jeudi 25 août 2011

MINORITY REPORT



De Fukushima au Pukkelpop, pour chaque catastrophe d'une année riche en horreurs diverses, c'est la même chanson. Qui est responsable ? Aurait-on pu l'éviter? Ce sont des questions légitimes, bien sûr. L'émotion qui parle. La colère. La tristesse. S'écrivent donc des tartines et des tartines au sujet de la responsabilité et de la sécurité mais pour ainsi dire jamais, on ne parle du sens de ces drames. Dans trop d'esprits, c'est comme si désigner le responsable et updater les conditions de sécurité suffisaient à classer le dossier.

Dans une récente lettre ouverte, un « coup de coeur pour l'équipe du Pukkelpop », le monde de la musique belge posait essentiellement deux questions : le festival peut-il encore avoir lieu à Hasselt et peut-il encore être organisé par Chokri Mahassine ? Le drame a pris en Flandres des proportions de mini-11 septembre. L'emballement médiatique est énorme et je suspecte dès lors cette lettre d'être surtout adressée aux politiques, aux commentateurs médiatiques (dont certains ont grave merdé), aux trolls du web ainsi qu'aux compagnies d'assurance. Toutes ces personnes pour qui compte surtout la responsabilité et la prévision, niveau sécurité. Il est dans « le milieu » notoire que le Pukkelpop est une organisation très bien rôdée et Mahassine un tout autre calibre que les gros bitosses du circuit wallon. C'est ce message là, je pense, que l'on cherche à faire passer au grand public. Lui faire comprendre qu'aussi triste et cruel cela sonne, le Pukkelpop 2011, c'est le Concorde qui se crashe. L'horreur statistique, la probabilité dingo qui devient réalité. La faute à pas de chance. Le risque zéro n'existe pas. Minority Report, c'est du cinéma. D'où tout ce cirque émotionnel, cathartique, partisan mais oubliant malheureusement de mettre sur la table un point tout de même assez fondamental.

Dans ce festival de prêt-à-penser, il me semble en effet qu'une question, pourtant essentielle, n'apparaît pas. Nous vivons une profonde mutation des habitudes de consommation culturelle, y compris festivalières. Glastonbury, le modèle de beaucoup d'organisateurs belges, annonce sa fin probable dans les 3 années à venir. L'avenir, justement, semble être aux festivals urbains, plus étalés dans le temps, à la capacité plus limitée, ne programmant que quelques groupes par soir, dans des lieux éventuellement prestigieux, sécurisés, ouverts. Peut-on, dès lors, encore estimer raisonnable de caler pour plusieurs nuitées de camping dans des champs souvent boueux des dizaines et des dizaines de milliers de personnes, dont une bonne partie complètement schlass (arrêtons l'hypocrisie sur ce point, SVP!) ? Cela, à une période de l'année propice tant au soleil de plomb qu'aux orages dévastateurs ? Proposer au prix d'un week-end gastronomique un confort plus que sommaire, de la bouffe qui même correcte reste douteuse, de la picole limitée aux pisses des sponsors officiels et, le comble, des prestations artistiques le plus souvent en pilotage automatique ?

Soyons cash : j'ai toujours considéré les festivals d'été, y compris les meilleurs, ceux où je rigolais bien, comme l'expression même d'une barbarie pas très sophistiquée. Le camp de concentration consumériste. Zombieland. Woodstock ou Mont-De-Marsan, ça devait être génial, l'expression d'un véritable zeitgeist. Dour, le Pukkelpop, Werchter, les Ardentes et tout un tas d'autres, on va dire massifs, ce n'est pas cela du tout et cela ne l'a jamais été. C'est du commerce de masse. Je ne dis pas que c'est bien, je ne dis pas que c'est mal. Moi, ça me fait chier, ce n'est pas mon idée du plaisir mais si beaucoup d'autres y trouvent leurs comptes, pourquoi pas. Il faut juste que le discours reste honnête : ce n'est pas une expérience évélatrice pour les jeunes, une révolution culturelle, une aventure intellectuelle ou même un loisir actif. C'est une grosse bamboula commerciale, une braderie techno-rock, et ce n'est pas troller que de le surligner. Même la lettre ouverte du milieu musical belge parle de Chokri Mahassine comme de « l'homme qui apporte la dignité et le respect à la musique dite "alternative" et qui réussit à la guider vers la musique dite "mainstream". » Voilà, c'est un entrepreneur et son festival est une machine à fric. Je ne suis pas assez de gauche pour critiquer cela et ce n'est d'ailleurs pas le débat.

