt sale et je n'aurais pas forcément eu envie de payer pour voir ça, même si Fat White Family est pour moi le meilleur groupe de scène de ces dix dernières années.


Quelques jours après avoir lu ce papier, en pleine journée, en plein centre de Liège, quelqu'un m'a jeté un peu d'eau dans le cou, tout en faisant mine d'éternuer. Je me suis retourné et je me suis retrouvé nez à nez avec une grosse baballe humaine qui avait tout l'air d'avoir 25 ans à tout casser, très looké, très agité, masquant sa nervosité d'une hilarité forcée et tenant absolument à me faire croire qu'il m'avait éternué dessus alors qu'il tenait pourtant la bouteille d'eau ouverte bien en évidence, n'osant visiblement pas aller à fond dans sa mise en scène, des fois que décollerait vite un pain à destination de sa gueule. J'ai cherché la caméra, je lui ai demandé s'il était sur TikTok. Il ne m'a pas répondu. Je lui ai dit que sa blague était ridicule. Il s'est excusé. Quelques secondes plus tard, il recommençait son cinéma débile sur un autre passant.


Quel rapport avec le doigt de Lias Saoudi dans le cul de son frère ?


Simple. A force de désormais croiser énormément de gens qui sont en permanence dans le show, que cela soit en plein centre de Liège ou dans les spots touristiques scandinaves visités en juin, j'ai fini par penser que même se foutre des doigts dans le cul non seulement sur scène mais même en plein milieu des Galeries Saint-Lambert ne serait aujourd'hui plus si transgressif que ça. Lias Saoudi et son frère seraient évidemment vite évacués d'un lieu public, probablement même arrêtés, et ils se feraient peut-être carrément cogner, surtout si déculottés en présence d'enfants. Reste qu'il me semble évident qu'une majorité de gens présents chercherait malgré tout aussi la caméra. Filmeraient eux-mêmes la scène. Et, surtout, penseraient moins à une performance provocatrice de sex maniacs punkoïdes qu'à un prank de Michaël Youn. Autre point non négligeable : cette performance serait aussitôt postée des centaines de fois sur les réseaux sociaux plutôt que censurée et donc exploitée par des quidams qui en gagneraient de la validation sociale ou même de vraies rentrées de pognon grâce à la monétisation des contenus qui se partagent bien.


Nous vivons désormais dans une société qui fait mine de très vite s'offusquer, de trouver scandaleuse la moindre peccadille tout en exploitant constamment cette indignation. Dans un tel contexte, il est dès lors pour moi évident que si on veut faire perdurer l'esprit punk, qui est moins une attitude de provocation que de refus social, la transgression ultime n'est pas de se foutre des doigts dans le cul entre frères en public, ce qui aurait pu être un scénario d'Harmony Korine dans les années 90. En 2023, je trouve plutôt qu'un bon punk est un punk caché. Discret, qui fait tout un tas de trucs antisociaux sans ne jamais en parler. Sans ne jamais s'en servir pour se la jouer, ni chercher à captiver un quelconque public. 


Par contre, ce qui serait réellement transgressif et moderne dans un cadre spectaculaire, ce serait plutôt d'attraper un YouTubeur pour l'humilier sur scène, le torturer, pourquoi pas même le flinguer devant des centaines de smartphones brandis pour ne rien rater du show. Quel crachat ultime à la face de la société du spectacle permanent ce serait là. Cela dit, je vous rassure tout de suite : ça non plus, je n'aurais pas forcément envie de payer pour le voir.


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dimanche 23 juillet 2023

LE JOURNAL DU QUINCADO (28) : DANS LE TIROIR DU BAS DE TON CUL

 


Juillet 2023 – Je n'aurais peut-être pas dit ça il y a quelques années mais là, j'envisage parfaitement de vivre dans le futur loin de tout réseau social. OUI, JE SAIS : j'ai déjà souvent écrit que j'allais quitter Facebook et Twitter et j'y suis toujours. Cela s'explique par de bonnes et de mauvaises raisons et aussi, tout simplement, par la flemme. Le haussement d'épaules en mode « Who the fuck cares, anyways ? (Not me)» Cette fois, c'est malgré tout un tout petit peu différent. J'écris ceci le dimanche 23 juillet 2023 alors qu'Elon Musk semble annoncer des changements assez drastiques pour Twitter, pas juste un nouveau logo. C'est peut-être la connerie de trop, le début de la fin ? Ou alors, Twitter/X va devenir vraiment autre chose, « the everything app »? Peu m'importe. Vraiment. Que cela se casse la gueule ou que cela devienne un truc dont je refuse de me servir, no big deal. Si Twitter disparaît, je ne vais pas aller me réfugier sur Mastodon, Threads ou Bluesky. L'expérience aura été ce qu'elle a été, pas besoin de plus. Si ça devient un metaverse ou un forum géant pour beaufs de droite : pareil. Tout aussi inutile et inintéressant pour moi que TikTok, Snapchat et des centaines d'autres coincoins dont je n'ai même pas envie de connaître le nom. Je ne ressens aucun besoin de retrouver exactement les mêmes gugusses sur un autre réseau social pour y revivre exactement les mêmes embrouilles et les mêmes culbutes. Donnez-moi de l'inédit excitant ! Sinon, autant rallumer la PlayStation 4 ou enfin me mettre aux gros classiques de la littérature russe.


