samedi 25 février 2023

NON MAIS ARAU, QUOI...

 


(photo trouvée sur le site de The Bulletin, auteur inconnu. Si souci, e-mail me!)


Ce 23 février 2023, l'ARAU, l'Atelier de Recherches et d'Actions Urbaines, mettait à disposition sur son site une « analyse » de 13 pages PDF concernant « l'affaire du Fuse » ; annonçant dès le titre que « le droit à la ville n’est pas à vendre et la santé des habitants n’est pas négociable ! ». Autrement dit, no pasaran el boum-boum !


L'asbl bruxelloise estime donc que « disproportionnées et irresponsables, les réactions politiques pour soutenir le Fuse ont nié le droit à la ville en marginalisant la parole des habitants et en bafouant le droit de l’environnement. » Si on en croit l'ARAU et jusque là, il n'y a aucune raison de ne pas croire l'ARAU, les politiques et les médias ont en effet largement déconné en présentant une vision assez biaisée du dossier. Il y aurait notamment à l'égard du Fuse plus de soixante plaintes sur près de dix ans et pas juste une embrouille avec un voisin installé là depuis peu. Autre oubli des politiques et des médias, selon l'ARAU : les plaignants ne s'attaquent pas à une discothèque présente dans les Marolles depuis 1994 (et même depuis les années 1970 si on estime que le Fuse n'est que locataire du Disque Rouge) ; ces riverains se plaignent en fait principalement de « nuisances » beaucoup plus récentes, qui découleraient d'un agrandissement du Fuse et d'une partie du bâtiment pas aussi isolée que les autres. Pour l'ARAU, le soutien politique à la discothèque et le traitement médiatique du dossier tient en fait carrément du « victim blaming »; chose courante « lorsqu’il est question de nuisances sonores en ville ».


Le « victim blaming » n'est pas le seul concept à la mode utilisé par l'ARAU. Celui-ci s'estime en effet également « lanceur d'alertes » sur les nuisances sonores, « produisant plusieurs analyses et en organisant des conférences pour démontrer que le bruit est une cause majeure de problèmes de santé publique de dégradations de l’environnement. » Quand on parcourt cette documentation, on est en effet vite fixés : pour l'ARAU, les lois et arrêtés actuels (« fruit de nombreuses années de travail ») portant sur le son amplifié sont bons et doivent être respectés à la lettre. Que ce fruit de ces nombreuses années de travail soit valide d'un point de vue scientifique mais contestable et contesté à un niveau plus technique et, surtout, culturel, ça, par contre, on n'en parle pas. Pour l'ARAU, « le Fuse n’a pas réalisé les travaux d’insonorisation nécessaires ni appliqué les recommandations de Bruxelles Environnement... ». Certes... mais il faudrait peut-être rappeler que ces recommandations peuvent être jugées sinon inapplicables, du moins assez irréalistes dans une discothèque, à fortiori d'une telle capacité. Cela dit, L'ARAU semble en fait surtout recommander de s'en tenir aux arrêtés et aux lois quand ces directives servent sa propre cause.


A l'évocation d'un « principe d'antériorité » qui pourrait pourtant un jour aussi devenir base légale, l'ARAU évoque ainsi une source « de nombreuses injustices et iniquités » ( « si un établissement préexiste à l’installation de nouveaux habitants, à ces derniers de s’adapter, de s’isoler, et d’accepter les nuisances. Ce principe, que l’on cite comme étant appliqué à Berlin, à Paris ou dans d’autres capitales, fait en réalité l’objet de nombreux recours, dans toutes les villes où le milieu de la nuit a tenté de l’introduire, et frôle partout le caractère anticonstitutionnel. Sans s’attarder sur les batailles juridiques ayant cours en France, en Espagne, en Royaume-Uni ou en Allemagne, on peut facilement comprendre que ce principe est susceptible de créer de nombreuses injustices et iniquités. »


