dimanche 4 mai 2025

DE LA BEAUFITUDE EN 2025, N'EN DEPLAISE A ROSE LAMY

 




Qu'est-ce qu'un « beauf » aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'être beauf en 2025?


Vous allez me citer des noms, des critères, des pedigrees.


Patrick Sébastien sera, forcément, pointé du doigt.


Cyril Hanouna.


Donald J. Trump. Bart De Wever, David Clarinval. Bouchez. 


Le Télévie, Vivacité. La RTBF et Bel-RTL pour l'ensemble de leurs oeuvres. TF1. La télé-réalité. 


Ce n'est pourtant pas si simple.


Déjà, parce que le concept même de beaufitude est une invention française et nous ne sommes pas français (moi, du moins).


C'est Cabu, dans Charlie Hebdo, au début des années 1970, qui se met à caricaturer sous le terme de «beauf» le Français (boomer) moyen et médiocre. Veule, peu cultivé, macho, raciste, con. De droite, le plus souvent. Ou du moins, de centre faussement mou. Les Bronzés, quoi. Surtout les personnages de Jugnot et Blanc.


Jean-Pierre Marielle en joue une tripotée au cinéma. Cela fait rire. En 1975, Yves Boisset fait toutefois basculer le concept dans le cauchemar prémonitoire avec son formidable Dupont-Lajoie. Pas du tout la même ambiance que Les Galettes de Pont-Aven. La beaufitude côté sombre. La classe moyenne faussement bonhomme, crapuleusement ordurière. Dupont-Le Pen.


Le beauf reste, cela dit, un concept très franco-français. En Wallonie, un baraki n'est pas un beauf : plus proche des prolos manipulés par Strip-Tease, voire de la famille de Massacre à la Tronçonneuse, que des rôles d'époque de Jean-Pierre Marielle et Jean Carmet. Un baraki, c'est le Quart-Monde, alors que le Beauf à la Française se dégotte plutôt en Belgique francophone parmi les notaires, les agents immobiliers, les antiquaires, les restaurateurs à 15 tables minimum la baraque à frites et les vendeurs de bagnoles.


En Flandre, oubliez tout. Le Voight-Kampf à beaufs n'y a plus de réseau. Même les millionnaires y aiment les saucisses dégoulinantes de sauce Samouraï, le foot et les farandoles sur Marina, Marina.


Aux Etats-Unis, on a bien les Rednecks et les White Trashs mais là aussi, on est plus proches du Quart-Monde que du beauf à la Cabu. Pas non plus pareil en Angleterre : les Chavs et les Lads ain't really beauf, don't they ?


Bref, voilà bien un concept social ouvert à tellement de particularismes locaux que chacun peut s'en fabriquer une définition personnelle, selon sa propre position sur Google Maps.


Adolescent, moi, c'est ainsi devant Jaws de Steven Spielberg que j'ai ressenti le plus gros tsunami de beaufitude. Emanant de la plupart de mes profs de gymnastique, aussi. Et dans l'airco de discothèques comme le Palladium de Baisy-Thy et la Doudingue de Waterloo. En fort résumé, je pense donc que la beaufitude tient davantage du « virus mental », comme dirait un autre beauf selon moi notoire, Elon Musk, que d'une carence culturelle associée à une classe sociale.


Voilà pourquoi je tique « mais alors grave » lorsque je lis sur  le site de la RTBF ce dimanche 4 mai 2025 que Rose Lamy, militante féministe française qui vient de sortir un essai titré « Ascendant Beauf », se contente de définir la beaufitude comme relevant d'un simple «déficit culturel ».


Non mais allô, quoi ? Ca vous arrive de travailler vos angles, les féminazes ? (Nazes, pas nazies!)


Beauf, c'est une orientation, une mentalité. Une finitude. 


Cela n'a strictement rien à voir avec le « mécanisme d’un mépris de la part d’une bourgeoisie intellectuelle et bien-pensante envers les classes plus populaires. »


C'est une fainéantise de l'esprit, largement et démocratiquement distribuée dans la société actuelle. J'ai ainsi vu, vraiment vu, de mes propres yeux vus, autant de beaufitude dans les galeries d'art de la digue de Knokke-Le-Zoute - où sont exposés des sous-Basquiat peints avec le pied gauche et des bouledogues en plastique hors de prix bien que produits à la chaîne en Chine- qu'à la Foire de Liège un samedi soir de novembre ; quand le Tout-Wanze en complet Adidas/Vuitton de Thaïlande descend se faire un tir aux craies et un remake de Furiosa en auto-tamponneuses. Au son des Démons de Minuit remixés techno oumpapa.


Ce n'est pas la différence crasse de classe sociale, les codes vestimentaires aux antipodes les uns des autres (encore que) et les supposées différences d'accès à la culture qui m'ont sauté aux yeux en comparant cela. C'est la similitude du manque de curiosité, de l'acceptation de la médiocrité, de se contenter de bouffer ce qui se trouve dans les gamelles les mieux exposées, les plus facilement bouffables.


Le fast-food pour cerveaux. La Zomblardifiction quasi générale. Zéro oppression d'une strate sociale sur l'autre, juste deux bulles indépendantes du multivers qui se rejoignent sur un seul et unique point : la paresse du ciboulot. Le bouton off bloqué. Riches zomblards, pauvres zomblards : il n'y a que le tarif de ce qu'ils consomment qui change. Ca n'en est pas moins la même merde, à peine déguisée, à peine updatée. Du toc. 


Moi, je n'oublie pas que fut un temps pas si lointain où la culture du petit peuple, des déclassés, des opprimés mais aussi de la bourgeoisie, c'étaient Les Mystères de Paris, Alexandre Dumas et Victor Hugo. Qu'avant d'être brainwashés par Big Brother et TikTok, les paysans irlandais et la working class britannique situaient parfaitement Dylan Thomas, William Blake et Thomas Hardy... Plus tard, les Beatles, les Stones, la soul et Joy Division. Peut-être même la techno et un certain hip-hop. Que jeune, ma génération, peu importe sa classe sociale, consommait aux chiottes Ellis, Selby et Despentes. Pas des morning routines sur Instagram. Pas des Reels d'Angele. 


Bref, je pense que l'exploitation de la beaufitude n'est pas tant une histoire de lutte et d'exploitation des classes qu'une manipulation à très grande échelle des marchés culturels mondiaux. Un nivellement par le bas en mode arrosage grand angle. Réfléchi. Voulu. Calculé. Optimisé. Oubliez French Connection et Chinatown pour les uns, Steven Segal et Chuck Norris pour les autres, voici le Marvel Cinematic Universe pour toustes et toutses. Arrêtez de lire des romans aux gogues, voici des images qui bougent et changent toutes les 30 secondes. Abracadabra. 


On peut résister. On doit résister. Il est même très très gai et fort enrichissant de résister. Prolos comme bourges, intellectuels comme demi-mongolos.


Vraie question : Rose Lamy entend-t-elle un jour résister ou a-t-elle déjà capitulé ?



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