mercredi 20 janvier 2021

LE JOURNAL DU QUINCADO (5)

Janvier 2021 - Quand j'étais jeune, nous étions quelques-uns, un bon paquet quand même, à ne pas aimer Michel Leeb, le Bébête Show et Roger Moore dans le rôle de James Bond. C'était ringard, ça ne représentait pas "nos valeurs". On pouvait même peu ou prou s'indigner des sketchs du premier perçus comme racistes, du populisme beauf des seconds et du sexisme de ce croulant en chemise jaune de 007.

On n'a pas ronchonné fort longtemps, cela dit. En quelques années, c'était fini, out. Dieudonné a débarqué avec son sketch « Georgette Pompidou », les Guignols ont commencé à gentiment mais sûrement dynamiter l'humour politique et Timothy Dalton, le plus violent des James Bond, puis Pierce Brosnan, le plus cynique des James Bond, ont remplacé Papy Moore tout juste avant qu'il ne devienne réellement Benny Hill avec un flingue. Quand j'étais jeune, je ne pouvais pas non plus encaisser Stéphane Steeman et Tatayet, qui me semblaient bien faire honte à l'humour belge. Zbim, ont débarqué les Snuls et Benoît Poelvoorde. Je n'aimais pas Machiavel, ni Plastic Bertrand, et zboum, voilà Front 242 et The Neon Judgement. Quand j'étais jeune, j'ai donc appris que c'est le flux tendu de la culture populaire qui illustre au mieux le plus fondamental des préceptes bouddhistes. Dans le dharma, rien ne dure, tout est impermanence. Forcément, rien ne sert donc de s'exciter, O Noble Fils de Lumière : ce qui te gêne aujourd'hui ne sera plus là demain. C'est rassurant, ça apaise. Là, je n'aime pas Angèle, je n'aime pas le rap et so what ? Dans maximum 15 mois, il y aura bien une Grace Jones 2.0 et un énième retour du rock psychédélique pour nous ringardiser La Bibot Junior et tous ces groupes en pantalon Adidas qui se sont choisi pour nom le numéro de leur maison. Ce n'est d'ailleurs pas non plus comme si on nous attachait façon Orange Mécanique pour nous forcer à bouffer du Angèle et du rap. Là, j'écoute un album du groupe Television. 1978, du rock. Tant que la police s'en branle, tout va bien.


Des années durant, j'ai bien entendu largement fait part de mes dégoûts, de mes « indignations » et de mes « emballements négatifs ». « Payé pour être méchant » a dernièrement dit de moi une grande comique. Ce que j'ai pu écrire au vitriol m'a certes permis quelques steaks et pas mal de loyers mais ça n'a jamais tenu que de l'opinion, voire de pures couillonnades. Je ne me suis jamais senti en mission. Je n'ai que très rarement été pamphlétaire. Quand je vois tous ces gens exiger des têtes pour une blague sur les trans ou un dessin de nature à heurter l'une ou l'autre (ultra) sensibilité, je ne comprends donc juste pas comment on peut SERIEUSEMENT (et à un tel degré) s'exciter contre une simple production culturelle à la durée de vie de poisson rouge et contre un artiste appelé, comme tout un chacun dans son secteur, à vite lasser. Qu'on se foute de sa poire, qu'on le critique : oui. Qu'on fasse pression, même indirectement, sur son employeur et remette carrément en question son employabilité : non.


Quand nous fantasmions la disparition de Stéphane Steeman et de Michel Leeb de la télévision, il n'a jamais été question de les condamner à la mort sociale et médiatique. Peu nous importait que Leeb et Steeman remplissent le Théâtre des Galeries et le Centre Culturel d'Uccle, qu'ils fassent jusqu'à la retraite cliqueter de plaisir les dentiers de leurs auditoires. J'ai pour ma part maintenu des années durant que Thierry Coljon et Rudy Léonet tenaient de l'escroquerie intellectuelle et journalistique. Ca ne m'aurait pas déplu que l'un soit viré du Soir et l'autre de la RTBF, mais seulement si ça avait été pour les remplacer par des gens plus valables. Il n'a par contre JAMAIS été question de complètement zapper Coljon et Léonet de l'espace médiatique et culturel. De les faire disparaître pour toujours, d'effacer jusqu'à leur souvenir, de ne pas leur permettre de tenter de briller autrement ou plus tard. De les foutre pour de bon au goulag virtuel, donc.


Je serai plutôt content, soulagé surtout, le jour où Angèle paraîtra plus ringarde que Jo Lemaire, surtout si c'est pour être remplacée par une Grace Jones 2.0, mais je ne désire absolument pas et je ne désirerai jamais qu'Angèle soit bannie à vie des médias et de la scène culturelle. Elle peut animer des crochets à Blankenberghe où remplir Forest National, ce n'est pas mon problème. Mon problème, c'est qu'elle prend trop de place, qu'elle invisibilise des artistes bien meilleurs et plus intéressants, donc plus méritants. Voilà donc la nuance : moi, je ne pratique pas et je n'ai jamais pratiqué la « Cancel Culture ». Quand je critique quelqu'un, c'est soit pour tout simplement m'en moquer en mode troll, soit pour partager l'idée que cette personne ne vaut pas le coup et que l'on ferait donc mieux de vite passer à autre chose. Ce qui tiendrait donc plutôt de la « Replace Culture ». Puissiez-vous en prendre de la graine plutôt que de continuer à vous la jouer Torquemada, bande de sales jeunes !