lundi 22 janvier 2024

KINOCOSMANI (3) : TARANTINO SPECULATIONS

 

Il ne m'a fallu qu'un week-end pour terminer Cinema Speculations, l'essai de Quentin Tarantino sur quelques films qu'il a aimés (ou pas). Même si je ne m'en souviens pas toujours bien, il se fait que je connais la plupart des œuvres dont il parle. Tous ces polars violents qu'il a vu gamin dans les cinémas de Los Angeles sont passés à la télévision belge ou française quelques années plus tard et je suis de cette génération, la X, dont les parents ne s'inquiétaient pas trop de laisser les enfants traîner devant Charles Bronson, Burt Reynolds et Clint Eastwood. Comme Tarantino, avant même l'âge de dix ans, j'avais donc déjà vu un paquet de nichons exposés sans réelle nécessité scénaristique et des camions de morts violentes à l'écran.


Par contre, contrairement à Tarantino, j'ai vite préféré le cinéma qui laisse bouche bée à celui qui fait ricaner de plaisir dès que le Méchant se fait castagner dans une explosion cathartique de sauce tomate. La science-fiction dark, le surnaturel, le torturé, le bizarre. Le Lynch. Les trucs qui font moins peur sur le moment qu'au moment d'y repenser ensuite dans son lit. Les films davantage intrigués par la mort que célébrant la vita violenta. Les polars violents, c'est sympa, mais ça ne reste le plus souvent que du McDo. Moi, je voulais et je veux d'ailleurs toujours la gastronomie qui file ensuite la gastro.


Ces derniers temps, j'ai regardé pas mal de podcasts où baratine Tarantino et je n'aime pas ce gars. Son arrogance de connard, cette façon de parler de « son oeuvre » comme d'une collection de classiques alors qu'il est tout de même permis de penser que si ses films des années 90 sont objectivement plutôt bons, le reste de sa filmographie tient bien davantage de la pantalonnade et sera un jour sinon ignorée du moins rabaissée à sa juste valeur de simple produit commercial souvent concon.


Sa façon de couper les autres aussi, d'imposer ses analyses comme les plus valables d'un panel alors qu'elles sont pourtant souvent tartignolles. Des mecs de 50, 60 ans et plus qui parlent de cinéma seventies, ça pousse aux arbres en ce moment et moi, j'ai beaucoup plus de plaisir à écouter en causer feu Anthony Bourdain, Louis CK, Bret Easton Ellis et Bill Burr par exemples, que Quentin Tarantino, dont je trouve un peu trop les emballements curieusement justifiés, les analyses faiblardes et les anecdotes heu... très anecdotiques.


Scorsese aussi est plutôt cool à écouter, parce qu'il parle des films avec passion et intelligence, en adulte, en sage, alors que Tarantino donne plus l'impression de n'être qu'un simple petit geek devant ses jouets Star Wars dont il connaîtrait tous les noms, les grades et les origines. Cela dit, je pense aussi que Tarantino prend autant de libertés au moment d'interpréter ses films préférés par rapport à ce qu'ils sont et ce qu'ils disent vraiment qu'avec la réalité historique dans ses derniers scénarios.


En fait, mon souci avec ce qu'il raconte en interview et dans ce livre qui compile des points déjà développés dans les podcasts dont je parle est le même que mon souci avec ses films : ça jacasse beaucoup, c'est parfois bien marrant mais ce n'est, au fond, que rarement intéressant. Ca se croit surtout cool alors que c'est foncièrement beauf. Et de mauvais goût.


Pourquoi, en effet, taper un chapitre entier sur Hardcore, mauvais film de Paul Schrader, plutôt que de conseiller Blue Collar, excellent, et datant de la même époque ? Pourquoi, au moment d'évoquer Sam Peckinpah, se pignoler sur The Getaway, film commercial assez pourri, quand Straw Dogs et Cross of Iron restent beaucoup plus percutants, donc recommandables, et devraient aussi être défendus face aux désirs actuels de cancelling dus à leurs maousses scènes polémiques et pas trop compatibles avec le néo-puritanisme ? Et puis surtout, quand on avoue préférer de loin Rocky I et surtout II à Papillon, comment ne pas ensuite échapper à l'étiquette de beauf, voire carrément de con ?


Le côté cool de ce livre, c'est son honnêteté. Il est maintenant clair que Tarantino n'est pas un artiste et n'a jamais cherché à l'être. C'est juste quelqu'un qui a toujours voulu se faire un nom dans le circuit commercial. En fait, Tarantino est au cinéma contemporain ce que Daft Punk est à la musique électronique. Il sample des nanars comme Daft Punk sample du disco de série B pour en tirer des cartons commerciaux. Mais c'est vide, c'est creux, c'est putassier. Ca trahit aussi régulièrement l'esprit de ce que ça vole.


C'est générationnel, surtout. Dans 40 ans, à la mort du dernier Gen X, il est prévisible que plus personne ou presque n'en aura à foutre de la majorité de la filmographie de Tarantino. Chez moi, le processus est déjà entamé depuis longtemps. J'ai plutôt aimé Pulp Fiction à sa sortie mais à chaque fois que je le revois, c'est comme avec la trilogie Star Wars originelle, je l'aime moins. Je suis même très proche du jour où je me ficherai autant de Pulp Fiction que du Retour du Jedi. Ces films ont plu à quelqu'un que je ne suis plus. A 13 ans, je me suis d'ailleurs un peu senti obligé par la pression sociale d'aimer Le Retour du Jedi mais à vrai dire, je me suis quand même assez fait chier en le découvrant. J'étais carrément déçu. A 25 ans, j'ai aimé Pulp Fiction, j'ai traîné le poster d'un appartement à l'autre, la BO passait dans tous les bars et dans toutes les voitures de potes, ma meuf avait Mia Wallace/Uma Thurman comme modèle absolu MAIS... Ca ne m'empêchait pas de trouver le film un peu long et même carrément faiblard sur la dernière heure. Ce n'était malheureusement pas Reservoir Dogs 2, impeccable, celui-là.


30 ans plus tard, si je repense à Pulp Fiction, je peux dire que c'était l'un des films de mes 25 ans mais pas ZE film. Déjà, moi, de l'époque, j'ai de loin préféré Fargo, 12 Monkeys et Dead Man. Reste que ZE film emblématique du milieu des nineties, il n'y a pas à tortiller, c'est La Haine. Pour la simple et bonne raison que La Haine ne se branle pas sur Godard, les polars de gare et Kool & The Gang; la Haine raconte quelque-chose de sinistre qui est toujours d'actualité 30 ans plus tard et d'autant plus d'actualité qu'après la très longue chute, on semble désormais très proche de l'atterrissage.


La Haine ne fait donc pas son Daft Punk en samplant de la série B. La Haine fait sienne l'efficacité de Martin Scorsese et Spike Lee pour balancer une réalité dérangeante dans le débat public. La Haine n'est pas du McDo, c'est de la bistronomie. La Haine restera une baffe dans la gueule de n'importe qui s'asseyant devant alors que Pulp Fiction est vouée à distiller la nostalgie chez les vieux et la curiosité ou l'amusement chez les jeunes. Jusqu'à ce que la culture ambiante décide que Pulp Fiction n'a plus aucun intérêt. Et ça, je pense que ça arrive à toute blinde. 


Ce que je dis, tout simplement, c'est que Quentin Tarantino est déjà ringard. Dans ses films comme dans ses livres, même ceux qu'il n'a pas encore écrit. Et que ça ne va pas aller en s'améliorant avec les années. Bref, dossier classé.



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