J'ai
énormément écouté The Colour of Spring et Laughing Stock, les
deux chefs d'oeuvre de Talk Talk (un peu moins Spirit of Eden et
l'album solo de Mark Hollis) et j'ai une admiration sans borne pour
ce genre d'artistes qui font d'abord de la pop avant de s'essayer à
des choses drôlement plus aventureuses.
Je pense plus à Brian Eno,
David Sylvian et Slowdive le temps de l'album Pygmalion qu'aux
Beatles et à Radiohead mais bon, c'est évidemment l'intention qui
compte : des artistes qui font de l'art, c'est mieux que des
artistes qui font du commerce.
La mort de
Mark Hollis me chiffonne, donc. Ce mec était tout simplement un de
mes héros. D'un autre côté, je ne peux pas m'empêcher de rire
d'un souvenir plutôt gratiné que ce décès a fait remonter.
L'anecdote date de 1998, à la sortie de son unique album solo. Je
suis alors rédacteur en chef du magazine musical RifRaf et lorsque
l'on nous propose l'interview de Mark Hollis, je vois déjà sa tête
de lard en couverture annonçant un article de trois pages aussi
intenses que sa discographie. Je colle à la mission un rédacteur
spécialisé en post-rock, considéré comme l'une des meilleures
plumes de la rédaction, signataire de très, très bonnes
interviews sur les derniers numéros. Le mec est ravi. Ca promet un
plan sans accroc.
Quelques
jours passent et me revient malgré tout un papier très court, pas
très intéressant, franchement bizarre, bâclé, qu'il m'est
impossible de parachuter en couverture. Je suis fort déçu, mais
connaissant la réputation de Mark Hollis, on colle ce fiasco sur le
dos de ses humeurs difficiles. C'est alors que je reçois un coup de
fil de la maison de disques qui m'informe que Mark Hollis et le
rédacteur en question se sont en fait carrément engueulés. Enfin,
c'est surtout Hollis qui lui a gueulé dessus, l'autre ayant décampé
en courant.
La raison
est à la fois hilarante, édifiante et complètement zinzin. Alors
que notre rédacteur venait de lui poser une première question très
intéressante, Hollis y a répondu de façon fort détaillée,
visiblement ravi qu'on lui demande autre chose que les conneries
habituelles. Et là, le mec de RifRaf se trompe de ligne sur son
questionnaire et lui repose exactement la même question. Hollis s'en
amuse, avant de vite se rendre compte que notre gars ne comprend en
fait pas un traître mot d'anglais. Et comme Hollis a tout l'air
d'être le genre de type qui n'avait aucune patience pour ce type de
conneries, il le vire, s'en plaint aux attachés de
presse et, forcément, celles-ci me demandent ensuite des comptes.
Il s'est
donc avéré que notre rédacteur ne comprenait effectivement pas du
tout l'anglais. Il lisait phonétiquement des questions écrites par
l'un de ses amis et ce dernier retranscrivait et traduisait ensuite les interviews
qu'adaptait et signait le mec. Si celles-ci étaient vraiment bonnes, c'est
parce que la plupart des interviewés prenaient ses silences, son
manque de réactions et ses « yes, yes » inadéquats pour
une énorme timidité et essayaient donc de faire de leur mieux pour
livrer à ce journaliste débutant et impressionnable suffisamment de
matériel pour qu'il puisse en tirer un bon article. Jouer au con
marche très bien, c'est une technique que j'utilise moi-même assez
régulièrement en interview.
Le type a
été viré fissa du magazine et il a depuis complètement disparu du
secteur. D'autres stars des médias dont l'anglais est pour le moins
basique voire inexistant ne se privent en revanche toujours pas de
mener de grandes interviews dans cette langue. Mais bon, puisque
jouer au con, ça marche, être vraiment ignare doit aussi donner
quelques résultats. Je n'ose sinon pas imaginer le sentiment
d'imposture que devait se trimballer ce type sous le coude. Par
contre, je sens jusqu'ici le petit pet d'aise revanchard sorti de son
cul à l'annonce du décès de celui qui a torpillé sa carrière
dans le rock.
(photo : Getty Images, chopée via Google. Si souci, je retire)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire