mardi 15 mai 2012

SOCIALEMENT RACISTE

Mardi 15 mai 2012, 17h10. Au moment d'éditer ces lignes, ma chronique sur la Belgian Gay Pride publiée ce lundi chez Focus a été recommandée sur Facebook par 787 personnes. Vu le sujet et le ton, le contexte aussi, je m'attendais bien à ce qu'elle fasse jaser mais pas à un tel buzz. Je n'y trouve rien de très politiquement incorrect, scandaleux, briseur de tabou, ronchon, mal-pensant. Rien de très Zemmour. D'où mon amusement, mon étonnement aussi, devant l'emballement. Celui-ci est en fait largement très positif. Les gens se marrent, même ceux qui ne partagent pas mon point de vue (forcé pour l'aspect comique mais sincère). Il y a bien quelques critiques de fond et de forme qui reviennent régulièrement mais cela fait partie des réactions on va dire « normales » à ce genre de publication. Que ma façon d'écrire est mode mais ne développe pas de vraie pensée ou que je tais sciemment les aspects sociaux de la manifestation dans un but caricatural, il n'y a rien à répondre à cela. Ce sont des opinions. Là où je tique un peu plus, tout en restant plutôt amusé du truc, c'est quand on en vient à des sous-entendus nettement plus tortueux, tordus, et tous comptes faits proches de la diffamation.

A cet exercice débile, le champion du monde de la semaine est un journaliste du Soir, dont je tairais l'identité, le but n'étant pas ici de provoquer des combats de coqs mais bien de tenir des notes amusées sur les coulisses de la publication de chroniques au temps du troll généralisé. Cette lumière de l'information régionale, d'emblée, tape fort. Voici ses propos :

(ce chroniqueur est) « le genre contre-contrepied très tendance. Mais à part ses capacités d'écriture, je ne vois pas ce qui distingue son opinion de celle du barman dont il parle. Barman, au passage, qu'il aurait semble-t-il félicité d'avoir zappé quelques beaufs de la Terre en fonçant dans la Gay Pride. Si j'avais des doutes, ce commentaire m'a convaincu que cette Gay Pride là a encore tout son sens: celui d'emmerder le beauf. Le vrai. »

Bref, zimzamzoum, me voilà traité de beauf (ce dont je me fous éperdument) mais aussi accusé de « semble-t-il » vouloir féliciter celui qui commettrait un meurtre de masse un jour de Gay Pride. Ce qui est ridicule, certes, mais aussi plutôt offensant. J'ai demandé au gusse qu'il m'explique un peu comment une chronique qui ne fait pas grand-chose de plus que de poser la question du discours sociétal noyé dans le folklore disco pouvait se transformer en petit pamphlet homophobe friendly. Voici sa réponse :

« Admettons que le fin esprit que vous êtes ne soit pas un intolérant fondamental qui se dissimule derrière la lecture « sociétale » d’une manifestation. Admettons même que vous ne soyez pas hostile aux homosexuel(le)s, malgré ce « en commettant ce crime abject, ce trou-de-balle de limonadier aurait surtout zappé de la surface de la terre une belle tripotée de gros beaufs ». On comprendra au moins que ce qui nous vaut votre billet, c’est une détestation de la manifestation de masse et de son principe forcément simplificateur, dont vous faites curieusement une spécialité belge alors qu’il s’agit d’une caractéristique des… démocraties. Vous préfèreriez, à vous lire, plaindre trois dissidents distingués chaussés de Gucci et sirotant une coupe de Pieper-Heidsieck, emprisonnés pour avoir brandi des panneaux vantant le style de Proust, les qualités guerrières de l’empereur Hadrien ou la voix de Freddy Mercury. Hé bien non : il y a eu 50.000 buveurs et buveuses de Cara Pils samedi au centre de Bruxelles, qui savaient qu’ils susciteraient des commentaires désapprobateurs comme les vôtres et ceux de votre barman, et qui l’ont quand même fait. Désolé de vous avoir dérangé. »

Bref, me voilà en plus d'être beauf et quasi-complice de massacre virtuel, également devenu intolérant fondamental, hostile aux homos, anti-démocrate, responsable de propos aussi abjects qu'une envie de carnage et dérangé par l'existence d'homosexuels qui ne répondent pas à mes critères de classe. Je passe le coup de « détester les manifestations de masse » parce que là, je plaide coupable, surtout pour les courses de Noël et le Festival de Dour.