Ca m'étonnerait que Twitter s'écroule, cela dit. Ca m'étonnerait aussi que ses concurrents et autres copies puissent un jour le remplacer ; avoir le même niveau de succès, brasser autant de gens et d'avis différents. Ce modèle d'agora universelle est-il tout simplement encore viable, après avoir donné naissance à tant de polarisations, de bagarres débiles et de haines tenaces ? Ce modèle où n'importe qui peut apostropher n'importe qui à propos de n'importe quoi peut-il seulement encore rapporter de la maille ? Aujourd'hui, quand je vois certains comptes politisés et militants, ce n'est pas juste que je ne suis pas d'accord avec ce qu'il y est dit et que ça me donne envie d'en rire. La réalité décrite sur ces comptes ne correspond en fait plus à rien de ce qui se passe dans ma vie, à ce que je vois autour de moi. Ca ressemble même carrément à quelque-chose qui serait envoyée d'un univers parallèle. Du langage alien. De la bave ectoplasmique. Du charabia gogol. Forcément, au bout d'un moment, ça lasse, ça fait hausser les épaules. « Non, mais c'est quoi ces débiles ? Est-ce que je ne ferais pas mieux d'aller rigoler au bistro en écoutant baver les pochetrons ? ». Or, amener entre les deux oreilles de son public l'idée d'une occupation alternative, voilà qui est toujours dangereux quand on fait commerce de l'assuétude hypnotique et de la capture des esprits.


Et ça, justement, je pense que Musk et Zuckerberg l'ont très bien compris. Leur avenir, c'est d'être l'équivalent de TF1 et de France-Télévisions au milieu d'une pléthore d'offres non pas concurrentes mais s'adressant à des publics différents, des niches, des tribus. Toutes les attentes, tous les univers, toutes les réalités parallèles. Ce n'est d'ailleurs pas très farfelu, ni osé, comme prédiction, vu que si on regarde ce qui s'est passé dans les médias, dans le cinéma ou même dans la musique, c'est exactement ça, le modèle qui s'est ces dernières années dégagé : au commencement, était une offre réduite attirant énormément de monde et puis, vient un moment où ça éclate et puis ça éclate encore et puis encore et au bout du compte un produit Star Wars n'est plus un événement fédérateur et universel comme durant mon enfance mais un truc constamment renouvelé qui sort du robinet Disney+ pour un public captif de Disney+ qui n'est pas le public captif de Netflix. Un courant musical n'est plus quelque-chose qui se vend chez un disquaire et sur lequel on peut tomber par hasard en allant acheter Sonic Youth, Slayer ou 2Pac mais un monde en soi assez fermé auquel on peut totalement échapper à vie, comme le rap contemporain français ; encore une véritable réalité parallèle pour moi, qui vit dans un univers musical où personne ne parle de rap contemporain français, où ce sujet n'intéresse pas, où cette « chaîne » n'est même pas programmée sur le récepteur. Bref, si dans cette comparaison certes un peu foireuse, Twitter et Facebook peuvent être caricaturés en TF1 et France-Télévisions des années monopolistiques, là, dans les mois et années qui viennent, je pense que l'on va en fait très très rapidement passer à une sorte de gigantesque bouquet de réseaux sociaux "spécialisés". Ou à une nouvelle approche, un nouvel esprit, où l'échange écrit n'est plus central et bien davantage accessoire. 


Ca rendra tout aussi abruti. Ca sera politiquement tout aussi néfaste. Juste que tant qu'à produire de l'engagement, ça produira de l'engagement où les gens arrêtent de se disputer pour des broutilles et se poussent plutôt les uns les autres à consommer les produits-maisons. Et la démocratie dans tout ça ? L'utopie? Le fun? Bien rangés avec la défense de la liberté d'expression.


Dans le tiroir du bas de ton cul.



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dimanche 2 juillet 2023

LE JOURNAL DU QUINCADO (27) : REVOIR BOUILLON ?

Juillet 2023 – Comme évoqué au post précédent, j'ai passé une bonne partie du mois de juin en Norvège, en Suède, au Danemark et en Allemagne. Des vacances lointaines, enfin ! Sans trace ou presque du Covid, les frontières grandes ouvertes ! En guise de soirée dias, voilà mon petit bilan écrit façon Influenceur Instagram, avec quelques conseils et un zeste de déconnade !


LA NORVEGE


Destinations : Oslo, Roros, Trondheim, Dombas, Andalsnes et Otta. Eviter les Américaines au vocal fry envahissant et les endroits hors de prix, comme sans doute Bergen et Stavanger, que l'on se réserve pour après l'Euromillions. Beaucoup de marche à pied, un peu de camping, quelques musées. Des choses qui se vivent mieux sans ensuite les partager, comme le kayak dans The Circle de Dave Eggers. La ligne Dombas/Andalsnes, considérée comme l'un des plus beaux trajets de train au monde, est très sympa mais quelque-peu surestimée : ce n'est que les vingt dernières minutes que l'on en prend plein la gueule. A Andalsnes, la ballade descendant du restaurant panoramique atteignable en téléphérique vers la ville est par contre juste dingue, très exigeante et très vertigineuse. Tu glisses, t'es mort et c'est très bien comme ça.


En Norvège, qui est depuis 1969 une monarchie pétrolière, c'est la vie chère, surtout en ce qui concerne la bibine : une chope = 10 balles minimum. Le vin, t'oublies (le Beaujolpif à 17€ environ au VinMonopolet, leur seul magasin (d'état) autorisé à vendre de l'alcool). Une vodka, un whisky, un gin ou un cocktail, c'est le double qu'à Bruxelles. Curieusement, j'ai malgré tout trouvé ça moins scandaleusement « exag' » qu'à Londres dans les années 90 ou début 2000, où c'était également cher mais surtout dégueulasse, du gros foutage de poire : de la bouffe infecte, des boissons vomitives. A Oslo, dès que l'on a capté où ne pas aller, les petits restos sont pour la plupart bons, voire très bons, et la pils locale servie à la pompe est très, très correcte (la Dahls, surtout). Ca fait donc seulement mal au compte en banque, moins au cul. Un truc à savoir pour les Belges : ils foutent automatiquement des sauces bizarres, voire multicolores, et/ou de la poudre piquante, sur les frites. Ils ne peuvent pas s'en empêcher.


