dimanche 8 janvier 2023

LE JOURNAL DU QUINCADO (17) : LEBENSUNWERTES LEBEN


Janvier 2023 – Depuis combien temps est-ce que je m'emmerde sur les réseaux sociaux, qu'ils ne m'amusent plus ? 5 ans ? 6 ans ? Je ne saurais dater ça avec précision mais suite à quelques réflexions récentes, j'en viens à me demander si ce n'est pas exactement à partir du moment où les algorithmes de Facebook et Twitter ont commencé à être manipulés afin de faire fortune sur la colère des gens. Cela commence à être bien documenté. Les premières années, les réseaux sociaux ont surtout servi à mettre en contact selon affinités ou passés communs, à la Copains d'Avant, en mode forum. Ce qui n'était pas rentable. L'architecture de ces brols a donc été revue afin que chaque like fournisse une petite dose de dopamine, « un loop de validation sociale », comme l'a depuis publiquement admis Sean Parker, premier financier de Facebook. Giuliano da Empoli l'explique très bien dans Les Ingénieurs du Chaos : « La machinerie hyperpuissante des réseaux sociaux, fondée sur les ressorts les plus primaires de la psychologie humaine, n'a pas été conçue pour nous apaiser. Bien au contraire, elle a été construite pour nous maintenir dans un état d'incertitude et de manque permanent. Le client idéal de Sean Parker, de Zuckerberg, et de tous les autres, est un être compulsif, contraint par une force irrésistible de revenir sur la plateforme des dizaines, voire des centaines de fois par jour, à la recherche de ces petites doses de dopamine dont il est devenu dépendant. »


Or, ce n'est pas en postant des photos de vacances et en partageant les liens illégaux vers ses vieux films favoris que l'on obtient encore beaucoup de likes sur les réseaux sociaux ; singulièrement depuis Trump, le Brexit, les attentats en France, la Syrie, le Covid, etc... C'est en y choisissant la ligne dure. En s'y montrant combatif, militant, indigné, vénère, extrême. Ou alors victime. Et complotiste. Pas de place pour la nuance, le LOL, encore moins pour l'indifférence, fut-elle amusée. A droite comme à gauche, on y va à fond, en exagérant tout, en trouvant des problèmes là où il n'y en a en réalité aucun ; en surdramatisant de façon à ce que n'importe quel clébard écrasé devienne une soi-disant menace pour la société ou un affront terriblement rétrograde à la face de l'Humanité vertueuse et progressiste. Pour maintenir les utilisateurs connectés, il faut que les réseaux sociaux produisent ce que l'on appelle des « spirales de très fort consensus » ; autrement dit d'interminables discussions sur le voile islamique, Roman Polanski et la charge mentale des femmes devant le contenu mal trié d'un lave-vaisselle ; ainsi que des conflits avec d'autres utilisateurs. Ce qui déborde bien évidemment dans le quotidien. Dans son bouquin, Empoli compare cette influence néfaste à Waldo, le personnage virtuel au départ rigolo mais qui devient rapidement force politique populiste majeure dans un vieil épisode bien connu de la série Black Mirror. « Waldo, écrit-il, n'est rien d'autre que la traduction politique des réseaux sociaux. Une machine redoutable qui se nourrit de la rage et a pour unique principe l'engagement de ses partisans. L'important est de l'alimenter en permanence avec des contenus « chauds » qui suscitent des émotions. »


Justement, il se fait que je n'ai jamais été très en rage. Je suis d'un naturel contraire et assez colérique mais pas « rageux ». Bref, un mauvais client. Longtemps, je me suis sur Twitter revendiqué Mocker. Ni Mod, ni Rocker, Mocker. Trublion, quoi. Rigolo. Forcément distancié. Mes colères, qui peuvent être tenaces, visent certaines personnes, à titre personnel, pour des raisons personnelles. Pour le reste, je suis - surtout politiquement - plutôt placide, désintéressé, carrément de centre mou. Mon engagement sur les réseaux sociaux découle rarement de la colère, plutôt de l'habitude, de la provocation, de l'envie de rire ou d'en découdre; bref de m'en payer une tranche. La pratique des réseaux sociaux m'a dégoûté à vie du parti Ecolo mais c'est surtout parce que j'estime que beaucoup de ses représentants s'y sont dévoilés au mieux d'une profonde imbécillité, au pire parfaitement crapuleux. Cela ne signifie pas que je suis en colère contre Ecolo. C'est juste un produit que je laisserai désormais pourrir en rayon. Plutôt voter pour un parti corrompu mais compétent que pour ces branquignolles immatures et/ou cinglés. Tout simplement.


Le Système, je m'en tape. Je ne compte pas dessus. Je n'en attends rien. Ca pourrait être mieux, ça pourrait surtout être pire. On fait avec. De toutes façons, mon idéal de vie est une villa hi-tech, confortable et connectée, bien pourvue en disques, en films et en livres, au fond des bois ou d'un fjörd. Pas un kibboutz géant inclusif et bienveillant, ni un gigantesque marché libertarien où nager avec les requins. Je ne m'y retrouve pas plus dans les emballements progressistes que dans les positions conservatrices. Aucune utopie ne me satisfait, aucune angoisse contemporaine ne me correspond. J'ai une extrême confiance dans ma soif de vivre et mes capacités de survie, tout en étant relativement nihiliste et pessimiste. Au cas où la société partirait vraiment en saucisse, je siphonnerai l'essence des autopompes de la police plutôt que de porter un infâme Gilet Jaune les roustons collés sur le pavé des ronds-points histoire de forcer le gouvernement à réguler le prix des carburants. Je plaisante. Le jour où la société part en saucisse, je serai plutôt probablement parmi les premiers à me faire descendre car jugé pas assez ceci ou trop cela. "Lebensunwertes Leben", comme disaient les nazis, les vrais.


Une vie indigne d'être vécue. Un type pas assez fiable et trop individualiste pour participer à une révolution ou, au contraire, à une contre-insurrection. Ni de gauche, ni de droite, ça veut dire d'extrême-droite, disait récemment un pauvre con sur Twitter. Bien sûr, pine d'huître, et mon cul, c'est Von Ribbentrop. Reste que cet imbécile résumait malgré tout là parfaitement la mentalité combattante et tribale en place sur les réseaux; en plus d'illustrer l'immense clivage qui mène forcément à un point de non-retour. Si vous ne voulez pas de notre solution, vous faites partie du problème. La perversion étant que pleinement soutenir ou combattre avec ardeur cette dite solution génère du like; alors que la considérer comme complètement tarte et en ricaner fait de vous un ennemi public aux yeux de toutes les parties. Puisque la colère contemporaine, c'est vous qui la vivez, c'est eux qui en vivent, il serait pourtant logique de d'abord en rire et ensuite se déconnecter et reprendre une activité normale. Arrêter de se prendre tellement au sérieux, de se croire tellement en danger. Trouver son rush de dopamine dans le sport, le sexe, la découverte, l'aide aux personnes, la recherche, la création, le fun... C'est ça qui sauvera le monde, mine de rien.



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