Même si ses gazouillis n'engagent que le type en question, décidemment, tout s'éclaire quand vient Le Soir.

Le titre de ce billet, Socialement Raciste, est un hommage à une autre réaction, qui m'a été rapportée par l'ami de quelqu'un que le texte a visiblement outré. Je trouve cette expression immensément drôle.

7 commentaires:

  1. Dernier truc envoyé à ce triste sire :

    Libre à vous de penser que défiler chaque année dans les rues de Bruxelles en se comportant de façon outrancière va aider à diminuer l'homophobie. Ce n'est pas mon cas, je pense même qu'imposer ce carnaval de clichés à des gens qui ne le comprennent pas et ne cherchent pas à le comprendre ne peut éventuellement que renforcer le mépris. Cela ne veut pas dire que je fantasme l'interdiction de telles manifestations ou prétend mieux savoir que les gays comment affirmer son homosexualité. Cela ne veut pas non plus dire que cela me dérange. Il m'est arrivé d'être client et même dj dans des soirées gays où les comportements étaient bien davantage outranciers que lors d'une Gay Pride et absolument rien ne m'y a fondamentalement choqué. Il se fait que l'indifférence envers l'homosexualité dont je parle, j'y suis arrivé en travaillant et en faisant la fête avec des gays, en partageant donc leur quotidien, leur normalité, leur banalité. Pas en surjouant la folle une fois l'an.

    Quand je dis que la Gay Pride n'est qu'un carnaval de plus et me moque du fossé qui existe généralement entre les intentions de départ d'un cortège revendicatif et sa concrétisation folklorique, cela dépasse de loin le cadre homosexuel. Il n'y a rien de méprisant ou de stigmatisant envers les gays puisque cela déplore surtout, de façon générale et avec humour, que le plus souvent,
    quand des gens se regroupent pour chercher à faire passer dans la population un message important de façon festive, le discours a des chances de se diluer dans les comportements outranciers et contradictoires. Une telle position peut être perçue comme du snobisme et de la suffisance, je n'en ai cure, mais certainement pas comme de la complicité dans l'homophobie, ce qui me fâche. C'est pourquoi j'estime vos propos si terriblement merdeux et déplacés. Voilà, rien de plus. Affaire classée.

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  2. Le légionnaire16 mai 2012 à 12:19

    Certes Serge la Gay Pride bruxelloise est super cheap et assez naze. Je partage le jugement donc purement "esthétique" que tu poses dessus ...
    Cependant là où ça devient délicat, et où tu t'exposes, c'est en voulant faire un lien avec "ce qu'il faudrait faire pour que les gays soient mieux acceptés", tout en disant que tu n'en a rien à foutre. C'est un peu contracdictoire, et je pense qu'il y a un peu là de mauvaise conscience (même inconsciente).
    En fait, je pense que ce qui est derrière la gay pride c'est l'idée de dire "on sera acceptés quand on aura le droit de faire nos conneries en étant moqués comme les autres" ( comme le regard des gens dans le tram sur ces gros porcs d'étudiants lors des baptèmes) . Ou un peu comme les femmes disent : l'égalité homme/femme sera acquise quand une femme incompétente sera nommée à la place d'un homme compétent.

    Je pense que c'est ça qui est sous -jacent. Il faudrait en rester à la critique purement esthétique : oui il faut oser dire que la gay pride est laide et moche, mais je crois qu'il ne faut pas faire de lien avec l'aspect " intégration de la communauté" : chez les homos la proportion de de cons et de beaufs est aussi importante que chez les hétéros, c'est à dire un sacré bon paquet.

    Et je crois que tout le reste on peut le laisser au Soir :-D

    Le légionnaire

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  3. De un, il ne faut tout de même pas oublier que cette chronique s'inscrit dans le cadre d'une rubrique intitulée Sortie de Route, qui a essentiellement pour sujets la nuit et la fête, se veut sarcastique, et entend dépeindre des sentiments et des sensations vécus lors de virées souvent alcoolisées, parfois même défoncées. D'où le manque de nuances.

