mercredi 25 novembre 2020

LE JOURNAL DU QUINCADO (3)

Novembre 2020 -  De plus en plus souvent, je me dis que dans le boulot, il ne me reste sans doute que dix-huit mois, à peu près. Peut-être plus, trois ans. Peut-être moins, sait-on jamais ce qui se trame dans la tête de certain.e.s. Un jour, on va vouloir m'imposer l'écriture inclusive. Un jour, on va chipoter mes angles, déclarer qu'il s'y trouve des choses, évidemment banales à mes yeux, que je ne peux pas faire, que je ne peux plus faire « parce qu'on n'est plus en 1995 », et ça me paraîtra aussi con que de ne pas saler ses frites ou se mettre de l'aspartame dans le café. Un jour, on trouvera que je défend trop de livres d'hommes blancs, que je n'écoute pas assez de techno lesbienne ou je ne sais quelle connerie. On me dira que Remain in Light n'est que de l'appropriation culturelle, que Fargo et Deliverance ne sont pas très sympa avec les ruraux. Un jour, on me sucrera une bonne grosse pique bien méritée lancée à une personnalité politique au motif que cela pourrait donner envie à certains de l'insulter sur Twitter, que cela pourrait provoquer des raids de trolls et du harcèlement en meute. Bref, un jour, il y aura grosses lassitudes et clashs définitifs.


On n'y est pas encore et aucune des personnes pour lesquelles j'ai l'habitude aujourd'hui de travailler ne m'a encore trop l'air dans ce genre de trip « post-moderniste 2.0 ». Mais on y viendra sûrement. Il ne suffirait que de quelques remplacements à la tête de quelques médias.Toutes ces conneries « woke » sont de toutes façons déjà là et bien là, en train de ronger lentement mais sûrement les esprits, en train de doucement les subvertir. Dans trois ans, dix-huit mois, peut-être moins, le genre de travail que je fais, de la façon dont je le fais, sera juste impossible. C'est ce que je me dis, du moins. Mais peut-être que je me fais juste un mauvais film ? Son titre : Le Reich de la Tartiflette. Précision utile : ça ne me fait pas peur. Aujourd'hui la culture « woke » est un bon sujet de rigolade et d'indignations. Quand le Reich de la Tartiflette sera installé, en revanche, je l'ignorerai. Vous n'aurez pas ma haine, haha... Juste mon plus profond mépris. Sous le Reich de la Tartiflette, il faudra donc juste que je me réinvente professionnellement, ce qui ne me dérange absolument pas. Parce que je n'aurai de toutes façons aucune envie de m'accrocher en me rongeant de l'intérieur, de me soumettre comme une grosse merde ou, au contraire, d'entrer en résistance en rejoignant l'autre camp, tout aussi lassant. Sous le Reich de la Tartiflette, je n'écrirai ni pour, ni contre les « sujets porteurs », c'est-à-dire les cheveux bleus, les anneaux dans le nez, la bienveillance inclusive et le banana-cake.


J'aurai la cinquantaine bien tapée et ce sera donc le bon moment pour aborder de vrais sujets de vieux, comme les bains de forêt, la vie après la mort, le goth du XIXème siècle, Neil Young, Ostende en novembre, la descente testiculaire et le rétro-gaming eighties. Il y aura forcément un public pour ça, pour cet escapisme, vu que tout le reste sera vampirisé par les évangiles des uns et les hérésies à ces mêmes évangiles des autres. Par du cirque pétomane à la Hanouna. Dans trois ans ou même dix-huit mois, je pense en effet que le contenu de vos magazines ressemblera fort à ce qui agite Twitter aujourd'hui et à la mauvaise télévision qui s'en inspire. Tout ce trip « elle a sorti deux chansons sur Spotify, quelle génie ! », toute cette merde « Madame la Députée vous photographie sa pizza préférée sur Instagram, prière de ne pas rire ». C'est vers ça qu'on va, tout le monde le sait et il n'y a pas grand-chose à faire pour tenter de faire dérailler ce train-train fou. Mieux vaut donc déjà se construire ses propres nouveaux codes et se renouveler son propre stock d'intérêts. S'aménager le bunker mental. Bref, si je n'ai pas du journalisme culturel une brillante vision d'avenir, je crois qu'à titre personnel, ça ira. Comme quoi, l'empouvoirement et croire en soi, ce n'est pas réservé qu'aux dodues velues.