Moi, je dis tout simplement que parker 50 000 ou 100 000 personnes sur un périmètre limité pour plusieurs jours et nuits est une idée qui se questionne. Si j'étais organisateur, avant même de parler de sécurité, de logistique ou de programmation, je m'imaginerais cette foule et j'y verrais un truc malsain. Pas Sodome et Gomorhe, comme nous l'a sorti l'autre con. Même pas un bon tremplin pour une catastrophe d'ampleur, entendu que dans l'histoire des festivals, à échelle mondiale, il reste nettement plus de chtouilles, d'insolations, de bad trips et de comas éthyliques que de morts violentes. Mais mon cerveau me dirait que c'est un truc pas bien, une mauvaise idée, une proposition ouf, insensée. Un truc trop simplet pour être génial : champ de patates + bons groupes + groupes de remplissage + public pas en vacances + stands racketteurs = succès tirelire et hallelujah culturel. D'instinct, ça cloche.

En écrivant cela , je ne cherche pas à sournoisement charger Chokri Mahassine, laisser entendre que parti comme ça l'était, ça allait forcément un jour déconner. Cela n'aurait pu ne jamais déconner, simplement et en douceur passer à autre chose, parce que c'était écrit que ce modèle de festival de masse allait un jour très prochain être abandonné. Il ne faut pas laisser le storytelling embrouiller les têtes, permettre aux journaleux de délirer, laisser caviarder et précipiter la réflexion sur cette réinvention à venir au nom de l'honneur des morts. Il va sans doute être exigé que l'on réponde à certaines questions dans un contexte d'emballement médiatique et de récupération politique peu propice aux idées réellement novatrices. J'espère sincèrement que ceux que cela concerne auront l'élégance et la décence de refuser de se plier à ce genre de chipotages couillons. Qu'ils prendront le temps d'un tête-à-tête avec leur intelligence. Bien entendu, l'histoire des désastres de ces derniers mois montre que l'humain contemporain a une folle tendance à rater ce genre de rendez-vous. Haha, la faute à qui et comment l'éviter ?

7 commentaires:

  1. ton légionnaire26 août 2011 à 12:48

    Mouais... Il faudrait un peu nuancer. Clairement Werchter et le Pukkelpop qui misaient sur la programmation sont en train de s'essoufler "artistiquement" : au Pukkelpop quasi toujours les même groupes ( foo-fighters, skunk anansie, etc...) qui plaisent aux ados bourrins du Limbourg , et à Werchter les grosses pointures dont les refrains sont repris par la moitié de la plaine ( insupportable) . Par contre, Dour , qui misait tout sur le camping-caravaging , est en train de foutrement s'améliorer : j'étais Plaine de la Machine à Feu cette année et je trouve que les reproches classiques faits à leur encontre sont tombés année après année: il y a 2 ans ils avaient déjà remédié au problème de la saleté du festival en organisant mieux le site, en l'agrandissant, en mettant plus de comfort. L'année dernière ils s'étaient bien concentrés sur l'organisation, quasi aucune déprogrammation, quasi aucun retard. Et cette année, en plus des acquis de ces dernières années, Dour m'a bluffé sur la qualité du son et des shows. J'ai vu de nombreux sets qui étaient de véritables concerts, valant largement le niveau de ce qu'ils auraient pu donner dans des salles ... (The drums , Pulp, Public Enemy, Hercule and The Love Affair,les Klaxons, Metronomy,Akhenaton,13 & god). Je pense qu'il y a encore la place pour des festivals de masse, mais il est vrai que certains vont miourir si ils ne se remettent pas en question ou n'évoluent pas.
    Il est vrai que la tendance vers une approche plus qualitative du "contexte" ( lieu, capacité, infrastructure, concept) est claire, mais je ne pense pas que cela signifie à court terme la fin des festivals. Il y a un côté unique dans un rassemblement de 60000 personnes : on y croise de tout, ça m'amuse de voir tous ces gens que je ne croise JAMAIS le restant de l'année. Tandis que les fetivals plus ciblés dans des lieux plus pointus ont un gros désavantage : tu y retrouve toujours les 1000 personnes qui aiment exactement le même truc que toi et que tu n'en peux plus de voir à force et longueur d'années.

    Bon c'est un à peu à chaud, et donc pas très décanté ... Quant à la tornade, ben oui c'est very bad luck pour le Pukkelpop et pourtout le monde, mais ceci dit ça réinsère ces grandes foires dans le monde réel : oui dans ces festivals on peut mourir, comme on peut crever dans une tente à Libramont déchiqueté par la moissonneuse batteuse of the year,ou tout connement au coin de la rue écrasé par un tram parce qu'on écoutait son Ipod. Rien de neuf sous le soleil ou le chapiteau

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  2. "tu y retrouve toujours les 1000 personnes qui aiment exactement le même truc que toi."