    Après, j'insiste sur le fait que la charge est moins dirigée contre la Gay Pride que vis-à-vis de la tendance générale à foirer un cortège. La Fête Nationale, avec ses chars rouillés, son génie civil bedonnant et sa quinzaine de pauvres avions de chasse est tout aussi cheap que la Belgian Gay Pride et c'est surtout cela qui me fait rire. La fierté mal placée.

    Enfin, je ne vois pas ce que cela a de délicat d'entendre banaliser l'homosexualité en rendant un hommage appuyé et visible à des gays qui ont fait avancer le monde plutôt que de parader sous ecsta à moitié à poil. Je ne dis pas qu'il faut être aussi rébarbatif qu'un programme de télé scolaire mais que j'ai l'impression qu'une gay pride en l'état, ça ne fait que renforcer l'impression chez « les gens » que les gays, c'est des gros fêtards décadents et pas grand-chose de plus. Alors que si tu parles d'économistes, d'artistes, de scientifiques et de politiciens, ça ferait, je pense, un tout autre « tilt ! » chez ces mêmes « gens ».

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  4. Le légionnaire16 mai 2012 à 13:28

    Pour encore préciser ma pensée (qui est féconde), il y a certes le piège inverse à éviter, à savoir le syndrôme "Intouchables".
    Mon comment précédent ne signifiait donc pas que je prône "l'intégration par l'humour et l'auto-dérision". La petite musique "Intouchables" est tout aussi profondément débectante . Avec en effet typiquement le discours de droite décomplexée : "ouais les handicapés ( ou les homos - bref les gens "différents", sont comme nous donc pas de problème,on fait des films de merde, avec des vannes de merde pour dire que tout va bien et que tout le monde s'aime." Alors qu'on sait très bien que le point qui fait d'Intouchables un film totalement malhonnête et dégueulasse est que le mec handicapé est riche à crever et que le gentil noir est dans la dèche. Ce conte à dormir debout ( si je puis dire) est à l'exacte image du discours que toutes les droites décomplexées du monde entier servent aux masses pour les endormir et justifier leur exploitation : vous voyez bien qu'il vaut mieux être pauvre et sur deux jambes que riche et gras / malade. Sauf que la réalité est à l'exacte opposé : les riches sont minces,heureux, et vivent vieux, longtemps en bonne santé sur leur grosse retraite, et les pauvres sont malades, gros et crèvent heureusement avant de devoir se plaindre d'une retraite de toute manière serait misérable.

    Pour revenir aux homos : oui en général c'est plus compliqué d'être homo qu'hétéro chez nous , et oui il y a du boulot. Et le gay-bashing d'humour décomplexé ne les aidera pas forcément.
    Mais n'empêche la gay pride c'est quand-même bien de la merde.
    J'en reviens donc à la seule "éthique" qui vaille : détecter la connerie de tous côtés (pauvre,riche,handicapé,wasp,homo,hétéro), la faire sortir de son trou et la moquer. Vaste programme, mais ça peut faire passer le temps.

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  5. Le légionnaire16 mai 2012 à 13:34

    Certes, mais ce "role model" existe déjà : Di Rupo, Delanoë,le maire de Berlin, les artistes n'en parlons pas, il y en a des tonnes . Mais je ne crois pas que ça convainque les cons , ça les renforce plutôt dans leur discours "anti-élites"... Pour eux les homos sont des gens riches, des bobos urbains, bref des gens pas comme eux , ...
    En fait il n y a rien à faire , à part de moquer la connerie partout où elle affleure.

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  6. Mouais. Concernant Intouchables, je te rappelle quand même que le film est basé sur des personnages réels. Ce ne sont pas les scénaristes qui ont inventé le coup du riche handicapé un peu punky sur les bords et du zigoto de banlieue au grand coeur. Après, bien sûr, que ce film là cartonne plutôt qu'un autre (le Kassovitz, par exemple, hahaha), cela dit des choses sur la France de Sarkozy, mais bon...

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  7. Le légionnaire16 mai 2012 à 14:43

    Oui, bien vu, c'est tout à fait ça.
    C'est le succès d'Intouchables qui en dit long, plutôt que le film Intouchables...

    Concernant la gay pride , il faudrait aussi parler du communautarisme et du grand portnawak créé par les usages intempestifs et fallacieux qu'on fait de ce concept de tous côtés... Mais bon ça c'est clairement pas le but de Sortie de Route. Quoique ... TU PEUX LE FAIRE ! (et faire pêter les compteurs facebook :-D)

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