Le vendredi soir, c'est The Purge. Ca se bourre la gueule mais alors grave, en gueulant comme des gorets. C'est le grand défilé des cagoles en crop-tops et des beaufs en shorts saumon et ça binge-drinke ferme. L' Angleterre en presque pire. Cela dit, comme ils sont aussi dégénérés que les Brits mais ont un plus gros balais dans le cul transmis de générations en générations, à 3 heures du mat, l'heure à laquelle le fêtard belge commence seulement à danser, c'est fini. Jusqu'à la semaine prochaine. The Purgeke, quoi.


Bien que plutôt sympa, Oslo a un côté dystopique. La ville fonctionnelle aux grands immeubles très laids, aux gigantesques shopping centers et aux pistes cyclables encourageant les connards en Lycra à des pointes de vitesse insensées. Grunnerlokka, le quartier qui monte, anciennement très prolo et désormais gentrifié mais pas tout à fait, est cela dit très sympa pour qui a vécu à Saint-Gilles ou Ixelles étant jeune et a aimé ça. Sinon, le Musée National est chanmé. Le Musée Folklorique, sur l'île de Bygdoy, leur Uccle/Cointe local, est également plutôt cool, surtout la partie consacrée au design scandinave (je veux un champignon atomique gonflable!). Un meilleur conseil, encore : prendre la peine de visiter l'Hôtel de Ville, qui n'a l'air de rien sous ses dehors Hunger Games mais recèle à l'intérieur de décorations murales complètement tarées; étrange mix typiquement norvégien entre délire Midsommar (le film) et peinture soviétique. Le parc Vigeland est sinon bien surfait mais malgré tout à voir, ne fut-ce que pour son côté WTF. Pour info, je l'ai personnellement renommé le Parc Dutroux. 




Sociologie rigolote : le Norvégien semble sévèrement atteint d'une véritable obsession pour les pelouses bien entretenues, les vieilles bagnoles américaines, les coiffeurs et Tom Waits. Les coiffeurs, c'est juste dingue : j'en ai compté trois ou quatre dans une petite ville ne totalisant pourtant qu'une cinquantaine de rues et plusieurs par blocs à Oslo et Trondheim. Le plus marrant étant que la plupart des habitants ne sont pas spécialement bien coiffés. Quant à Tom Waits, ils ont un truc annuel qui s'appelle le Tom Waits Lopet (ce qui m'a évidemment plié de rire) et qui est une sorte de festival de reprises dans les cafés de différentes villes. J'ai vu ça annoncé sur un mur à Trondheim et j'ai un moment vraiment pensé que Tom Waits jouait ce soir là dans un endroit qui s'appelait le Lopet (huhu!) et qu'il restait des places. Autrement dit, almost heart attack (and vine) !


Gros chocs culturels : autant Tonton Munsch m'impressionne beaucoup moins qu'un beau chapeau, bien que non dénué de talent au moment de croquer les femmes alcooliques à moitié à poil, autant je devenu complètement dingue de Johan Christian Dahl et de ses petits copains de l'époque romantique. Voilà en effet un gang qui te peint un paysage transcendant avec autrement plus de panache et de minutie que la petite tête d'oeuf qui crie sous un ciel orange de l'autre Kanye West des arts picturaux locaux.


Gros, gros coup de cœur pour Tarjei Vesaas aussi, dont je n'avais jamais entendu parler et dont le Palais de Glace m'a beaucoup plus marqué que tout ce que je me suis farci de Knut Hamsun, qui était jusqu'ici le seul écrivain norvégien dont j'avais lu des livres, ne connaissant en fait strictement rien rien à l'histoire et à la culture de ce pays.


(Conversation réelle : "- Ils étaient de quel côté durant la guerre ? - J'en sais rien. Pas neutres en tous cas vu qu'il existe un film qui s'appelle les Héros de Télémark avec Kirk Douglas. Mais je pensais que Télémarque était en Grèce, moi... »)


LA SUEDE





Je ne suis resté que deux jours en Suède, à Malmö, ville encore plus survolée d'avions bruyants que Woluwé Saint-Lambert et où il n'y a pas grand-chose à faire. Je m'y suis quoi qu'il en soit senti vachement bien en m'y baladant. Un truc dans l'air, une certaine tranquillité. J'y ai beaucoup ri au Disgusting Food Museum aussi, attrape-touriste qui aligne les reproductions en plastique de toute une série de plats considérés comme dégueulasses. Ca va du fromage italien avec les vers, du Haggis écossais et du Mice Wine chinois (le plus horrible, je trouve) à la tarentule frite, en passant par – scandale pour un Belge – le steak tartare, notre bon vieux américain préparé, non mais! Si la visite est amusante, le plus marrant, c'est la dégustation finale, le « Disgusting Bingo » comme ils appellent ça. J'ai trouvé le criquet moyen et le ver à soie assez bof lui aussi. Le jus de choucroute vendu en bouteilles en Pologne est bel et bien du jus de choucroute (L'animateur : T'es allemand, non ? Tu aimes la choucroute ? Moi : Belge et environ une fois par an, seulement. Plus, c'est de la perversion). J'ai zappé le Su Callu et les fromages dégoulinants mais j'ai aussi plutôt apprécié le hakarl (le requin islandais mariné dans sa pisse), le sürstromming suédois et le fruit de Durian, vraiment délicieux même si puant le cadavre. Le bouquet final étant une dégustation de sauces piquantes. Malgré ma condition physique de poulet de batterie, je me suis découvert plus résistant qu'un Américain de 20 ans de moins et en pleine forme, qui avait l'air de vouloir se vomir dessus à la quatrième sauce, alors que si j'avais bel et bien la gueule en feu, j'ai gardé plus longtemps que lui l'esprit clair et la posture stoïque. J'ai même carrément trouvé la Mad Dog 357 de base vraiment excellente et n'ai déclaré forfait qu'à l'approche de la goutte de Source et de Mad Dog Plutonium.