Rappelons qu'à Paris, ce « principe d'antériorité » a pourtant notamment été évoqué alors que des personnes venant d'y emménager se plaignaient du bruit à Pigalle, quartier bien pourvu en boxons depuis plus de 150 ans. Vivant pour ma part à Liège, cela me fait par ailleurs toujours marrer d'imaginer la façon dont serait ici reçue une personne se plaignant du boucan dans Le Carré. Le Carré, parlons-en. Voilà un ensemble de quelques rues liégeoises dédiées à la fête. Comme ça existe quasi partout ailleurs mais pas trop à Bruxelles. Selon l'ARAU, consacrer des quartiers d'une ville au divertissement est d'ailleurs « réactionnaire. » Cela « renvoie à une vision fonctionnaliste de la ville que l’on espérait révolue : partager et découper le territoire urbain en différents « zonings » ayant chacun sa propre fonction dominante, voire unique. Les dérives historiques et leurs effets nuisibles à l’habitabilité sont connus : bureaux aux quartiers Nord ou européen, commerces rue Neuve, musées au Mont des Arts, fêtes à Saint-Géry… autant de lieux où la densité d’habitants est plus que critique et où il s’avère assez délicat, pour les autorités, de maintenir des habitants sur le long terme et de promouvoir une qualité de vie ! Cibler des quartiers ou des rues à dédier à la fête visait ici un objectif : réduire la capacité de plainte des habitants, accepter que le bruit et l’animation nocturne fassent partie intégrante de ces quartiers. De nouveau, l’on en revient à imaginer réduire la possibilité de contestation des habitants et à créer des zones de « moins de droits ».


Je trouve pourtant carrément logique et très rationnel de dédier des quartiers à la fête, tout comme il est logique et rationnel de ne pas implanter de l'industrie lourde en plein centre-ville. Je trouve aussi logique et rationnel qu'il existe des zones de « moins de droits » : si vous habitez à côté d'une église et vous vous plaignez des cloches ou au-dessus d'un boucher alors que vous ne supportez pas l'odeur de la viande et le faites savoir, c'est insensé que vous puissiez être écouté et pris au sérieux. Donc oui, je pense qu'il faut des coins bruyants en ville, avec des bars et des discothèques dont les bâtiments mitoyens ne sont pas habités la nuit ou habités par des gens que cela ne dérange pas. C'est pourquoi je ne comprends pas très bien non plus en quoi l'ARAU trouve si scandaleuse l'idée que la Ville de Bruxelles envisagerait de racheter les immeubles autour du Fuse et d'en exproprier les habitants ? Cela me semble bien une solution un peu olé-olé et ouverte à du dessous-de-tables à gogo mais pas la pire, d'autant que ces immeubles peuvent très bien être affectés à des locataires que le voisinage direct d'une discothèque ne dérangerait pas du tout (commerces, galeries...). Soyons fous, on pourrait même y implanter un musée de la musique électronique belge. Ou une chill-out zone, puisque c'est imposé à un établissement comme le Fuse par l'arrêté sur le son amplifié de 2018.


Mais l'ARAU cherche-t-elle seulement une solution à ce dossier ? « Quoiqu’il en soit : avec ou sans principe d’antériorité ou agent of change, la loi devrait toujours être respectée, et les normes de bruit en font partie ! », est-il écrit en conclusion de l'« analyse », alors que quelques lignes plus tôt, il est aussi clairement souligné qu'il est pour l'ARAU « inimaginable » de « changer la loi et les normes sur base du succès d’une pétition en ligne ». Parce qu'il ne faut pas se leurrer. Que le Fuse reste Rue Blaes ou s'en va ailleurs, ce n'est pas vraiment le fond de l'affaire. Ce qui semble encore échapper aux médias et au personnel politique, c'est que le Fuse n'est certes pas blanc-blanc dans ce dossier mais le Fuse est surtout une première « victime » emblématique d'un arrêté sur le son amplifié tout simplement zélé. Celui-ci date donc de 2018. Comptons depuis une année de rodage timide et presque 3 ans de Covid. Ce n'est donc que maintenant que l'on va se rendre compte de tout ce qui cloche dans ces mesures. Il y aura donc, je pense, encore beaucoup d'autres dossiers du genre. Certains médiatisés parce que touchant des acteurs de la nuit emblématiques, du lourd comme le Fuse. D'autres ignorés, parce que laminant des petits bars dont on se fout ou même des fêtes privées. C'est pourquoi il est je pense important de faire justement du bruit, de participer aux pétitions, de faire en sorte qu'effectivement changent ces lois et ces normes, qui découlent d'une vision hyper-précautionneuse de la santé publique et sont un alibi à drastiquement changer la vie nocturne. N'oublions jamais qu'au niveau des heures d'ouverture, nous restons toujours l'un des pays les plus permissifs du nord de l'Europe, soit une anomalie! Depuis 2020, on a sinon aussi une petite idée désormais assez claire de comment une politique sanitaire zélée peut rendre le monde meilleur... Hahaha, la bonne blague ! Bref, fight for your right to party !



