lundi 13 mars 2023

LE JOURNAL DU QUINCADO (21) : FUCK YOU I WON'T DO WHAT YOU TELL ME


Mars 2023 – Il y a quelques jours, j'ai terminé en VO la lecture du dernier Bret Easton Ellis, The Shards. C'est un gros pavé : un peu moins de 600 pages, assez touffues. Le roman est ce qu'il est : à la fois prenant et finalement décevant. Le fait de capter dès les premiers chapitres comment il se terminerait ne m'a pas aidé à davantage l'aimer, je dois dire. Je laisse toutefois à d'autres le soin de l'analyser et d'en critiquer le contenu. Aujourd'hui, je voudrais surtout parler de l'impression qu'il m'a laissée. Pas le simple « tout ça pour ça ? » d'ordre strictement littéraire. Plutôt l'impression de ce que le roman dit (ou ne dit pas, ou ne dit pas assez...) de son auteur et de notre époque. The Shards se passe principalement à Los Angeles en 1981. On y cite beaucoup de références musicales appréciables bien que white only (quelle année, 1981!!! Mais où est le funk ???), des restaurants et des magasins aujourd'hui fermés, des marques de fringues que plus personne ne porte et on y roule en bagnoles que plus personne ne conduit. La nostalgie, camarade ! Les personnages sont tous issus de la jeunesse dorée, vivent dans une grosse bulle de très gros privilèges et leur « innocence » est menacée par un culte de la mort mystérieux qui pourrait être dirigé (ou pas) par un serial-killer énigmatique. Il y a quelques années, Ellis avait travaillé sur le scénario d'une série télévisée qui n'a jamais été tournée et dont Charles Manson aurait été le personnage principal. Son serial-killer  de fiction s'inspire pourtant visiblement d'un autre criminel ayant vraiment sévi en Californie durant les années 80 mais peu importe. Los Angeles, des marginaux sectaires, un tueur fou, une multitudes de références culturelles, la fin de l'innocence pour des personnages assez largués et camés jusqu'au trognon... Voilà : j'ai aussi lu The Shards comme une sorte de suite ou de nouvel épisode se déroulant dans le même univers, une dizaine d'années plus tard, que celui de Once Upon a Time in Hollywood de Quentin Tarantino. Coïncidence? Tendance? Je l'ignore mais il se fait que je pense justement que Tarantino et Ellis sont aujourd'hui les deux dernières célébrités à tenir un discours bien diffusé et à créer des choses qui gardent profondément la marque de tout ce que la sociologie de comptoir a attribué à la Génération X. Qui est aussi la mienne, dont je me sens moi aussi un avatar. Un cliché ambulant, même.