LE DANEMARK


Deux jours de tourisme décomplexé à Copenhague. Ville étrange, plutôt moche, elle aussi principalement fonctionnelle, carrément véritable enfer pour qui déteste les vélos et les trottinettes. Grosse destination touristique aussi, ce qui lui donne un côté Bruges/Amsterdam. Séjour très agréable, cela dit. Le Tivoli, c'est Plopsaland en pire et la Petite Sirène, c'est juste Jeanneke Pis avec une queue, mais les musées classiques et les friperies sont plutôt cools. Les disquaires décevants, par contre : trop de métal et de hip-hop. Gros respect pour le film Drunk aussi, que je trouvais jusqu'ici juste sympa mais qui semble en fait avoir fort bien cerné le souci des Danois avec l'alcool, surtout en plein weekend de Midsommar, quand les camions d'étudiants récemment diplômés et donc complètement bourrés sillonnent la ville et que dans la gare au petit matin, ça gueule, ça pleure, ça vomit et ça cherche la baston. Tout cela comme surjoué, comme si personne n'y croyait vraiment, que c'est juste mis en scène pour répondre à une étrange pression sociale.


Autre particularité scandinave : les "Enfants Mouettes". Le gosse est roi là-bas. On le laisse gueuler. On le laisse toucher à tout. On le laisse faire des cumulets dans le train. La baffe, c'est la prison. Et donc, dans les villes côtières, souvent, tu ne sais plus si c'est une mouette ou un gosse qui hurle sa mère à quelques mètres. Dans quel film aimerais-je vivre? Children of Men. Définitivement. 




L'ALLEMAGNE


« Les trains allemands, c'est encore pire. Leur bonne réputation date de la guerre mais depuis, c'est plus vraiment ça ! », je dis à une très sympathique dame danoise sur un quai de Copenhague, juste devant un train peut-être en partance pour Hambourg, peut-être pas. On ne nous le confirmera que 10 minutes avant le départ, malgré une rumeur d'annulation et des billets non remboursables. Cette femme est quelque peu stressée : la soixantaine récente, c'est la première fois de sa vie qu'elle ne prend pas l'avion pour partir en vacances. Hashtag Flygskam, la gretatisation des esprits. Ma blague la fait éclater de rire, alors qu'un couple de sexagénaires teutons se liquéfie derrière moi. Finalement, j'atteins la HBF d'Hambourg après un trajet à ne récolter qu'une étoile sur Yelp et c'est n'importe quoi. Un clodo bloque la porte automatique des toilettes publiques et exige un euro pour passer. Alliés de circonstance aux vessies à deux doigts d'imploser, on passe en force à plusieurs, la Bataille des Ardennes 2. Il y a dans cette gare autant d'éclopés et de toxs pas lavés que de valises à roulettes et une file d'une demi-heure pour obtenir un simple renseignement. Quand je demande en anglais quel train prendre pour aller à Cologne, on me répond en schleu d'aller le prendre à Hanovre alors qu'il y a pourtant des directs annoncés tous les quarts d'heure. Dans le train, une militaire en surpoids exige de s'asseoir à côté de moi parce que c'est sa place réservée alors qu'il y a pourtant plein de sièges libres dans le wagon. Je suis en train de somnoler, mon téléphone charge et mes bagages n'entrent pas dans le compartiment dédié, trop exigu. Comme en plus, elle beugle, je l'envoie chier et ça fait marrer tout le wagon, même si ils ont aussi l'air de vouloir me lyncher. A Cologne, ville où j'ai pourtant passé une bonne partie de mes weekends de 1990 à acheter des CD au Saturn, ayant été durant mon service militaire caserné à Spich, bourgade proche, je découvre derrière la cathédrale une quartier que je ne connaissais pas du tout alors qu'il est ultra-touristique. J'ai faim, j'ai envie d'une bière en terrasse mais « No credit card, my friend. Only cash ! ». Je me dis que le black sur le schnitzel, voilà un bon sujet pour Cash Investigation si je redeviens un jour journaliste plein pot. En attendant cette grande improbabilité, je rentre à l'hôtel m'écrouler, bien fourbu après 12 heures de train et un Kentucky Fried Chicken vraiment immonde (mais payé par Master Card), dans une chambre qui est la version Casa ou Blokker d'un donjon gothique. Ce qui me ravit. Le lendemain, retour à Liège, vacances finies. Next ? 


L'Italie ? Les Iles Féroé ? Revoir Bouillon ?



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mardi 27 juin 2023

LE TRAIN EST-IL VRAIMENT AUSSI SYMPA QUE CA ?

Jeune typique de la fin des années 80, lors de mes premières vacances sans parents, j'ai pas mal pratiqué l'Interrail. En 1989, un soir à Edimbourg, on a décidé que la douche écossaise et les vieilles pierres gothiques, c'était bien joli mais pas très tarladiladada et seulement cinq ou six trains plus tard, on était déjà à Séville à se bourrer la gueule au gin Larios et à rouler des pelles à des cagoles du coin. Ce sont de bons souvenirs et quand on me dit aujourd'hui que « le train, c'est sympa », c'est à ce monde de possibilités que je pense en premier. Des trajets à l'arrache, sur des coups de tête. Des expériences humaines et touristiques qui rappellent fort les pages consacrées à l'Eurotrip de Victor Ward dans Les Lois de l'Attraction de Bret Easton Ellis. Quelque-chose de kaléïdoscopique, de chargé ; du vécu qui change de ville ou de pays toutes les 36 heures. Autrement dit, une forme de vacances et une façon de voyager qui convient très bien à certains et franchement pas du tout à d'autres. Cela dit sans juger le moins du monde l'une ou l'autre option.


Avant de développer, je pense utile de préciser d'où je parle. Pour moi, le train idéal est un train de service public, fort bien financé, peu cher et au tarif basé sur le nombre de kilomètres à parcourir et non pas sur l'heure à laquelle le trajet est effectué. Le sens du service m'est aussi très important : du personnel multilingues, des guichets d'informations ouverts 24h/24, des time tables compréhensibles même par les plus gros demeurés. Ca coûte donc cher sans forcément être rentable mais peu importe : c'est du service public. A la socialiste old school. Je pense en effet que dans ce secteur là, dès que l'on privatise, dès que l'on libéralise, dès que l'on décide que 300 kilomètres peuvent coûter 25 balles le matin et 100 l'après-midi, les encules commencent.