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jeudi 16 février 2023

LE JOURNAL DU QUINCADO (20) : REAC, CATHO, RINGARD ET TAFIOLE


 

Février 2023 - C'était je pense une grande chance de grandir durant les années 70 et 80. Une époque où les parents ne faisaient pas vraiment attention aux films que regardaient leurs enfants. Une époque où ce que l'on appelle aujourd'hui les « trigger warnings » étaient perçus comme réacs, cathos, ringards et tafioles. L'Exorciste beaucoup trop jeune, Soleil Vert pas du tout feel good, voilà qui marqua mon enfance. Du trauma à la pelle devant la téloche à papa quand il n'était pas là  : vampires, Satan, nazis, fin du monde, animaux morts, mygales en gros plan, rouquins électrocutés... Quarante ans plus tard, ma cinquantaine en est fort satisfaite : je ne serais pas tout à fait le même, je pense, si je n'avais sué dans mes draps Star Wars en cauchemardant les remakes perso de tous ces films après les avoir pris dans la tronche. Pour forger un caractère, rien de tel qu'une bonne guerre, disent certains. Je n'y crois que moy-moy. Par contre, culturellement se confronter à la surprise, au risque de grand déplaisir et même de sévères traumatismes, ça oui, c'est selon moi important. Très. C'est pourquoi je reste bouche bée à l'idée qu'il existe désormais une application, du nom de Does The Dog Die ?, où l'on peut vérifier qu'un film soit complètement « safe » avant de le regarder. Certes, je ne pense pas que Requiem pour un Massacre, par exemple, soit très indiqué pour animer un après-midi anniversaire d'enfants de dix ans et il ne m'est donc pas scandaleux qu'il puisse exister un site expliquant que ce film puisse être contre-indiqué aux personnes sensibles et aux mioches. N'en demeure pas moins que je pense que Requiem pour un Massacre doit aussi être obligatoirement vu, expérimenté et vécu quelques fois dans une vie. De préférence sans trop savoir à quoi on va être confronté au moment de s'y lancer. Or, Does The Dog Die nous avertit que si on regarde Requiem pour un Massacre, on y verra voler des insectes, mourir une vache et un cheval, des gens se saouler, un viol, quelqu'un se couper les cheveux, quelqu'un d'autre vomir, une scène de douche, des pets et des crachats, un bébé qui pleure, du « hate speech », de l'antisémitisme, du sexe, des flingues et une quasi noyade. Does The Dog Die ? nous rassure toutefois que dans ce qui me semble toujours le film de guerre le plus horrible et réaliste au monde, il ne meurt aucun dragon. Sérieux, il y a une rubrique « Does a dragon die ? » sur le site. Que Requiem pour un Massacre n'est pas Bridget Jones et ne soit pas du tout recommndable après une grosse choucroute, je pense qu'on le pige rien qu'au titre. Que des gens puissent estimer important de signaler que quelqu'un y pète au cas où ça pourrait générer un malaise sur le sofa me semble par contre découler de la sensiblerie post-moderne exacerbée. Recommander la vision de Requiem pour un Massacre et avertir que ça va secouer, c'est primordial. Lister tout ce qui pourrait déranger les chochottes dans ce film n'est par contre qu'un service nigaud de plus à la communauté pisse-vinaigre. Autrement dit, encore une machine à fabriquer les réacs, cathos, ringards et autres tafioles. Voilà.


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