Ce sont les derniers des Mohicans, les autres représentants importants de cette Gen X étant soit morts (Kurt Cobain, Tupac Shakur, Heath Ledger...), soit assez hors radars (Molly Ringwald, Julia Roberts, Winona Ryder...), soit désormais parties intégrantes de ce qu'Ellis appelle l'Empire (Robert Downey Jr, Joaquin Phoenix, Dave Grohl...). Né en 64, Ellis a dès son premier bouquin, Less Than Zero, été considéré comme un « porte-parole » de cette génération. Né en 63, Tarantino a lui été perçu dès son premier film, Reservoir Dogs, comme l'un de ses rejetons les plus doués et rentables. Outre cette nostalgie récente, dans ce qui les rapproche, les deux hommes partagent depuis toujours une certaine tendance sinon à la provocation du moins au parler cash, une énorme connaissance amoureuse du cinéma, un attrait pour l'esthétique violente et un certain cynisme amusé. Celui-ci s'est toutefois surtout exprimé ces dernières années, alors qu'Ellis comme Tarantino se sont coltinés des critiques professionnelles davantage nées de postures idéologiques et d'envies de jeunes journalistes de se faire ces deux « boomers » que d'une approche plus sereine et analytique de leurs œuvres. Ellis s'était déjà frotté à ce genre d'énergumènes dès les années 90, quand son American Psycho affolait les néo-grenouilles de bénitiers et autres pisse-vinaigres féministes de cette époque pré-Internet. Mais ce n'est que ces dernières années qu'il s'est pleinement transformé en commentateur social à quasi temps plein, pas toujours pertinent, ni « scientifiquement recevable » comme diraient certains aujourd'hui, mais aux intuitions intéressantes. On peut ainsi rappeler que c'est son article de 2014 pour Vanity Fair dézinguant les Millenials et leur culte de la victimisation, Generation Wuss (Génération Chochottes), qui s'est transformé cinq ans plus tard en véritable essai très critique envers ce qui était en train de devenir "le wokisme", le fameux White de 2019 ; lui aussi assez dégommé par pas mal de médias lyncheurs voulus progressistes. Chicané pour la violence de ses films, ses accointances avec Harvey Weinstein et ses rapports visiblement plus vraiment au top avec Uma Thurman, Tarantino, de son côté, s'était quant à lui aussi montré assez bravache face aux vents mauvais ; notamment en rétorquant son définitif « Says who ? » quand on lui fit également remarquer que bon nombre de choses dont il truffe toujours ses films étaient désormais considérées comme « problématiques » par une partie significative du grand-public (dont son utilisation massive du pourtant très tabou « n-word »)


Vu la tendance générale à déformer les propos et attribuer des agendas réactionnaires (ou masculinistes quand cela concerne Ellis et Tarantino) au moindre écrit critique ou moqueur, il est peut-être utile de bien préciser mon rapport personnel à la production de ces deux là. Si on prend l'entièreté de ce qu'a publié Ellis depuis presque 40 ans, j'ai tout lu mais je n'en garde, dans l'ordre de préférences, que Les Lois de l'Attraction, Moins que Zéro, Lunar Park et White ; n'étant pas du tout fan du reste, que je considère plutôt comme de la simple couillonnade au pire et de la désormais bien ringarde relique nineties au mieux. Même chose pour Tarantino : j'adore Reservoir Dogs, Pulp Fiction est beaucoup trop long bien que plutôt cool mais pour le reste, ça pique quand même fort aux yeux, surtout depuis les années 2010. Un autre gros point commun entre Ellis et Tarantino, en passant : la grosse ficelle resservie à chaque coup. Dans les bouquins de l'un, le narrateur n'est jamais fiable. Dans les films de l'autre, on se permet de chambouler l'Histoire parce que c'est ça, le pouvoir du cinémaaaa, haaa, le cinémaaa... Systématiquement, on a donc  le coup du roman qui ment et du film révisionniste. Mouais. Voilà pour la clarification : Ellis et Tarantino sont pour moi loin de représenter des dieux intouchables. Leurs œuvres peuvent être critiquées, durement même. Leurs personnalités aussi, d'ailleurs. Mais pour ce qu'elles sont, pas pour ce que des Missionnaires (H/F/X) de la Bienveillance vont vouloir y trouver dans le simple but de les incriminer; un peu comme des flics ripoux iraient foutre un pacson de coco dans la voiture d'un type ultra clean arrêté parce que suspect de se droguer et qu'il faut faire du chiffre.