Je pense aussi que l'actuel discours écologiste à propos du train tient de la gigantesque tartufferie qui permet principalement à des bobos fourrés à la chiasse de se donner bonne conscience et de se parer de vertu de Prisunic. Il est pour moi ainsi complètement pathétique de voir les Verts se branlotter la nouille à l'idée de trains de nuit dont les billets coûtent 4 à 5 fois plus que le même trajet en pleine journée ; ce qui fait par ailleurs généralement déjà 3 fois plus que l'avion. Dans mon monde idéal, aller à Paris, Londres, Barcelone ou Berlin coûte à n'importe quelle heure de la journée à peine plus que le prix pour rejoindre Knokke ou Seraing. Ce n'est pas réservé à une clique fortunée ou seulement possible une fois tous les cinq ans quand on n'a pas un rond. Bref, quand on en vient à parler de trains, je me sens plus envieux du système ferroviaire soviétique que du rail privatisé britannique.


Sauf pour les navetteurs et les gens désirant se rendre en dehors des grandes villes et dans les Ardennes, je pense par ailleurs qu'en Belgique, dès que l'on prend le train uniquement en touriste, on n'a pas trop à se plaindre. Ca pourrait être mieux, ça pourrait être pire mais globalement, ça va. Je pense aussi que globalement, aux alentours de nos frontières, pour aller d'une ville à l'autre, y rester, et puis en revenir, le train est aussi OK. C'est quand on garde cette mentalité Interrail que ça me semble devenir un peu plus compliqué. J'écris ceci juste au retour d'un Oslo-Liège qui m'a semblé assez instructif, là, maintenant, en cette très chaude fin juin 2023. Je n'ai pas envie d'étaler une suite de contrariétés qui ressemblerait à la complainte peu intéressante d'une Karen sur Yelp ou sur le site de la Deutsche Bahn à la sinistre réputation méritée. Je suis allé à Oslo en avion, je suis resté 15 jours en Norvège et puis, comme il me restait de l'argent et du temps avant de reprendre le taf (et que le pilote de l'avion m'avait bien stressé avec son atterrissage de Fangio des Cieux!), je suis revenu par le rail, en prenant largement le temps de visiter Malmö et Copenhague.


C'était cool, j'ai aimé ça. Le trajet n'a posé aucun souci majeur. Je n'ai vécu aucun drame. Malgré tout, il y eut quelques moments stressants, des petites contrariétés, des grosses fatigues et, surtout, beaucoup d'ennui. Ca m'a aussi coûté beaucoup plus de pognon que le billet retour de la SAS. A ma décharge, il est honnête de préciser que j'ai effectué ce dit trajet en plein Midsommar, autrement dit le début des grandes vacances dans les pays scandinaves. Ce qui implique non seulement des trains bondés mais aussi le début de certains travaux lourds sur les infrastructures (cette spécialité absurde n'est pas que belge) et donc, des surbookings, des annulations et des trains à prendre dans d'autres gares que celles désignées par la logique géographique et Google Maps, parfois situées 30 kilomètres plus loin. Autre point à ma décharge : suite à une erreur de manipulation, la 4G sur mon téléphone était hors service durant une bonne partie du trip. Ce qui n'aide pas. Mais soit.


A 20 ans, j'ai donc été d'Edimbourg à Séville avec juste dans le baluchon des traveller's checks, du cash et un anglais beaucoup plus approximatif que celui que je pratique aujourd'hui. A 53 ans, descendant pépère d'Oslo à Liège en passant par la Suède, le Danemark et l'Allemagne, je me suis par contre demandé tout le trajet si celui-ci aurait été possible sans smartphone, sans Wi-Fi (ou 4G) et sans Master Card. J'ai croisé pas mal de gens qui se trimballaient en suivant des plannings de voyage de plusieures pages; à mes yeux moqueurs dignes des plans de conquêtes de Napoléon. Vive la spontanéité. J'ai causé à deux nanas qui avaient l'âge d'être mes enfants et trouvaient complètement dingue que je rentre de Norvège en Belgique sans la moindre réservation. Non mais c'est quoi, cette mentalité Booking.com ? Ou est-ce une tendance ? Ou alors, une obligation, vu que le rail international ne permet plus trop le coup de tête, le délire spontané, le vagabondage ? C'est qu'en Norvège, dès qu'un peu sorti des grandes villes, il n'y a pas de guichets, ni même de borne à laquelle acheter un ticket dans certaines gares de patelins pourtant très touristiques. Ca se fait on-line, via une app. Exit les papys à Nokia, donc. Et exit ta propre gueule si tu perds ton smartphone. Certes, on peut payer dans le train mais par carte de crédit uniquement, s'il n'est pas complet, et avec un supplément pas cool du tout à la clé. Exit donc aussi le cash. J'ai passé 15 jours en Norvège et je n'ai pas la moindre idée de à quoi ressemblent leurs billets de banque. En Suède et en Allemagne, j'ai payé aux bornes des billets pour des villes dont je n'avais jamais entendu le nom ou presque parce que c'est là que se trouvaient les trains à prendre pour celles où je voulais me rendre ; déviés suite à des travaux. C'était expliqué au mieux en broken english, - pas forcément de façon sympathique et encourageante d'ailleurs-, et au pire, je l'ai sucé de mon pouce, le scandinave ayant certains mots à peu près communs avec le néerlandais, que je capte à 80%. Au Danemark, le seul train pour en sortir ce matin là, près de 4 heures avant l'ouverture du bureau de réclamations, était sinon soudainement annoncé comme n'allant plus qu'à 50 kilomètres de Copenhague suite à une embrouille dont je n'ai toujours pas saisi toutes les subtilités ; sinon qu'un tortillard de grande banlieue s'est finalement transformé en transporteur international à destination d'Hambourg, évidemment sans le confort allant de pair. Mais pour le même prix.


