mardi 12 mai 2015

WICKERMAN FOR DUMMIES

Avec Cloverfield, Wickerman est le seul film que j'ai regardé deux fois de suite. C'est rare mais c'est ce qui arrive quand j'ai de la peine à croire ce que je viens de voir. Je le relance direct, tout au plus un quart d'heure après le générique final de la première vision.


La claque Cloverfield, c'est que je m'attendais à subir un blockbuster assez pourri, genre Godzilla remixé par MTV, alors que ce film est en fait complètement trash, nihiliste et hystérique. La claque Wickerman, c'est que je pensais au départ que ce serait un énième petit film d'horreur britannique seventies, marrant mais ennuyeux, pas transcendant mais à la chouette atmosphère Hammer Productions. Au contraire, c'est l'un des films les plus étranges qu'il m'ait été donné de voir ; un mélange complètement improbable de thriller jemenfoutiste, de comédie musicale à très bon folk et de faux documentaire sociologique sur les rites païens écossais. Ce film m'a hanté, obsédé, et je sais depuis qu'il s'inspire (très librement) de traditions existantes, notamment Beltane, le soir où l'hiver et l'été se disputent les grâces de la Reine de Mai. De nos jours, Beltane continue d'ailleurs de se fêter dans certaines régions du Royaume-Uni, la nuit du 30 avril au 1er mai, notamment à Edinburgh.

Il se fait que j'étais justement à Edinburgh ce 30 avril 2015. Je n'ai appris l'existence du Beltane Fire Festival que bien après avoir décidé de prendre des vacances en Ecosse mais c'est clair que l'idée de vivre une cérémonie à la Wickerman ou un Burning Man local m'a assez excité. D'autant que dans les médias locaux, on parlait de beaucoup, beaucoup de monde, et de beaucoup, beaucoup de bruit (une rave tribale ?), de pyrotechnie et de nudité. Bref, d'un event « enfants non admis », un rien borderline. J'ai toutefois déchanté en voyant les photos proposées par le site de l'organisation, qui semblaient plutôt annoncer la Zinneke Parade du Païen de Pacotille. En fait, c'était encore pire que ça. Quand on a vu Wickerman, qu'on pense à Beltane comme une fête païenne bien bizarre, on imagine du solennel, des types avec des masques étranges, des bois de cerfs sur la tête, d'impressionnants flambeaux. On espère que ça va être un poil lubrique, plein de chansons traditionnelles généreuses en choeurs d'ivrognes.



Or, le 30 avril au soir sur Calton Hill, déjà, on ne vend pas d'alcool. Des hotdogs allemands, des hamburgers douteux, des frites longues et molles et des limonades dégueulasses (le fameux Irn-Bru écossais), oui. Mais pas la moindre bière et encore moins des whiskies. Ca ne rigole pas avec la sécurité, même si on laisse passer les gens qui amènent à boire dans des bouteilles en plastique et qu'on ne semble pas se formaliser de l'odeur de weed omniprésente. Pour le reste, c'est à peu près aussi trash et impressionnant qu'une fancy-fair à Decroly. C'est papier crépon à tous les étages, une procession interminable, des tambours aux rythmes aussi inventifs que la section rythmique de Ghinzu. Ne parlons même pas de la pyrotechnie, pas plus impressionnante que le flambage d'un steak dans un restaurant de deuxième catégorie. On s'emmerde vite, alors pour passer le temps, on se moque des gens qui semblent chercher expressément à passer pour des nouilles : un type qui apprend à un jeune Français comment fumer un joint. Un conteur en kilt très fier de raconter en détail la légende de la May Queen et du Green Man alors que personne autour de lui ne semble pourtant en avoir grand-chose à foutre. Des gamines qui couinent parce que des mecs à poil peints en rouge viennent chastement se frotter à elles en poussant des grognements à peine dignes des monstres du Muppet Show alors qu'ils sont pourtant censés représenter les diablotins revanchards chassés des ténèbres par le retour du soleil et du beau temps.

On finit par craquer. On se dit que niveau masques, déguisements troublants et paganisme rigolard, les concerts du groupe Goat sont vachement plus marquants. On n'attend pas la fin, le bûcher final, on file plutôt en ville s'enfiler des whiskies durant la dernière demi-heure d'ouverture des pubs. A la fermeture de ceux-ci, on croise une bande de mecs bourrés, visiblement des Anglais, qui chantent en choeur « sheep sheep sheepshaggers sheepshaggers sheepshaggers » en cherchant le regard des passants, peut-être pour provoquer une bagarre. Une fameuse bande de cons. Qui auraient sans doute mis une sacrée mauvaise ambiance au Beltane Fire Festival. Peut-être même auraient-ils même finis sur le bûcher. C'eut été parfait, là. Vraiment.