vendredi 22 décembre 2023

KINOCOSMANI (2) : J'AIME, J'AIME LA BOUE (ET ROMAN POLANSKI)




Le meilleur film que j'ai découvert en 2023 date de 1979 et est réalisé par Roman Polanski. Il s'agit de Tess, adapté du roman Tess of The D'Ubervilles, publié par Thomas Hardy en 1892. Bien que depuis quelques années assez occupé et totalement passionné par la littérature du XIXème siècle, je n'ai toujours pas lu ce livre, ni l'un ou l'autre de cet auteur.


Pourtant très mais alors très très fan du Polanski sixties et seventies (The Tenant et Répulsion > tout David Lynch), je n'avais jusqu'ici jamais non plus trop pris la peine de voir Tess parce que je pensais, à tort, que c'était le film où Polanski avait commencé à grave déconner. Autrement dit, j'ai toujours pensé que c'était un truc à la TF1 tourné à l'arrache en Europe et sans trop de préparations, après que notre camarade de l'encule  se soit définitivement grillé aux Etats-Unis. 


(De l'europudding juste pour niquer Nastassja Kinski donc, j'ai envie de préciser, même si je sais depuis que c'est faux).


Quelques mois avant de voir Tess, toujours en 2023, je m'étais sinon encore enfilé un autre film adapté d'un roman de Thomas Hardy : Far from The Madding Crowd, sorti par John Schlesinger en 1967, long bazar que j'ai trouvé vraiment pas mal du tout  mais pas non plus inoubliable.


Far from The Madding Crowd est le troisième film tourné par Schlesinger avec Julie Christie, après Billy Liar et Darling, tous deux bien meilleurs et tous deux très typiques des sixties anglaises. Très working class heroes, très Swinging London, très réalistico-sordides. Des films à succès, cultes depuis, à la fois dépassés dans leurs esprits et malgré tout troublants de modernité. Bien que se déroulant à la campagne au XIXème siècle et a priori assez fidèle au roman de Thomas Hardy, Far From The Madding Crowd m'a dès lors semblé un peu trop découler de cette même approche, de ce même regard ; carrément former la fin d'une trilogie où Julie Christie minaude fort, collectionne les hommes et virevolte dans le néo-réalisme non sans drame mais principalement avec légèreté. Tess est au contraire autrement plus goth, sombre, hanté, cousin de la folk-horror, héritier de la peinture paysagiste et, surtout, beaucoup plus crotteux. Donc intemporel.


La crotte sur les costumes d'époque est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles je trouve Polanski totalement génial. Que cela soit dans Tess ou dans J'Accuse, les costumes du XIXème n'ont chez lui jamais l'air de sortir de l'atelier de la costumière. Ils sont usés, comme déjà longtemps portés, boueux. Cette année, j'ai aussi vu Killers of The Flower Moon de Martin Scorsese et ça m'a frappé qu'alors que c'est un film qui se passe à des centaines de kilomètres du premier trottoir, chez les bouseux, dans des rues boueuses, le plus souvent sous la pluie ; chaque costard, chaque botte, chaque couverture indienne, chaque bagnole, a néanmoins l'air de sortir du magasin de souvenirs, l'étiquette de prix encore accrochée quelque part. Chez Polanski, s'il pleut sur les champs du Wessex (la contrée anglaise imaginée par Thomas Hardy) et que Kinski travaille à la ferme, et bien, ses robes seront mouillées, dégueulassées, et elle aura de la merde de poule sur le tablier. Ce qui est génial, mine de rien. 


Il y a Love de Gaspar Noé qui se passe principalement dans un appartement parisien où j'ai bien l'impression d'avoir été dormir une nuit (le même que dans Eden de Mia Hansen-Love) mais combien de films contemporains se déroulent sinon dans des lieux d'habitations qui ressemblent plus à une chambre ou à une cuisine d'exposition d'un magasin Ikéa qu'à des lieux où vivent réellement des gens ? A part chez Polanski, je ne vois que des films seventies à la Hal Ashby, le terrifiant Looking for Mr Goodbar et son flat new-yorkais de merde, les premiers Frères Coen, le cinéma de Sergio Leone et la première trilogie Star Wars pour avoir poussé le sens du détail au point que les vêtements, le mobilier et le matériel aient tous l'air d'avoir déjà été utilisés (et niqués) avant le tournage. Et vraiment niqués par l'usure, pas travaillés au cutter comme ces denims juste sortis du shop que des pouffes s'amusent à gratter à la lame pour se donner un genre. 


On se paluche sur des détails mais faut sinon quand même bien insister sur le plus important : à une époque où Roman Polanski est constamment dévalué en tant que cinéaste, artiste et humain, il me semble carrément vital de rappeler que certains de ses films (pas tous, loin de là) tiennent vraiment du chef d'oeuvre absolu. En termes stricts de cinéma, des sommets comme Chinatown, Répulsion, Le Locataire, Tess... Ca renvoie quand même pas mal les productions Marvel et Netflix à leurs statuts réels de direct-to-DVD! Ca rappelle que du XXème siècle, il n'y a pas que Welles, Hitchcock, Kubrick, Spielberg et Scorsese à retenir! Et que des pigistes probablement biberonnés aux "blockbusters inclusifs" pensent que Tess est l'un des films les plus problématiques jamais tournés n'y change strictement rien! Nanère. 


D'un point de vue sinon beaucoup plus troll mais néanmoins extrêmement juste, il est aussi assez amusant de constater et faire constater aux féministes actuelles que Répulsion et Tess sont peut-être bien parmi les films les plus misandres qui existent. Pas un seul mec à sauver dans ces histoires! Pas une seule meuf non plus, cela dit. Reste que l'amour, la compassion et l'adelphitude (wtf that means!) vont vers elles à la fin de ces films. On ne peut que jubiler à la mort atroces de leurs victimes pourtant jamais coupables de crimes autres que leurs médiocrités de simples et bêtes mâles.


Ouais, Polanski est définitivement un grand et gros pervers. And I fucking love it. LOL.