Toute cette petite chanson pour arriver à la conclusion que tout cela n'est pas très « tourist friendly ». Que le train n'est PAS VRAIMENT « sympa » et qu'il faut même être bien maso pour se taper un Copenhague-Belgique de près de 14 heures une journée de canicule alors que l'avion met moins d'une heure. Pour moins du cinquième du prix. Bref, en l'état, vu que visiblement un peu partout sous-financé depuis des années, le service ferroviaire international ne me semble présenter ni une concurrence sérieuse face à l'aéronautique, ni une façon de voyager fonctionnelle pour des gens n'allant pas simplement d'un point A à un point B. C'est surtout une façon de voir du pays qui était jadis celle des semi-aventuriers fauchés mais qui exige désormais smartphone, 4G, carte de crédit, beaucoup plus de pognon et de temps que l'avion, énormément de patience, une connaissance au moins basique de l'anglais et, de préférence, une idée précise de trajet à suivre. Et à réserver. Sans quoi, c'est plus galère que TGV. 


Bref, le train sauve peut-être la planète mais flingue beaucoup plus certainement le dos, le cul, les sinus (airco partout, fenêtres ouvrables nulle part), le budget et ça bouffe aussi énormément de temps et d'énergie. Surtout si des enfants gueulent en plus dans le wagon ou que celui-ci est rempli d'Espagnols ; peuplade certes très sympathique mais dont le parler criard est le plus énervant au monde, juste avant le vocal fry des américaines névrosées. Alors, toujours aussi sympa le train ? Du moins si on compte aller plus loin que La Panne ou la Côte d'Azur ? Je ne pense pas, non. Avion + voiture = liberté, encore et toujours. Quoi qu'en pense Georges Gilkinet. Bref, va falloir trouver autre chose que ce tchouk tchouk en perdition  pour sauver à la fois le climat et le tourisme. Ou alors, lâcher la thune par palettes et tout updater. Mais vraiment. A la « grands visionnaires », pas comme des petits épiciers. Faut de la carrure pour ça. Ce qui est précisément pourquoi je n'y crois pas. Goodnight, world.  



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mercredi 10 mai 2023

LE JOURNAL DU QUINCADO (26) : CANCEL ME, CANCEL YOU

 


Mai 2023 - L'autre jour, j'ai été interviewé par une étudiante de l'IHECS sur une chronique sur la cancel-culture écrite pour le Focus-Vif fin 2021 et que j'avais un peu oubliée. Or, il paraît que je ne dis pas que des conneries sur le sujet, que j'en ai même une vision différente de ce qu'on lit et entend souvent ailleurs, surtout en France. Je me suis donc dit que ça valait peut-être la peine de résumer l'entretien, de mémoire, que voici donc largement remis en forme et plus réfléchi qu'en live ! Cancel me, cancel you, la cancel-culture, voilà ce que j'en pense, une bonne fois pour toutes! 


La cancel-culture existe-t-elle ?


Bien entendu et rien ne m'énerve plus que les gens qui le nient et tortillent autour du concept pour de basses raisons idéologiques et partisanes. Quand ce n'est pas plus simplement suite à un flagrant manque de culture générale. C'est partout. Dans la gauche woke, dans l'extrême-droite, chez les geeks, parmi les activistes... Vraiment le sport de combat du moment ! C'est un phénomène, une méthode même, qui dépasse de loin le clivage gauche-droite, le cadre politique et idéologique. C'était d'abord culturel. Il faut se rappeler les cinémas brûlés à la sortie de La Dernière Tentation du Christ dans les années 80 et la panique morale totale ayant entouré la sortie du film Baise-Moi en 2000. Virginie Despentes harcelée par l'extrême-droite alliée de circonstance aux associations féministes : qui s'en souvient ? Qui ose s'en souvenir ? Il faut aussi se rappeler de la disparition de Jar Jar Binks dans Star Wars, après une campagne on-line massive de fans déçus, alors qu'il était pourtant manifeste dans The Phantom Menace que le personnage allait tenir un rôle important dans la série. Quel plus gros cancel que celui-là ? On peut aussi parler des ennuis faits à Paul Verhoeven par des activistes LGBTQ durant le tournage de Basic Instinct et de tout le ramdam qui a entouré la publication d'American Psycho de Bret Easton Ellis à peu près à la même époque. Et je ne parle là que de choses dont je me souviens parce que j'étais déjà adulte quand c'est arrivé. Il existe des exemples plus anciens encore, comme la croisade de Tipper Gore contre Prince, Twisted Sister, 2 Live Crew et d'autres groupes musicaux accusés de pervertir la jeunesse américaine en parlant ouvertement de cul. La cancel-culture ne s'est cela dit pleinement épanouie qu'avec Internet et la prolifération des forums et des réseaux sociaux, qui sont pour elle une très bonne et très grosse caisse de résonance.


Quelle différence avec la censure ?


La censure obéit à des règles, analyse généralement l'objet de la polémique avant de trancher. Il y a des comités, des procédures, des critères. Ce n'est pas enviable, ni très glorieux. Souvent arbitraire et même ridicule. Lorsque j'étais ado, Orange Mécanique était ainsi toujours interdit en Angleterre alors que je pense pour ma part avoir vu le film pour la première fois dans le cadre d'un travail scolaire. A Bruxelles, à moins de 400 kilomètres de Londres donc. Mais au moins les Anglais avaient trouvé des raisons d'interdire la diffusion du film. L'outrage aux bonnes mœurs, l'incitation à troubler l'ordre public... C'est discutable, révoltant même, mais c'est rationnel. Un film comme l'Empire des Sens a aussi longtemps été interdit, également pour des raisons précises. Les spectacles de Dieudonné sont généralement interdits pour des raisons tout aussi précises. La censure, ça peut se négocier aussi : votre film peut être montrable si vous en coupez des scènes. La cancel-culture est beaucoup plus irrationnelle. Et certainement pas négociable. Il y a un côté M Le Maudit, l'emballement en meute, le trip search & destroy. Qui a analysé ce qu'a vraiment tweeté JK Rowling ? Selon quels critères ? Qui lui a demandé de s'expliquer et, surtout, a-t-on tenu compte de ses explications ? La cancel-culture, ce sont tout simplement des trolls en roue libre alors que la censure cherche à se parer, certes faussement, de sagesse, de sérieux, de jugement éclairé et même de solennité.


