lundi 21 janvier 2019

HOUELLEBECQ : BONNES PIPES ET CHATTES HUMIDES, COMME CHEZ GERARD DE VILLIERS



L'idée, c'est une chronique « on se calme tous là » en 10 points sur un sujet qui divise. En guise de numéro zéro et de test, voici un billet sur Sérotonine, le septième roman de Michel Houellebecq, sorti le 10 janvier 2019.

Je pensais qu'il allait un peu plus déchaîner les passions sur les réseaux sociaux et dans les médias, à peine moins que la sexualité de Yann Moix, mais assez bizarrement, tout le monde semble s'en foutre et ne pas le lire. Normal : il est assez mauvais. Voilà. Si vous êtes éditeur ou rédac'chef et pensez fanfaron de développer d'autres chroniques dans le genre, vous savez où me joindre.

Avis « perso » express :
Sérotonine est à Extension du Domaine de la Lutte ce que Episode VII : The Force Awakens est à Star Wars : A New Hope. La même chose en plus roublard, du fan-service fainéant, la version cabotine, cynique et bassement mercantile de quelque-chose qui a jadis beaucoup plu et fort marqué. Attention (spoilers), le climax de Sérotonine est exactement le même ou presque que celui de ce premier roman de Michel Houellebecq sorti il y a 25 ans : au moment de lâcher les torpilles à protons vers le réacteur de l'Etoile Noire, Luc Cielmarcheur refuse son destin et retourne tristement s'astiquer la nouille dans sa chambre de 10 mètres carrés de l'Hôtel Mercure de Tatouine. 

Ce qu'ils en disent ailleurs :
Comme à chaque sortie d'un bouquin de Michel Houellebecq, il y en a pour adorer (« le plus beau, le plus noir de ses livres ») et il y en a pour le détester, généralement pour des motifs devenus avec les années de véritables clichés : son style est bizarre (« plat »), il raconte des conneries d'extrême-droite à la Eric Zemmour, il est méchant avec les femmes, les gays et les Arabes, il cite trop de marques, sa vision de l'humanité est trop déprimante et le marketing et le succès de ses bouquins éclipsent 400 autres meilleurs livres sortis en même temps (c'est le petit commerce qu'on assassine!). Bref, ça délire ferme.

Ce qui gêne :
Sur 200 de ses 345 pages, Sérotonine ne raconte pour ainsi dire rien, sauf si pour vous, un connard qui rumine sur sa bite molle et ses exs, ce n'est pas « rien ». Bien entendu, un connard qui rumine sur sa bite molle et ses exs c'est l'essence même des romans de Michel Houellebecq mais au moins dans ses autres livres, le connard rumine-t-il aussi un peu sur le transhumanisme, l'Islam, l'industrie du sexe, le tourisme globalisé et comment fonctionnent les rapports humains dans un environnement néo-libéral. Ce n'est pas trop le cas ici, encore qu'on y finit bien par causer un peu d'agronomie et de quotas laitiers. Mais moins que de bonnes pipes et de chattes humides.

Ce qui gêne vraiment :
Sérotonine n'est pas le plus mauvais roman de Michel Houellebecq, ça, c'est La Carte & Le Territoire. Mais c'est le plus mal écrit. C'est un bouquin truffé de fautes et édité au moufle. Il a ainsi déjà été repéré que Michel Houellebecq s'est trompé d'un bon 300 kilomètres au moment d'évoquer un relais-château qui existe vraiment et où vont ses personnages et que contrairement à ce qu'il avance, le disque de Pink Floyd avec la vache sur la pochette n'est pas Ummagumma mais bien Atom Earth Mother. Il y a sinon encore quelques concordances de temps assez hasardeuses, des lourdeurs visiblement pas voulues et même des phrases qui contredisent le récit d'un chapitre à l'autre. Houellebecq semble sinon toujours incapable de poser un personnage féminin crédible et fouillé, les femmes se résumant essentiellement dans son œuvre aux sensations qu'elles procurent au personnage masculin principal (sauf dans Plateforme mais bon…). Si on a aujourd'hui le même âge ou presque que l'anti-héros du livre (46 ans), on se rend aussi assez vite compte que pour quelqu'un soi-disant issu de la Génération X et ayant été grunge, ce Florent-Claude Labrouste pense tout de même vachement comme un mec de 60 balais (tiens, tiens…), en plus de drôlement préférer Deep Purple et Pink Floyd à Mudhoney et Alice In Chains.