    Tu rabaisses à 300 personnes, tu mets deux bons groupes et deux bons dj's et c'est la soirée PAR-FAI-TE, en ce qui me concerne :-)

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  3. Et pour moi, tu en enlèves encore 299, je me met un excellent album en boucle dans le lecteur cd et c'est la soirée MA-GI-QUE !

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  4. Je te rejoins sur l'équation qui peut sembler trop con que pour être une bonne idée. Mais, j'ai quand même deux contre-arguments qui pourraient être avancés. Le premier, c'est que c'est souvent des idées les plus simples voire poussives que découlent des masta-réussites. Deuxièmement, quand je lis ceci, "L'avenir, justement, semble être aux festivals urbains, plus étalés dans le temps, à la capacité plus limitée, ne programmant que quelques groupes par soir, dans des lieux éventuellement prestigieux, sécurisés, ouverts.", même si j'en rêve, j'ai quand même plus l'impression de lire un quadra pour qui "tout ça, c'est plus pour moi" que quelqu'un qui avance de véritables arguments fondés. Sur quoi se base cette affirmation au fait ? Moi je pense que les festivals de djeunes ont encore de belles années devant eux, rempli de djeunes qui y trouveront tjs des jours de débauche facile au milieu de leur vacances pourries et de quadras bedonnant qui viendront vider le bar la journée et applaudir Iron Maiden, Metallica ou Kiss en fin de journée. Par contre, là où on se rejoint, c'est que des festivals pour trentenaires et + vont de plus en plus voir le jour. La réussite du Primavera à BCN va probablement donner des idées à d'autres et c'est tant probablement mieux. Suffit de voir des initiatives tels que les ATP, P4K à Paris, Crossingborder, le tout récent Autaumn Falls, etc.

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  5. Outre différentes déclarations d'organisateurs, dont celle du mec de Glastonbury qui disait sans doute arrêter dans les 3 ans, mon affirmation se base sur une tendance que tu as toi-même repérée : en gros, la prolifération du modèle « intégration urbaine », qui va du Primavera aux Lokerse Feesten, en passant par La Villette Sonique ou encore le BSF. Tout un tas de festivals à succès dont la programmation se fait de plus en plus riche, cohérente et attirante, là où justement, vu l'ampleur qui est désormais la leur, des Dour et des Pukkelpop sont désormais plus dans l'offre de quantité que de réelle qualité avec en plus, des coûts à la hausse, une logistique lourde, une sécurité maousse à prévoir, ect...

    Simple constatation et la teneur de ce post n'a sinon rien à voir avec mon âge ou avec mes propres attentes. Ce n'est pas une lettre à Saint-Nicolas demandant un zoli festival urbain pour l'année prochaine, vu que perso, je ne suis pas client de ce genre de manifestations. Mon boulot m'y obligea, je fais encore parfois des touch & go pour voir 2 ou 3 groupes entre 300 autres si la programmation s'y prête mais aller m'enfermer pour 3 jours dans un camp de concentration de bouseux ou montrer ma tronche tous les soirs au rendez-vous de la hype molle genre Nuits Botanique ou ATP, tu m'oublies.

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  6. On restera donc d'accord sur l'émergence de nouveaux festivals urbains, à la programmation plus pointue et à dimension plus humaine.

    Là où je ne te suis tjs pas c'est quant au fait que les grosses foires aux boudins verraient leur affluence diminuer. Le Pukkel est sod out depuis deux ans, exactement depuis que l'affiche est moins intéressante... Quant aux coûts à la hausse de ces bigs bazars, cela restera une question d'équilibre entre les entrées et les sorties. Et quand tu vois que Dour attire plus de monde en programmant 3 dj's hype qu'avec les 197 autres groupes, je pense que faire pencher la balance du côté des entrées n'est pas si compliqué.

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  7. Non mais ça ne va pas disparaître d'un coup et pour certains sans doute même encore perdurer. C'est juste que cela sera sans doute moins systématique et cela pour tout un tas de raisons, y compris de simple mode parmi les organisateurs. Moi, on m'a par exemple dit que le Pukkelpop cherchait depuis des années à se délocaliser sur un aéroport de la région, ce qui lui permettrait de revoir un peu son fonctionnement. Après, ouais, t'auras toujours un Di Antonio pour trouver qu'un « camp de vacances musical avec des bénévoles et 4 séries B pour une star déchue» est un business-model parfaitement respectable, mais bon...

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