Comment m'y suis-je intéressé ?


Un peu par hasard et plutôt via des humoristes américains et anglais, ainsi qu'en écoutant le podcast de Joe Rogan quand y sont passés pour la première fois des gens comme Bret Weinstein et Jordan Peterson. Le compte Twitter satirique Titania Mc Grath m'a aussi mené aux bouquins et aux émissions de son créateur Andrew Doyle, qui reste pour moi l'un des observateurs qui a au mieux cerné le phénomène. C'est donc principalement via l'humour et de façon beaucoup plus interloquée que partisane. J'essaye de rester apolitique sur le sujet. Nuancé, surtout. J'ai par exemple vu une partie du film de Louis CK qui n'est jamais sorti et je ne pense pas qu'il s'agisse ici d'atteinte à sa liberté d'expression comme ça été dit mais tout simplement d'instinct de survie, tant ce qui était dans ce film aurait rendu les gens cinglés par rapport à ce dont Louis CK a été accusé. Ne pas sortir ce film, c'était juste éviter beaucoup de très grosses emmerdes, ainsi qu'un vrai suicide social et de maousses emballements délirants. Il faut le savoir, je le sais, d'où une vision plus calme du dossier. De même, si quelqu'un comme Jordan Peterson n'est pas du tout ma tasse de thé idéologique, cela ne m'empêche pas de penser que les tentatives de le ruiner tant au plan financier que social et de l'exclure du monde académique sont totalement consternantes. Bref, ma vision de la cancel-culture est donc principalement influencée par ce qui se passe aux Etats-Unis et au Royaume-Uni et plutôt nourrie par des gens qui se moquent du phénomène. Ce qui se dit en France sur le sujet ne m'intéresse par contre pas du tout parce que c'est beaucoup plus politiquement orienté, que le concept a été très vite politiquement récupéré et que celles et ceux qui en parlent sont pour moi de très gros tartuffes, de faux intellectuels habitués à débiter de la connerie au kilomètre. La cancel-culture est née aux Etats-Unis, à la fois dans l'activisme mais aussi dans le monde geek. Bref, ce n'est certainement pas limité à un épouvantail d'extrême-droite ou à l'extrême-gauche sabotant la liberté d'expression. Ca aussi, il vaut mieux le savoir.


Comment combattre ça ?


Je pense que pour y être totalement imperméable, il faut un maximum d'indépendance, surtout financière. Et s'en foutre. Le comédien américain Bill Burr a aussi soulevé un point que je trouve intéressant : les trolls de la cancel-culture ne s'attaquent généralement qu'aux petits poissons, qu'ils peuvent facilement écraser, ainsi qu'aux gros cachalots, dont la chute serait pour eux une grande et flamboyante victoire. Les poissons « moyens » n'intéressent pas les trolls de la cancel-culture, très certainement parce que leur éviction de la sphère publique ne leur procurerait aucune satisfaction et passerait bien au-dessus de la tête du grand-public. Il y a un aspect ludique à la cancel-culture dont on parle trop peu, une gamification qui tient du shoot them up. Dans ce jeu, JK Rowling est une boss. Dès ce dragon là abattu, un nouveau niveau sera dévoilé, des points marqués. 


Comment voyez-vous évoluer la cancel-culture ?


Momentanément mal, sans doute bien ensuite. Si un jour quelqu'un comme JK Rowling se fait descendre, je ne serai pas du tout surpris. Je ne pense cela dit pas que ça arrivera forcément. Bien sûr, la cancel-culture peut mener à la violence réelle, elle semble même carrément en train de foncer à toute blinde sur l'autoroute qui mène à la violence réelle. Même si l'attentat était motivé par d'autres raisons, Charlie n'est-il d'ailleurs pas une sorte d'aboutissement logique de la cancel-culture ? En attendant, ça brise déjà des vies, ça fait dérailler des carrières, c'est très dangereux en soi mais tant que cela n'est pas soutenu dans la durée par un pouvoir en place, un gouvernement et des lois, je pense que le retour de balancier est inévitable. Et si quelqu'un se fait tuer, ce retour de balancier sera en fait juste accéléré. On se posera des questions. On reverra ses méthodes. Il y aura des dissensions. Ca mènera sans doute aussi à des lois, des garanties. On traverse une période crispée. Or, après chaque période crispée, on se détend. Il suffit généralement de l'apparition de quelqu'un qui fait les choses à sa façon en se foutant de ce que l'on pourrait en penser. Un Brando, un Bowie, un Tarantino. Un petit messie de la « fuck you attitude ». Quelqu'un qui ringardise instantanément tous les emballements du moment parce que ce qu'il (ou elle) propose est drôlement plus excitant que de passer son temps sur Twitter à se plaindre des blagues de Dave Chapelle et de l'absence de « racisés » dans la monarchie anglaise.


Comment s'en protéger ?