Ce qui gêne aussi :
Michel Houellebecq a toujours eu l'air de royalement se foutre de la tronche de ses lecteurs mais dans ses meilleurs romans, il a au moins l'air de croire à certaines choses qu'il avance (sur le transhumanisme, sur le néo-libéralisme sexuel, etc…). Son opinion est éventuellement tartignolle mais elle laisse entendre qu'il s'est intéressé au sujet, qu'il s'est documenté, qu'il a gambergé dessus. Ce n'est pas le cas dans ses romans plus dispensables, où il se contente de balancer des vannes (souvent hilarantes, il est vrai), des provocations, des idioties et des pelletées d'allusions aux bonnes pipes et aux chattes humides. Sérotonine est principalement l'histoire d'un mec qui ressasse sa vie sentimentale et sexuelle, surtout sexuelle, avant de se retrouver témoin d'agissements pédophiles, d'une manifestation tournant au drame sanglant et de ruminer un projet de meurtre. Bref, quand on y a fini de parler de bonnes pipes et de chattes humides, on part sur une idée de vie insatisfaite à la Madame Bovary, entre autres, et de basculement dans la folie dépressive et meurtrière à la Hubert Selby Jr ou à la David Vann, entre beaucoup d'autres aussi. Autrement dit, Sérotonine recycle grave, voire même radote carrément.

Un Prophète ?
On a déjà beaucoup causé dans les médias des pages « gilets jaunes » du bouquin. Houellebecq a cette réputation de prophète du malheur. Plateforme est réputé avoir prévu les attentats du 11 septembre (ce qui est complètement con) et ceux de Bali (ce qui est plus troublant). Soumission, « son brûlot contre l'Islam » est officiellement sorti le même jour que l'attaque contre Charlie Hebdo. L'aspect « gilets jaunes » de Sérotonine tient pourtant à peu de choses : quelques pages où des agriculteurs armés bloquent une route, s'opposent aux CRS et ça dérape. Bref, une situation qui annonce peut-être un drame à venir mais s'inspire surtout des blocages de raffineries en 2016, des dizaines de manifs en France réprimées au flashball et aux lacrymos depuis des années et sans doute aussi de Notre-Dame-Des-Landes. Et puis, il ne faudrait pas oublier que Houellebecq semble croire depuis très longtemps à cette idée qu'une grosse insurrection, voire même une guerre civile, va tôt ou tard éclater en France. Ce qui n'empêche que dans Sérotonine, après que les CRS aient buté dix paysans, le personnage du bouquin s'en bat pour ainsi dire assez vite les couilles et s'en va stalker son ex la moins salope, celle qu'il aimeuuuh tant. Autrement dit, les répercussions politiques d'un acte qui ferait dans la réalité probablement s'écrouler la présidence Macron ne sont pas du tout évoquées. C'est même carrément pris par-dessus la jambe. Tu parles d'une politique-fiction...

Michou2019
Un moment, il va falloir se faire une raison : il est assez coincoin de se disputer au sujet de Michel Houellebecq. Qu'il soit de droite ou de gauche, bon ou mauvais, con ou visionnaire, le type est avant tout un saltimbanque de la littérature spécialisé dans la satire sociale qui vend ses bouquins à la pelle juste comme un Sulitzer, comme un Lévy, comme une Nothomb, comme un Brown. Michel Houellebecq est peut-être le plus grand écrivain français vivant, peut-être, mais ce qui est plus sûr, c'est que c'est un produit de consommation courante. On peut le considérer comme l'égal d'un Céline ou d'un JK Huysmans, c'est discutable et seule l'histoire en décidera. Là, maintenant, c'est surtout un plaisir aussi coupable, vu le côté politiquement incorrect, les bonnes pipes et les chattes humides qu'un bon vieux SAS de Gérard de Villiers. Bref, de la littérature d'aéroport et de Carrefour Planet.

Verdict
On va faire simple : sur le TOP-7 de ses sept bouquins sortis, Sérotonine se place en sixième position. Il y a de bonnes vannes. A part ça...

Michou pour les Nuls
Pour rappel, son meilleur roman reste Extension du Domaine de la Lutte, qui a cristallisé bien mieux que beaucoup d'autres le malaise existentiel typique de la fin des années 90. Plateforme, en 2003, est son dernier à réellement développer une idée crédible sur la longueur et ne pas uniquement jouer la carte de la triste farce provocatrice. De tout ce qu'il a produit, les vraies fines bouches préféreront toujours ses poèmes et Présence Humaine, son disque de 2000 avec Bertrand Burgalat et AS Dragon ainsi que l'Enlèvement de Michel Houellebecq, téléfilm hilarant qu'a tourné Guillaume Nicloux pour Arte en 2014. A noter qu'en 2019, ce même Nicloux sortira un film titré « C'est Extra » où Michel Houellebecq et Gérard Depardieu foutent le boxon dans un centre de thalasso de Normandie. Ce qui est en fait drôlement plus excitant, punk et prometteur qu'une énième errance de cadre dépressif.