Cela dit, si je n'aime pas forcément ce qu'ils font, j'ai beaucoup plus de sympathie et même, allons-y franchement, d'attentes, par rapport à ce qu'ils disent. J'ai interviewé Ellis et je l'ai trouvé affable, plutôt sympathique, même si pas forcément « fiable », tiens, justement. J'ai aussi regardé pas mal d'interviews de Tarantino sur You Tube et lui, par contre, me semble vraiment tenir du gros con imbu de son petit nombril. Tous deux tiennent néanmoins un discours régulièrement intéressant. Pas toujours bien tapé, souvent plus fanfaron que réfléchi mais quoi qu'il en soit, utile. Je pense en effet qu'il est très important, de nos jours, que ce genre de personnalités dont la voix peut sonner, sonne justement les cloches aux conneries que déversent celles et ceux qui tentent aujourd'hui de tenir les rennes de la culture et d'imposer leurs visions tartiflettes et leurs morales chiasseuses à la création artistique et/ou commerciale. Bret Easton Ellis et Quentin Tarantino ne sont pas Michel Sardou et Véronique Genest. Ils sont bien en voie de ringardisation mais n'ont toujours pas l'air à ce point déclassés, ni vraiment réacs, quand ils critiquent l'époque. Les choses qu'ils déblatèrent peuvent toujours switcher une petite lumière dans le cerveau. Ils gardent aussi cette « fuck off attitude » plus que jamais nécessaire, qui peut inspirer. Quand on a grandi a son d'un bon millier de chansons beuglant en substance « fuck you I won't do what you tell me » et que l'on vit désormais dans une époque ultra-conformiste où pour recevoir des aides à la création culturelle il vaut mieux parler comme tout le monde de lesbiennes non-binaires cyclistes cherchant leurs identités profondes en confectionnant des cupcakes plutôt que de psychopathes en costards faisant rigoler la salle de cinoche en torturant des innocents au rasoir, ça fait beaucoup de bien de voir ces deux là continuer de balancer de la punchline à l'ancienne, de se foutre d'être "cancelled" ou pas et même, au final, de s'en tenir à leurs recettes éprouvées, même quand c'est nul ou pas loin de l'être. Tout comme il est très gai de continuer à rigoler des stand-ups de Dave Chappelle, Bill Burr et Louis CK. Le souci majeur, étant bien sûr, que ces bulles au ton libre « comme avant » deviennent des « safe spaces » pour gens qui conchient justement l'idée même de « safe spaces ».


The Shards tient bel et bien du « safe space pour Gen X et Boomers », je pense. C'est Less Than Zero revu et corrigé pour une éventuelle adaptation Netflix (Correction : HBO plutôt, vu le cul et la violence!). Soit. Aujourd'hui, ses romans ronronnent. C'est dans ses interviews qu'Ellis se montre le plus intéressant. Quand je l'ai rencontré en 2019 (ça a été payé mais jamais publié), il m'avait ainsi évoqué le cas je pense très exemplaire du comique Anthony Jeselnik, qu'il avait reçu dans son podcast. « S'il voudrait un show sur NBC ou une grosse marque pour sponsor, Jeselnik devrait changer la routine de ses spectacles, m'avait expliqué Ellis. C'est quelqu'un de très charismatique, qui présente bien, qui ferait donc un très bon porte-parole pour une noble cause et son agent n'arrête pas de le pousser à accepter de telles offres. Mais s'il passe à ce stade « supérieur » de sa carrière, il devra arrêter les blagues sur les bébés morts, le viol et le SIDA. Et il n'en a aucune envie. Je pense comme lui : quand on refuse certaines choses, on en gagne d'autres. Je sais que j'ai perdu des jobs, je sais que j'en ai raté. Certaines personnes n'ont aucune envie de voir leurs noms associés au mien. Il faut pouvoir accepter les conséquences de ce que l'on dit. Nous vivons désormais dans un monde où tout le monde surréagit, où des hystéries démarrent pour des broutilles... Où nous en sommes en tant que société, c'est désolant. Où j'en suis, c'est désolant. » La solution à cette désolation, c'est d'assumer, donc. Continuer, même quand le vent souffle de face. Ne pas plier. « My way or highway », comme dit le vieux Joe Cabot dans Reservoir Dogs. Plus que jamais, « fuck you I won't do what you tell me ». Gen X 4 Life! 


PS : Je dois malgré tout ça tout de même bien avouer que j'ai toujours détesté Rage Against The Machine, vraiment la pire daube des nineties. Après Smashing Pumpkins, allez... Le Pukkelpop 1993, ce véritable supplice du pal !



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