Puisque je vois les adeptes de la cancel-culture comme de simples trolls, appliquer le bon vieux « don't feed the troll ». Les ignorer. Ou tenir tête, aller à l'affrontement. L'une de leurs entourloupes, c'est de prétendre que la cancel-culture n'est pas du simple troll mais un combat pour la responsabilisation des propos tenus. En fait, je suis partiellement d'accord avec ça. Je pense que si quelqu'un fait des blagues sur les féministes à cheveux bleus de 110 kilos avec un anneau dans le nez, il n'est pas scandaleux qu'il soit sermonné sur la misogynie et la grossophobie. La nuance, de taille, c'est qu'il y a une différence fondamentale entre inviter quelqu'un à remettre en question son humour relou et vouloir sa disparition totale de la sphère publique, ainsi que la ruine à vie de sa réputation professionnelle ; cela le plus souvent sans même avoir engagé de conversation et pour la simple raison que ses blagues ringardes sont perçues comme un virus contagieux bloquant l'évolution de la société vers davantage d'inclusivité. Quand je parle d'aller à l'affrontement, c'est donc ça. Prendre le temps de démonter les mécanismes de la cancel-culture, en exposer les dérives, les tentations totalitaires, l'aspect juge et bourreau, l'imbécillité argumentaire. Ne pas céder à la panique. Aller droit à la carotide mais de façon intelligente et tactique. Prendre le temps de réfléchir avant de rétorquer, afin de ne pas tomber dans les pièges rhétoriques ; genre hurler à « la liberté d'expression que l'on assassine », élément de langage trop facilement démontable. Bien entendu, ça ne changera probablement pas les trolls. Mais ça en limitera éventuellement la capacité de nuisance. Puisque la cancel-culture ne fonctionne qu'en provoquant des emballements et des paniques, je pense que c'est justement la possibilité d'emballement qu'il faut tuer dans l'oeuf.


Comment ?


En évitant de céder à la panique. En gardant la tête froide. Avant même de répondre aux trolls de la cancel-culture, je pense par exemple qu'il est plus important d'informer ses clients, ses partenaires et ses proches qui pourraient être indirectement touchés que l'on est la cible d'une campagne de cancel. Analyser pourquoi. Analyser qui attaque : les mêmes personnes multipliant les faux-comptes ? Des trolls reconnus comme tels ? Une association polémique ? Ou alors, quelqu'un sachant vraiment de quoi il parle, présentant de vrais arguments, portant des accusations précises et documentées ? Il faut pouvoir reconnaître avoir merdé si on a merdé. Pas forcément en s'excusant comme une loque ou de façon hypocrite. Si vous estimez que ce que l'on vous reproche est dégueulasse, il ne faut certainement pas s'excuser ou faire le dos rond en attendant que les trolls se lassent. Ce serait leur offrir une demi- victoire. Si la cancel-culture a progressé à ce point, je pense que c'est principalement parce que beaucoup de gens ne comprennent pas vraiment ce que c'est mais aussi parce qu'il y a une grande lâcheté doublée d'une peur maladive de se faire virer dans les milieux qui sont le plus susceptibles d'être touchés par le phénomène. Les médias, notamment. Déjà, les journalistes ont par essence beaucoup de mal à se remettre en question mais c'est aussi un milieu le plus souvent très conformiste, compétitif, médiocre et lâche. Quand les trolls attaquent, c'est donc du pain béni pour eux, vu qu'ils peuvent très facilement provoquer des discordes et des emballements sur un tel terrain. Or, si on y garde la tête froide ou que l'on se fout de Twitter comme l'on se foutait jadis du courrier des lecteurs (ce qui arrive toujours, bien heureusement), le cancel glisse alors vers le néant comme un pet sur une toile cirée.


Y-a-t-il un risque d'autocensure généralisée pour tenter d'y échapper?


Oui mais l'autocensure, ce n'est pas forcément un spectre ignoble, c'est quelque-chose qui se pratique au quotidien, souvent même inconsciemment, et ce n'est en rien scandaleux. Ce n'est pas non plus lié à la cancel-culture. Dans les médias, dans le cinéma, dans la littérature, ça a toujours existé. Je pense que ça suit des modes aussi. On ne s'autocensurait pas il y a 50 ans comme l'on s'autocensure aujourd'hui. La cancel-culture est dégueulasse en soi mais toutes les questions qu'elle soulève ne le sont pas. Il y a de plus ou moins grosses remises en question qui en découlent et c'est très bien comme ça. L'évolution naturelle plutôt que la révolution forcée. Et puis, de toutes façons, tant que c'est permis par la loi et les gouvernements, une fois encore, il y aura toujours des gens qui aiment provoquer, aller à contre-courant, ainsi que des retours de balanciers. Si la culture devient très timorée, il ne faudra probablement pas 10 ans pour que l'on retourne vers quelque-chose de totalement opposé à cette tiédeur. Du trash, de la provoc. Si les médias commencent vraiment à ressembler à la Pravda des années 70, à abuser de l'écriture inclusive et des trigger warnings, il se créera des alternatives et pas juste pour se foutre de la gueule du wokisme et des vegans; plutôt pour parler du monde d'une façon différente, couvrir d'autres sujets, explorer d'autres pistes, vivre d'autres expériences humaines. Je ne suis pas de nature optimiste. Vu comment le monde tourne en ce moment, on peut très bien se prendre une bombe nucléaire sur la gueule avant même d'avoir fini de se curer le nez. On pourrait aussi assez vite basculer dans ce que l'on appelle « une dictature bienveillante », où toutes ces affaires de cancel parce qu'untel a peint un zizi et untel tweeté que toutes les vigneronnes de France et de Navarre sont des connasses n'auraient alors plus aucune espèce d'importance. Je ne suis pas de nature optimiste mais tant que la société ne bascule pas vers quelque-chose de réellement autoritaire, elle continuera de fonctionner comme elle l'a toujours fait. Autrement dit, la durée de vie des paniques morales et des tendances aux emballements en meute reste assez limitée et soumise aux modes. En 2010, la plupart des actuels membres de la Police du Tweet aujourd'hui actifs dans l'indignation permanente et la cancel culture se la jouaient racailles nihilistes, Tyler Durden du Lidl, Booba de canapé : « ta mère ceci », «passion nichons », etc... Aujourd'hui, c'est la croisade morale et vertueuse, la sororité de mes couilles. Dans 5 ou 10 ans, si ça se trouve, « ielles » s'échangeront donc des fiches tricot (pour mieux passer l'hiver nucléaire) et des recettes de choux farci au radium. And Ya kna wot ? Fook them !



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