vendredi 2 avril 2021

CHEVEUX ROSES, IDEES NOIRES

Finissant Mindf*ck, le livre du lanceur d'alerte Christopher Wylie, ex-Cambridge Analytica, je me suis dit que ça serait quand même pas mal, voire obligé, que nos mandataires locaux désireux de réguler la haine sur Internet le lisent avant d'encore penser à des lois visant à ne punir que les utilisateurs problématiques des réseaux sociaux tout en laissant les plateformes prospérer. Que les trolls soient une nuisance, d'accord, mais quand il est prouvé que des firmes spécialisées dans la manipulation psychologique et la déstabilisation sociale, repèrent ces trolls et les utilisent à leur insu pour servir des intérêts financiers et politiques qui tiennent de la très grosse encule internationale, qui sanctionner ? Le no-life qui insulte des femmes sur Internet pour occuper le vide de ses journées ou l'entreprise qui l'a psychologiquement profilé comme misogyne et injecte dès lors des fake news dans son fil d'actu pour lui faire croire que le féminisme intersectionnel, en réalité aussi anecdotique que la K-Pop, est un danger pour ce qui lui reste de vie ? A partir du moment où de plus en plus de gens qui ont participé à la création des réseaux sociaux expliquent en quoi ils sont devenus dangereux, pourquoi ils manquent d'éthique et comment leur business-model consiste à « enrager » leur public, pourquoi les laisser continuer ? Pourquoi chercher à n'en réglementer que l'usage plutôt que d'oeuvrer à sérieusement en limiter la capacité de nuisance? 

Comme c'est parti, la guerre à venir contre la haine en ligne va pourtant, me semble-t-il, se jouer aussi mal que la guerre contre la drogue. On va ruiner les vies de petits joueurs, fanfaronner à propos de victoires anecdotiques, aligner des chiffres insignifiants, tandis qu'à l'ombre, les gros requins manipulateurs continueront de s'enrichir et de commettre des crimes bien plus abjects que traiter une élue de gauche de grosse pouffe. Le bouquin de Wylie est franchement effrayant mais un peu moins de deux ans après sa sortie, il faut bien reconnaître qu'il n'a absolument rien changé au monde qui nous entoure. Sans doute parce ce que ce qu'il dénonce arrange trop de puissants et génère trop de fric. C'est un dossier très compliqué aussi, mêlant barbouzeries mondiales et commerce de masse, attaquant qui plus est des firmes spécialisées dans la désinformation. Que le scandale se soit transformé en eau de boudin n'est dès lors guère étonnant. Si ces gens peuvent pousser les Anglais à voter pour le Brexit et catapulter Donald Trump à la Maison Blanche, vous pensez bien que ce n'est pas très compliqué pour eux de laisser infuser dans l'opinion publique que tout cela n'est que théorie de conspiration pour gauchistes aux cheveux roses.


Qu'un bouquin aussi déterminant sur la haine en ligne semble moins avoir moins percuté et inspiré le monde politique local que des éditos des Grenades-RTBF, des tweets douteux de micro-célébrités  bruxelloises et un bien mauvais roman sur le cyberharcèlement ne tient toutefois pas de la manipulation psychologique à échelle internationale mais bien de la simple fainéantise intellectuelle ainsi que de la réaction émotive basique « un fait divers, une loi », à la Sarkozy. La collusion entre Cambridge Analytica, Facebook et les services secrets russes est un scandale majeur, même si relativement étouffé, de notre époque. C'est aussi une explication à la prolifération de la haine en ligne que l'on ne peut ignorer, ni minimiser, au moment de penser créer des outils pour combattre cette haine en ligne. Sans quoi, tout comme dans la guerre contre la drogue, souffriront surtout les cas sociaux tandis que continueront de prospérer les gros dealers et les cartels. Ce billet n'est donc pas qu'une recommandation littéraire. C'est surtout un appel à ne pas bêtement juste déconner au moment de balancer IRL un attirail législatif qui impactera en principe très profondément nos vies. Au point même d'éventuellement créer plus de haine, donc plus de problèmes. 8,70€, la version poche... 



1 commentaire:

  1. Quand je me suis penché sur le marketing américain, il y a 8 ans, je suis passé à côté d'une info qui me paraissait secondaire à l'époque : "90% des consommateurs choisissent une marque en fonction des valeurs qu'elle représente". Il y a 8 ans, ce n'était pas encore très concret en Belgique et pourtant, c'est le coeur même de la machine à fric que sont les réseaux sociaux pour les boîtes de pub, le "woke washing". On connaissait déjà le green washing mais c'est pas tout à fait pareil. Ici, avec le woke washing, la haine en ligne fait partie intégrante du processus marketing. On crée une pub bien clivante, les gens se déchirent sur les réseaux sociaux et l'attachement à la marque s'en trouve renforcé par l'un des deux camps. Cela dit, ça commence à bouger. Les médias qui dépendent financièrement de leur régie publicitaire, prennent doucement conscience que ce petit jeu peut dangereusement se retourner contre eux et avoir des conséquences IRL, défiance envers les médias traditionnels, prolifération des théories du complot et un impacte dans les urnes. 

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